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L’encapsulage du génie humain en entreprise

L’encapsulage du génie humain en entreprise

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Quand la finance transforme les aventuriers en fonctionnaires

Nous avons longuement déjà fait le constat dans MN d’un dogme consistant à nier la personne humaine dans le monde de l’entreprise. Dogme matérialiste qui établit un lien entre performance et suppression du facteur humain dans les processus. Dogme libéral qui établit un lien entre performance et précarisation de tous les emplois dits non cœur de métier. Dogme capitaliste qui transforme toutes les entreprises en banque dont le projet industriel lui-même tend à ne plus être le livrable essentiel. Dans ce contexte, les entreprises sont sorties de l’aventure industrielle ayant engendré par obsession financière une bureaucratisation de type soviétique jamais éprouvée sauf bien sûr à Bruxelles. Paradoxalement, tout ce dogme lié à la financiarisation de l’économie a transformé les quelques aventuriers du travail en fonctionnaires…

En quête du génie humain

Sauf que ! Que l’humain soit un simple input de processus nous prive potentiellement de son génie. Le génie humain est tout de même bien pratique pour doubler ses concurrents. En attendant l’intelligence artificielle, rehaussée de l’émotivité artificielle à laquelle on ajouterait une faculté narrative artificielle, force est de constater que ce génie est encore uniquement disponible dans la personne humaine. L’idéal serait de l’extraire sans se taper tout le reste. Le reste, c’est ce foutu caractère, ces humeurs, ces sentiments, l’irrationalité. Heureusement, l’entreprise va mobiliser ceux qui inventent des espaces de travail, ceux qui observent le travail, tous les DRH frustrés et tous les responsables de l’environnement de travail désirant manipuler le concept.

On va créer des Fab-Lab, des zones de créativité, des coworking de brainstorming, des open mind café, espace de co-learning… Tout un tas de lieu où l'injonction est donnée de thinker out of the box !

L’objectif est de profiter du projet de réalisation d’une zone de créativité pour domestiquer les rebelles en orientant leur énergie. La neutralisation s’opère dès le projet de construction du lieu de créativité.

De la bulle à la cage

Ces bulles de créativité sont littéralement exceptionnelles. Finis les bench scolaires où s’entassent comme des sardines les salariés contraints à se coudoyer, fini le distributeur de café à dix centimes pour attraper un ulcère, finies les difficultés à disposer de moyens numériques efficaces ! Dans le Fab-Lab, il y a tout, tout fonctionne, tout est beau, tout est confortable, tout est modulable, tout est comme à la maison. Du mobilier oscillant entre un showroom Ikéa et Roche Bobois, de la moquette épaisse, du parquet en chêne, des rideaux pour compartimenter les espaces à la demande, une cuisine, une machine à café gratuite Starbucks ou Nespresso, des corbeilles de fruits parce qu’il en faut cinq par jour, des bonbons car c'est sympa, des espaces de défoulement parce que manger-bouger c’est important et… des babyfoot et… des jeux vidéos et… des slogans écrits partout sur les murs et… des doudous. Le paternalisme d’avant est singé dans la mise en œuvre d’un petit théâtre des illusions. On va jouer à être aussi cool et branché que les designer ou les créateur de mode.

C’est que profiter du génie humain présentait un risque. Il faut donc acheter la « paix sociale », acheter la personne humaine. Mais cela ne suffirait pas pour neutraliser la personne humaine. Il faut encore être régressif, lui tartiner du Nutella en veux-tu en voilà. Le prétexte est clair ! Pour être créatifs, retrouvons l’esprit de l’enfance en faisant de façon raccourcie un lien entre imaginaire et créativité. Il faut cocooner et dans la berceuse, il y a une volonté d’endormir la personne détentrice du génie que l’on veut extraire. Comme si un adulte ne pouvait pas être créatif ! Demandons au GIGN s’ils ont besoin de doudous pour préparer leur intervention et ajuster leur intervention en temps réel. Mais avoir à faire à un adulte fait peur. Un adulte en entreprise est aussi dangereux que le peuple en démocratie.

Le Fab-Lab, loin de remettre en cause les dogmes de processus qui nient la personne humaine, les renforce et circonscrit le lieu où la personne peut encore avoir l’illusion d’exister. Non seulement, c’est uniquement dans les Fab-Lab, mais en plus dans ce Fab-Lab, c’est uniquement dans un but bien précis que l’on permet cette existence précaire. Et la bulle devient au final une cage dorée comme au zoo. On met l’humain dans le Fab-Lab en lui demandant de ne pas être ingrat, de ne pas râler et de produire du génie. Là uniquement, et pas ailleurs. Une fois le génie produit, il faudra qu’il regagne sa case. On est bien d’accord. Qu'il quitte la cage dorée pour revenir dans son box.

Les rebelles transformés en collabos

J’entends certains dénoncer une certaine manipulation… n’importe quoi. Bien sûr, nous réalisons des espaces censés induire des usages. Mais cette manipulation est volontaire. L’usage doit être de favoriser le travail collaboratif informel, la divergence d’idées pour mieux foisonner, la fameuse sérendipité ! Alors, si la manipulation est volontaire, on n’a rien à dire. Tu vas vouloir devenir ce que je veux que tu deviennes et tu vas vouloir être manipulé pour le devenir.

Certains voient dans la mise en œuvre de ces zones de créativité, un mouvement contraire aux idéologies cherchant à combattre la personne humaine. C’est sans doute ce que croient sincèrement les rebelles humanistes que l’on mobilise pour la promotion de ce genre d’espace. En réalité, ce ne sont pas deux mouvements opposés mais strictement complémentaires dans le projet d’exploitation de la personne humaine en entreprise.

C’est parce que il y a une zone de créativité, que l’on peut continuer de faire de l’abattage bureaucratique à côté. Le gage d’humanité est acquis.

Tout de même, on respecte l’humain, on développe la qualité de vie au travail… On peut faire une pause massage, une pause babyfoot, une pause café, une pause collaborative, une pause management visuel, une pause conférence d’élargissement culturel, etc. Alors que la première des qualités de vie au travail, c'est tout simplement avoir de bons collègues et de respecter ses horaires !


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