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« Service de la dette » et catholicisme : Jusqu’à quand l’imposture ? (2)

« Service de la dette » et catholicisme : Jusqu’à quand l’imposture ? (2)

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BIEN COMMUN ET INTERÊT PERSONNEL

La recherche philosophique et la Révélation divine transmettent que le bien humain véritable, humaniste car humanisant, est le bien commun et non l’intérêt égoïste.

Pas de bonheur possible en dehors d’un environnement humain qui répond aux exigences de la nature humaine.

- L’antique hiérarchie des biens (de l’âme, du corps, extérieurs) enseignée par les pythagoriciens manifeste une certaine relativité des biens matériels. Elle trouvera son expression chrétienne dans la destination universelle de biens : la propriété privée n’est pas ici un absolu et ne fait pas partie du droit naturel (comme plus tard chez le libéral John Locke).

Ce droit de propriété privée est reconnu, bien entendu, sinon un des Dix Commandements ne dénoncerait pas le vol… Mais ce droit est justifié dans une orientation sociale, communautaire.

- La solidarité est une condition éthique du bien commun. En fonction des obligations de justice distributive, les plus pauvres doivent être particulièrement aidés.

- la subsidiarité tempère les compétences étatiques : les pouvoirs publics doivent aider les initiatives personnelles ou des corps intermédiaires qui participent aussi au bien commun. Le bien commun ne se réduit pas aux structures institutionnelles : pas de monopole en droit.

Si l’Eglise a tant insisté pour rappeler ce principe de subsidiarité, c’est pour empêcher la dérive autoritaire de l’état, voire sa tyrannie. Le fondement de ce principe est que tout être humain, dans ses différents talents, et donc tout citoyen, a une dignité et une liberté capable de participer au bien commun.

« Tous les hommes sont égaux. Point de différence entre riches et pauvres, maîtres et serviteurs, princes et sujets : ils n’ont tous qu’un même Seigneur. Il n’est permis à personne de violer impunément cette dignité de l’homme que Lui-Même traite avec un grand respect…. » (Léon XIII, Rerum Novarum, N° 32, § 3)

 

 

LA QUESTION DE L’USURE : SCIENTIFIQUE (TECHNIQUE) OU ETHIQUE ?

« Si la question des taux usuraires relève de domaines comme le droit et l’économie, elle rejoint aussi un questionnement proprement éthique puisque cette préoccupation concerne l’évaluation des pratiques de domination d’humain par l’humain » Jean-François Malherbe[1], La Démocratie au risque de l’usure (Liber, Montréal, 2004, p. 11)

Ecoutant les analyses d’Aristote dans sa Politique[2], l’Eglise catholique, par l’intermédiaire de son Docteur commun Thomas d’Aquin, dénonce l’intérêt sur le prêt comme inéquitable : le prêt à intérêt ne doit pas, en droit, être une activité mercantile pour les prêteurs mais une aide gratuite à l’emprunteur. Ce prêt doit toujours tenir compte des circonstances concrètes de l’emprunteur, que ce soit au début du prêt ou au fil de temps, et non suivre une logique mathématisée qui cherche à obéir à des nombres abstraits.

 

EGLISE CATHOLIQUE ET USURE

La dernière prise de position officielle concernant l’usure de la part du Magistère catholique date de 1745[3]

Le nouveau Code de Droit Canonique (1983) ne présente plus d’analyse du phénomène de l’usure. Le Canon 1399 (le scandale) pourrait peut-être s’y référer.

La suite de cette présentation va exposer quelques extraits de la Bible, de la Tradition, du Magistère actuel et ancien de l’Eglise catholique et un certain nombre d’auteurs qui se sont exprimés sur ce sujet : Pères de l’Eglise, Conciles, Thomas d’Aquin, Benoit XIV, Jean-Paul II, Benoît XVI, etc.

 

I La tradition scripturaire

 Le prêt à intérêt est une ancienne pratique déjà répandue dans la plus haute antiquité. Une exception est notable : les membres de la communauté israélite ont l’interdiction absolue de prêter à intérêt à l’intérieur de leur communauté. Parmi les philosophes païens, Aristote l’interdit comme contraire au bien commun (cf : note 3).

