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Les mains chaudes

Les mains chaudes

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Il y a une communication non verbale qui s’installe tous les jours un peu plus dans notre société sans que l’on y prête attention. Ce n’est pas grave mais significatif d’un état d’esprit qui témoigne d’une certaine inconséquence vis-à-vis des événements.

Je ne sais pas si vous l’avez remarqué mais aujourd’hui on applaudit partout et pour n’importe quoi. Les bravos sont à la mode. On les emploie pour tous. Pour le taureau qui déboule dans l’arène ou le chien qui fait le beau lors d’un concours animalier. Quelles raisons motivent ces démonstrations de claques à tout va ?

À chaque coin de rue, il faut battre des mains. Cela est désormais intégré au rituel des baptêmes et les communions. Ils assurent peut-être la fusion entre le paganisme et l’acclamation. Idem à l’issue de la visite d’un monument ou d’un château. Le guide a droit à une petite rasade de clap clap. C’est moins coûteux qu’un pourboire. Le cinéma n’échappe pas toujours au ridicule. La télé fait partie de la distribution. Il y a d’abord celui qui, seul ou en famille, applaudit son récepteur imaginant que son interlocuteur est concerné par sa réaction. À noter que le téléspectateur accompagne fréquemment son geste d’une expression verbale qui va du « c’est bien dit » au « pauvre type ». Parfois les formules visent la gueule ou une partie plus charnue du concerné à l’écran.

Il faut dire, aussi, que la télévision donne l’exemple de la soumission au rite. On peut même se demander si, insidieusement, ce ne sont pas les images répétées des applaudissements télévisés qui gouvernent de plus en plus nos réactions quotidiennes dans ce domaine. Car les applaudissements télévisés sont habituellement organisés comme à la belle époque. À ce moment là, on embauchait des spectateurs « bidons » destinés à applaudir. Rien n’a changé à l’heure des jeux, débats et autres réalisations débiles. Tous ceux qui ont participé à une émission de ce genre savent qu’au moment où ils sont filmés – ce qui leur permettra d’être vu par Papa, Maman et Tati - un homme de la régie lève un grand panneau sur lequel il est écrit un énorme : "Applaudissements". Les conditionnés - pardon les participants - réagissent aux instructions du régisseur qui prendra soin d'expliquer la règle du jeu avant le début de l'émission. De la vraie spontanéité garantie sur commande !

Les hommes politiques ou les grands leaders publics n'envisagent pas une réunion sans applaudissements. Leur profession de foi se doit d'être interrompue, ponctuée, poussée, par des salves multiples et continues d'applaudissements qui selon l'expression employée régulièrement "signent une victoire historique". En ce sens les applaudissements prennent une couleur "citoyenne". Ils sont le leurre d'une démocratie active qui est véritablement participative au point qu'il y a un échange de bonheur entre l'orateur et les participants. Du haut de sa tribune, il "chauffe" la salle, emploie les mots justes et cherchent les effets pour se faire applaudir et les citoyens s'exécutent à tout rompre à chaque souffle. Lui et eux sont venus pour cela. C'est la fête à Neu-Neu, tout le monde est content.

Les applaudissements se font remarquer également par leur qualification spécifique. Ainsi, ils sont encourageants, nourris, chaleureux et parfois même à la fin de certains concerts pop ou rap, "frénétiques". Les plus beaux quand même restent ceux qui nous viennent d'Amérique. Dans ce cas l'acteur ou le chanteur a fait un "standing ovation". Applaudir debout, cela change tout pour la circulation du sang, quand on est resté assis trop longtemps. Une mode stupide qui nous ferait presque oublier que les applaudissements se confondent sûrement avec l'aube de l'humanité. Pendant longtemps ils ont servi à encourager, remercier, féliciter une prestation publique. Aujourd'hui, ils sont galvaudés, employés à tout bout de champ, incongrus, incohérents. Quel dommage qu'ils ne permettent plus de distinguer le vrai du faux puisque tout est applaudi de manière identique. Les génies comme les nuls. Une égalité reptilienne qui permet de s'exprimer en groupe. Nos cousins les gorilles communiquent, parait-il, en tapant dans les mains. Tout comme nous, ils se font plaisir en ayant, pour un moment, les mains chaudes.


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