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Les populismes sont-ils les fossoyeurs ou les sauveurs de la démocratie ?

Les populismes sont-ils les fossoyeurs ou les sauveurs de la démocratie ?

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Alexandre Devecchio, jeune journaliste au Figaro et essayiste de 34 ans, appartient à la classe montante des intellectuels de droite qui pèsent dans le débat d’idées. Son ouvrage, Recomposition, est une analyse efficace du phénomène des populismes qui émerge dans plusieurs régions du monde. La dédicace de son livre donne immédiatement le ton, même s’il ne cède jamais à la polémique facile : « Je dédie ce livre aux sans voix et aux sans-dent, à ceux qui ne sont rien, qui fument des clopes et roulent au diesel, aux ploucs, aux beaufs, aux fainéants, aux déplorables et aux lépreux… Aux miens. » On comprend illico que Devecchio ne sera pas du côté de Macron mais des gilets jaunes, pas avec les gagnants de la mondialisation mais solidaire des perdants, ces classes moyennes occidentales en voie de paupérisation avancée. Il sait bien, comme tout esprit lucide, que la disparition de la classe populaire sonnerait le glas de la démocratie.
La France pavillonnaire et désindustrialisée décrite dans les romans de Houellebecq est méprisée des élites, absente des écrans, invisible, sauf quand elle gronde et se mobilise. Sa demande de réappropriation de la démocratie confisquée par l’oligarchie au pouvoir se matérialise très visiblement par une recomposition du paysage politique national. C’est l’observation que mène notre intellectuel qui s’appuie notamment sur les travaux de l’universitaire bulgare Ivan Krastev auteur du livre Le moment illibéral : « Nous assistons à une insurrection d’ampleur mondiale contre l’ordre libéral progressiste post-1989, qui se caractérisait par l’ouverture générale des frontières aux hommes, aux capitaux, aux biens et aux idées. » Le droit et le marché n’ont en effet pas réussi à pacifier l’humanité comme le voulait la démocratie libérale sortie vainqueur par KO du communisme. Le monde de particules élémentaires que nous avons créé se cherche désormais un avenir. Ce monde de l’après-guerre froide ressemble à une sorte de bar pour célibataires. A la dictature de la majorité prophétisée par Tocqueville au XIXème siècle succède la dictature des minorités que sont les associations antiracistes, féministes, LGBT+. Il va sans dire que la multiplication des droits et leur extension illimitée hypothèquent sévèrement les chances d’un avenir commun, d’un vivre-ensemble pérenne tel que le théorisait Ernest Renan au XIXème siècle, riche legs indivis du passé qui se nourrirait d’une vision d’avenir.
Subtilement, Devecchio n’hésite pas à s’interroger à rebours des poncifs : « Et si c’était le monde post-idéologique, post-politique, post-industriel et post-national qui était en réalité post-démocratique ? Et si tout au contraire, l’âge des populismes, loin d’être un âge de désagrégation, était un âge de reconstruction ? Les populismes sont-ils les fossoyeurs ou les sauveurs de la démocratie ? La volonté des peuples de protéger leur modèle social et leur identité face aux migrations massives, de renouer avec un certain nombre de limites et de permanences face au rouleau compresseur de la globalisation, est-ce vraiment illégitime ? Sur les ruines de l’ancien ordre mondial libéral est-il possible de voir naître un nouvel ordre illibéral plus juste et plus démocratique ? » Soucieux d’éclairer son lecteur, notre auteur évoque quelques-unes des erreurs ou absurdités historiques qui alimentent régulièrement le politiquement correct servi par les médias et bon nombre d’enseignants. Ce sont, corrige-t-il ainsi, non pas les nationalismes, mais les totalitarismes, plus précisément le nazisme, le communisme et le fascisme, qui sont responsables de la destruction de l’Europe durant la Seconde Guerre Mondiale. D’autre part, pour la doxa dominante qui règne en terres universitaires et médiatiques, ces régimes, comme les populismes aujourd’hui, se seraient imposés par les urnes en flattant les bas instincts du peuple, alors que la réalité rappelle que les leaders de ces régimes sont arrivés au pouvoir par la force, souvent grâce à la complaisance, voire la complicité des élites. Troisième erreur historique : affirmer que les musulmans d’aujourd’hui sont les juifs d’hier est un propos spécieux favorisant l’improductive victimisation. C’est une réelle escroquerie, voire un scandale, tant l’aspect du poids dans la population et les accommodements octroyés pour leur inclusion démontrent que les musulmans bénéficient de régimes favorables.