 Prêt : cession temporaire d’une chose, plus tard restituée. Le contrat détermine la temporalité du prêt. Durant un certain temps, la propriété du prêteur est remplacée par une créance : un temps durant lequel l’emprunteur est à la fois propriétaire mais aussi débiteur.

Les sages vont distinguer deux espèces de prêt : 1) le prêt à usage qui oblige l’emprunteur à restituer la chose identiquement (gratuit), 2) le prêt de consommation qui rend l’emprunteur propriétaire de la chose prêtée (gratuit ou moyennant un prix : l’intérêt).

La dette est la chose reçue en prêt et qui a vocation à être restituée. L’endettement est le signe social de la difficulté à vivre ou à survivre.

A. Usure ou intérêt ?

A l’origine, il n’existe pas de différences entre l’usure et le prêt à intérêt. Dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, l’usure est l’addition nombrée que l’on exige pour une somme prêtée durant un temps donné. Aujourd’hui, on a assisté à un glissement de sens : l’usure désigne un taux d’intérêt excessif, démesuré.

L’intérêt est donc une exigence chiffrée de celui qui possède vis-à-vis de celui qui ne possède pas. C’est donc un calcul au profit du prêteur et au détriment du débiteur.

 

B. Dans l’Ancien Testament : la loi mosaïque ou Pentateuque

Le Pentateuque est aussi appelé Torah ou loi mosaïque (issue de l’enseignement de Moïse). Condamnation du prêt à intérêt pour un compatriote : Exode, XXII, 24.

 

C. Dans l’Ancien Testament : Deutéronome (Dt XXIII, 20-21)

Le Deutéronome va fermement condamner le prêt à intérêt envers un Juif. Mais « à l’étranger tu pourras prêter à intérêt ». Gratuité envers un frère de race, intérêt envers les autres. Cette législation est donc racialiste et ethniciste.

 

D. Dans l’Ancien Testament : Lévitique, XXV, 35-37

Le code de sainteté interdit par contre le prêt à intérêt envers l’étranger : « Tu ne lui donneras pas d’argent pour en tirer du profit. »

La loi se réclame de l’autorité de Dieu et met tous les hommes sur un pied d’égalité.

 

E. La question du gage

La loi positive juive autorisait par contre le créancier à prendre un gage sur son débiteur : un objet, un manteau, etc. Des restrictions accompagnent ces calculs : « On ne prendra pas en gage le moulin ni la meule : ce serait prendre la vie même en gage » (Dt, XXIV, 6).

Ces réserves concernent aussi la vie privée du débiteur : « Tu n’entreras pas dans sa maison… »

 

F. L’Année Sabbatique et l’Année Jubilaire

Tous les sept ans, l’Année Sabbatique oblige les créanciers à annuler les dettes et à rendre les gages. Mais les interprètes s’interrogent encore sur la porter de cette Année Sabatique : annulation pure et simple, prorogation ?

L’Année du Jubilé a au départ une signification spirituelle : année de conversion, de réconciliation avec Dieu, de délivrance. Les esclaves sont libérés et les dettes remises. Mais les étrangers résidants ne peuvent bénéficier de ces Années d’indulgence : « Tu pourras exploiter l’étranger, mais tu libéreras ton frère de ton droit sur lui » (Dt, XV, 3).

Conclusion : une approche ethniciste

La pratique du prêt à intérêt est conditionnée non pas en fonction de la pauvreté de l’autre mais de son appartenance ou non à la communauté israélite.

Cependant, la logique sous-jacente reste la gratuité. La Loi originelle juive tendait à donner la préférence aux personnes plutôt qu’aux biens matériels.

« La loi se proposait par ses prescriptions d’incliner les gens à s’entraider de bonne grâce dans leurs besoins, car il n’est rien qui stimule davantage l’amitié. » Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-Iiae, q., a.

