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Laudato Si. Quel souffle ? 

Laudato Si. Quel souffle ? 

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En titrant son encyclique « Laudato Si » -loué sois-tu-, référence à la sublime action de grâce à la nature et à son créateur, proclamée par François d’Assise au XIIIème siècle, le Pape François voulait signifier qu’il placerait son texte dans le sens d’une contemplation active de l’œuvre de Dieu. Tout en alertant sur l’urgence de « sauvegarder la maison commune », dans un vibrant appel à un « changement radical dans le comportement de l’humanité ».

Le technicisme, le relativisme et le prométhéisme sont pointés du doigt car ils causent des blessures à l’environnement écologique et social, dans un même refus d’admettre qu’il puisse y avoir des vérités indiscutables. Car l’homme ne met désormais plus de limites à sa liberté et à son émancipation totale. Ce qui risque de le conduire au néant d’une vie individualiste, fade, triste, dénuée de transcendance. Cet homme post moderne veut substituer à « la beauté irremplaçable » de la nature une beauté artificiellement créée, celle des technologies porteuses de l’idée chimérique de progrès, et celle de la consommation vue comme expression suprême de liberté et d’accomplissement personnel. En 1980, venu en France pour rappeler à notre pays les promesses de son baptême, Jean-Paul II avait pourtant averti : « la société de consommation ne rend pas l’homme heureux ! ». La posture malthusienne, largement répandue jusque dans les instances de l’ONU, est combattue par le Pape François qui affirme que la « croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire ». Il ne faut pas, selon lui, accuser l’augmentation de la population mais plutôt condamner le consumérisme exacerbé.

Cette encyclique a une tonalité très politique et sociale. Nous dirions que le religieux en est presque absent. Le Pape appelle fortement à mettre en place des systèmes de régulation qui puissent « protéger les écosystèmes contre les formes de pouvoir du paradigme techno-économique qui finissent par raser non seulement la politique mais aussi la liberté et la justice ». Il rappelle la prééminence de la personne humaine et dénonce la tendance actuelle à nier cette absolue évidence. Il y a comme une folle tentation à vouloir favoriser les espèces animales qui ne devraient plus être considérées comme inférieures à l’homme. C’est ce que l’on appelle l’antispécisme, nouvelle barbarie moderne dénoncée par Chantal Delsol.

Le Pape l’affirme et le déplore : il s’est instauré, au niveau mondial, une « culture du déchet ». La valeur d’un pauvre, d’un embryon, d’une personne vivant en situation de handicap, n’est plus reconnue. Pour François, « il n’y a pourtant pas d’écologie sans anthropologie ». Il est affolant d’observer que le grand dérèglement mondialisé, qui se traduit par « une crise culturelle, éthique, spirituelle de la modernité », aboutit à nier la beauté et la grandeur de l’homme, ainsi que sa singularité.

Dans ce puissant appel à refuser à la fois le paradigme technocratique le culte de l’immédiateté et l’emballement médiatique, est utilement évoqué, à la suite de l’encyclique Laborem Exercens de Jean Paul II, combien la valeur travail est fondamentale et doit être intégrée à une écologie intégrale. Benoît XVI lui-même, dans Caritas in Veritate, appelait à « continuer à se donner comme objectif prioritaire l’accès au travail…pour tous ».

Replacer la dignité de l’homme au cœur de toutes les innovations, de tous les projets, revêt une urgence pratique et métaphysique : « toute expérimentation exige un respect religieux de l’intégrité de la création ». De plus, « la technique séparée de l’éthique sera difficilement capable d’autolimiter son propre pouvoir ».

La proposition du Pape de mettre en place une « autorité politique mondiale » à même de réguler l’économie, de procéder à un désarmement intégral, et de parvenir à une sécurité alimentaire ainsi qu’à la paix, nous paraît bien étrange tant les « grands machins » internationaux ont souvent prouvé leur incapacité à se connecter aux cultures locales et à comprendre les enjeux régionaux. Cette « belle idée » développée à l’origine par Jean XXIII semble être contredite par la réaffirmation, dans l’encyclique, du principe de subsidiarité, présenté à juste titre comme l’un des piliers de la liberté humaine et de la liberté économique. C’est d’ailleurs une impression tout au long de notre lecture, que d’être en face de vœux très pieux, extrêmement universels, pétris d’intentions parfaitement louables mais dont le caractère applicable ne semble pas toujours évident. Avec des arguments parfois contradictoires, à l’instar de la dualité entre universalisme et subsidiarité, comme si l’évidente perte de repères du monde d’aujourd’hui conduisait le Pape à vouloir éteindre, coûte que coûte, tous les feux en même temps, tous azimuts, et sans délai.

Son appel à lutter contre la « culture de mort » tant dénoncée par Saint Jean-Paul II nous paraît très juste, comme la prometteuse idée de décroissance, ou de consommation individuelle ralentie et plus responsable. Des intuitions très politiques, très sociales, très ancrées dans le réel, pour François, dans ce beau texte. Reste pour nous une carence par rapport à l’exergue du titre. La contemplation et le « loué sois-tu » nous semblent assez absents. Il manque à nos yeux une affirmation plus forte que seules la transcendance et la vérité doivent sauver ce monde qui court à sa perte, car il s’est tout à la fois laissé séduire par le mensonge, rendu complice de dissimulation, rengorgé d’orgueil.

Cette encyclique qui a marqué les esprits et connu un vif succès planétaire, n’a pas pour nous, concédons-le, le même souffle qu’Evangelium Vitae ou Veritatis Splendor, ces chefs d’œuvre de Jean-Paul II qui ont puissamment et durablement servi la vérité.


L’alternative (Non-réponse à Badiou).
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