Pour Devecchio, les mouvements des gilets jaunes et de la Manif Pour Tous ont chacun contribué à refermer l’ère libérale libertaire ouverte avec mai 68. Si l’affirmation ne manque pas de sel car il en serait alors fini d’une période folle, elle n’en comporte pas moins à nos yeux deux imprécisions. La vague libérale libertaire est en réalité loin d’être éteinte et les avancées transhumanistes -curieusement non évoquées dans l’ouvrage- en sont une preuve éclatante. Ensuite, l’ère libérale libertaire ne s’est pas ouverte en mai 68 qui fut certes un point focal hautement symbolique mais dès le siècle des Lumières, et même dès le XIVème siècle avec l’école scolastique nominaliste du franciscain anglais Guillaume d’Ockam. Mais cet aspect de l’origine de l’idéologie libérale n’est pas la question prioritaire. On ne reprochera pas à Devecchio de ne pas être historien des idées. Sa posture d’observateur attentif aux malheurs où nous conduisent les logiques progressistes, particulièrement depuis une cinquantaine d’années, en Europe mais aussi aux Etats-Unis qui s’érigent en fer de lance du libéralisme libertaire, est bien l’essentiel. L’avènement des populismes trouve sa genèse dans ce que notre essayiste appelle le « grand bouleversement » -évitant prudemment le sulfureux « grand remplacement » de Renaud Camus-, à savoir le processus migratoire débuté après la Seconde Guerre Mondiale dans toute l’Europe de l’Ouest avec l’arrivée massive de populations extra-européennes pour combler le manque de main d’œuvre lié à la reconstruction. Ce processus s’est accéléré dans les décennies suivantes avec la décolonisation des anciens empires. Puis dans les années 70 avec le regroupement familial et dans les années 80 avec le renoncement des Etats européens au modèle traditionnel d’assimilation ou d’intégration au profit d’un multiculturalisme inclusif importé des Etats-Unis. Après le pacte de Marrakech signé début 2019 par un grand nombre d’Etats afin d’organiser des migrations sûres, ordonnées et régulières, il semble crucial de bien peser ce que la prochaine étape devrait être : la reconnaissance du « droit à la migration » comme droit de l’homme, autrement dit le passage de la citoyenneté nationale à la citoyenneté mondiale. Si les élites globalisées imposent aux peuples cette mutation juridique et civilisationnelle, il va sans dire alors que les conséquences sur les modèles culturels nationaux seront destructrices.
En conclusion, Devecchio souhaite, semble-t-il, partager une note d’espoir. Ainsi, l’opposition systématique entre bloc élitaire et bloc populaire ne lui paraît pas opportune si nous souhaitons sortir de la logique d’affrontement qui risque de déboucher sur la guerre civile. Si Christophe Guilluy, théoricien du choc entre France des élites et France périphérique, prédit une opposition des gilets jaunes qui durera cent ans, notre auteur quant à lui appelle à la concorde nationale. Le choix de l’épithète national n’est pas fortuit. C’est bien le périmètre de la nation qui pourrait être l’antidote au poison de la mondialisation qui n’a cessé de charrier fracture économique, fracture sociale, fracture culturelle.
Lanceur d’alertes, campé dans l’espoir, Devecchio espère la réconciliation de la France d’en haut et de celle d’en bas. L’entreprise ne manque pas de panache ni de sens. Seule l’élection en France, peu probable en 2022, d’un leader populiste de bon niveau, permettrait de lui donner une réalité. A ceux qui considéreront bien naïf notre intellectuel, rappelons que la France vit se lever en son sein, lors de périodes diverses de son histoire, des « sauveurs », hommes ou femmes jaillis des mains de quelque Providence. Ils permirent de puissantes résurrections dont on ne peut douter qu’elles eurent une dimension à la fois naturelle et surnaturelle.


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