 

 II Les Prophètes et les Psaumes

 Issu du terme grec propheroi qui signifie « parler pour », le prophète est le porte-parole de Dieu, il est également souvent considéré comme la conscience du peuple. Les Prophètes sont des personnages qui parlent au nom de Dieu.

Ils condamnent les injustices de toutes sortes en dénonçant leurs initiateurs.

« Ils vendent le juste à prix d’argent et le pauvre (ébyon) pour une paire de sandales ; ils écrasent la tête des faibles (dal) sur la poussière de la terre, ils ferment la route aux malheureux (anaw). » Amos, 2, 6-7.

 

Ces pauvres sont présentés comme les amis de Dieu : persécutés par les calculs des puissants, la cupidité des grands propriétaires, les victimes des abus de pouvoir de la bureaucratie, des prêtres, des manigances des commerçants…

« D’autres disaient : nous avons dû emprunter pour payer l’impôt du roi et les prêteurs exigent des intérêts trop élevés. » Néhémie, 5, 1-5.

« Tu as pris usure et intérêt, tu as dépouillé ton prochain ». Ezéchiel, 22, 12.

Ces Prophètes réprimandent ces comportements comme contraires à l’intention divine. Ils font la promotion d’un ordre social fondé sur la gratuité.

« Ne prête pas avec usure, ne prends pas d’intérêts. » Ezéchiel, 18, 8 et 12.

« Celui qui prête avec usure et prend des intérêts, celui-là ne vivra pas, il mourra et son sang sera sur lui » Ezéchiel, 18, 11-13.

Les Psaumes rappellent l’importance des relations sociales. La justice sociale est un des thèmes majeurs des psalmistes. Ainsi, celui « qui agit avec justice » (Psaume 15, 2) c’est celui qui « ne prête pas son argent à intérêt » (Psaume 15, 5).

La même logique guide ces textes : la défense des faibles, des petits, des pauvres, des malheureux. « Otez de ma vue vos actions perverses ! Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien ! Recherchez le droit, redressez le violent ! Faites droit à l'orphelin, plaidez pour la veuve ! » Isaïe, 1, 16-17.

« Heureux qui pense au pauvre et au faible : le Seigneur le sauve au jour du malheur » (Psaume 41, 2).

L’interprétation juive distingue lois apodictiques et lois casuistiques[4]. Les premières sont estimées issues de l’autorité divine et exhortent à la protection du faible. Les lois casuistiques relèvent de la prudence humaine dans les situations concrètes singulières et ces règlements tendent à s’éloigner de la volonté de Dieu pour gérer les circonstances ici et maintenant. Dans ces considérations practico-pratiques, c’est la plupart du temps le talion qui prédomine. Selon Olivier Artus[5], les textes sur le prêt à intérêt relèvent des lois apodictiques et non casuistiques.

 

III Le Nouveau Testament : qu’en dit Jésus ?

Le Magistère constant de l’Eglise catholique enseigne la théologie de la substitution[6] : doctrine selon laquelle le christianisme s’est substitué au judaïsme dans la Révélation. Selon le catholicisme, la source de la théologie de la substitution est attribuée d’abord à Jésus lui-même, puis à Paul de Tarse (épître aux Galates 6, 15-16). Le concile de Florence (1431-1441) a adopté cette théologie de la substitution. L'encyclique Mystici Corporis du pape Pie XII (29 juin 1943) indique : « La mort du Rédempteur a fait succéder le Nouveau Testament à l'Ancienne Loi abolie. »

Les Juifs distinguent la Torah écrite (Pentateuque) et Torah oral (halaka) qui présent des situations singulières de comportements pratiques. On sait que la tendance pharisienne accordait déjà au temps de Jésus plus d’autorité à cette loi subjectiviste qu’aux textes primitifs de la Torah écrite. C’est toujours le cas aujourd’hui.

Le Christ ne transmet pas un programme politique ou économique précis. Il s’adresse à l’individu ou à des groupes restreints. Son discours sur la Montagne (Matthieu 5, 21-48) incarne la rupture avec l’ancienne loi. Certes, Jésus dit aussi qu’Il n’est pas venu « abroger la loi ou les Prophètes mais accomplir » (Matthieu 5, 17) dans le sens où Il est venu perfectionner ce vers quoi cette loi cheminait imparfaitement. Cette Révélation est close depuis la mort de saint Jean.  Jésus rompt avec l’ethnocentrisme élitiste du peuple Juif qui certes a été un temps « élu » mais qui le rejette encore aujourd’hui. Il rompt également avec les intrigues calculatrices en ordonnant la préférence aux pauvres. « Prêter sans rien attendre en retour » (Luc 6, 35).

Les exégètes ont relevé deux allusions au prêt à intérêt dans l’enseignement de Jésus.

Il faut noter que cette dimension des discours du Christ n’est plus étudiée par le clergé depuis un siècle environ, comme si le problème avait disparu…

 

1° Le premier texte déjà évoqué plus haut est tiré de saint Luc :

« Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ? […] Prêtez sans rien attendre en retour » (Luc 6, 35-36).

En dissonance avec la tradition juive, Jésus invite à la charité inconditionnelle. Il enseigne le don gratuit sans calcul intéressé : faire le sacrifice non seulement des intérêts mais aussi du capital. Le prêteur est ainsi invité à renoncer au profit que le contrat a pourtant légalement institué. Pour le catholicisme, les lois civiles ne peuvent réclamer une obéissance absolue.

Les Pères de l’Eglise sont des auteurs ecclésiastiques, très majoritairement des évêques, dont les écrits, les actes et l'exemple moral ont contribué à établir et à défendre la doctrine catholique. La plupart des Pères se fondent sur ce passage de saint Luc pour proscrire le prêt à intérêt dans une société chrétienne.

On ne trouvera pas dans les paroles de Jésus parvenues jusqu’à nous une condamnation irréversible du prêt à intérêt. Il dira par contre : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jean, 13, 34). On comprendra que prêter sans intérêt constitue une forme de l’amour commandé par le Christ. Le don gratuit est ici la perfection. : l’indice de la valeur de la personne.

 

2° Le deuxième texte qui présente un lien indirect avec la question du prêt à intérêt est également issu de l’évangile selon saint Luc :

« Pourquoi n’as-tu pas confié mon argent à la banque. A mon retour, je l’aurais retiré avec un intérêt » (Luc, 19, 23).

Ce passage évoque un maître qui récompense les serviteurs auxquels il avait confié ses mines[7] et qui les restituent avec fruit tandis qu’il blâme ceux qui les enterrent sans les faire croître. Jésus serait-il ici un héraut du capitalisme ? Mais alors comment relier ce passage avec Luc 6, 35 évoqué plus haut ?

Une rapide exégèse pourra nous aider à lever cette apparente contradiction. Car il s’agit dans Luc d’une métaphore : les termes évoqués dans cette parabole (mines, argent, mettre en dépôt, banque, intérêt) signifient des images qui évoquent le don gratuit et total de Dieu. La somme évoquée en effet est gigantesque. Dieu donne tout et sans retour : Il ne calcule pas. Imiter Dieu, c’est refléter ce don.

Mais on remarquera que Jésus n’interdit pas catégoriquement le prêt à intérêt mais Il recommande le partage, l’entraide, la solidarité inconditionnelle envers tous les hommes, puisque, comme le précisera saint Paul, « Il n’y a ni Juif, ni Grec… » (Galates 3, 26).

 

[1] 1950-2015 : universitaire belge. Etudes sur l’empirisme anglo-saxon.

[2] Livre I, chapitres 3 et 4 mais aussi : Ethique à Nicomaque, Libre IV, chapitre 1.

[3] Benoit XIV : Vix Pervenit (1er novembre 1745) : https://www.amazon.fr/ENCYCLIQUE-PERVENIT-INTERET- DEVOIRS-CAPITAL/dp/B003VZIXV4

[4] Olivier Artus :

[5] Né en 1954, exégète, a enseigné à l’Institut Catholique de Paris.

[6] Théorie de la substitution, ou supersessionisme.

[7] Unité de poids et de compte valant 100 drachmes dans certaines régions de l’Antiquité.


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