Écrire n’est pas jouer
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Les grands auteurs et la vie « augmentée ».
Gaulliste de gauche, journaliste à Notre République, favorable à l’indépendance algérienne, grand arpenteur du monde, Philippe de Saint Robert revient aujourd’hui à l'essentiel : la défense de la langue française. Pour ce faire, il convoque les grandes odyssées littéraires de notre temps en mode "Peregrinus Viater".
Ce périple à travers les œuvres n’est pas une simple dilettante littéraire, mais une quête et un combat : « Des groupes se partagent actuellement le marché de la littérature. Ils s'allient entre eux, car ils sont engagés dans une opération unique contre la qualité. » Les 350 pages de l’ouvrage résonnent – et raisonnent – en harmonie avec cette alerte de Pierre-Jean Jouve. La mauvaise nouvelle : la France est déjà réduite à « un verbiage technocratique et à des apocalypses électorales » (p.306). La bonne nouvelle : les"auteurs préservent l'essentiel car ils augmentent nos existences, étymologiquement parlant. Les anciens, de Châteaubriant (qui vivait à une époque où l'emploi de ses rêves était déjà révolu), Vigny, Dumas, etc., et les modernes, Mauriac (avec qui nous avons appris « à pénétrer les êtres »), Malraux, Dominique de Roux, etc., sont examinés avec une grande attention dans les recoins de leurs œuvres et correspondances.
Dans sa page dédiée à Louis Aragon, l'auteur formule sans doute l'une des phrases les plus inspirées de l'ouvrage : « Pauvres écrivains, c'est une espèce qui tend à disparaître. Pour écrire, l'écriture perdurera toujours, mais l'écrivain, cet Homme dont l'écriture est la seule vocation et qui tire un magistère, une gloire où plusieurs générations se reflètent, il est évident que ce type n'a plus sa place dans la société actuelle, dont l'imaginaire est modelé par les images et le savoir fragmenté par la surinformation médiatique »…
Le ton est établi. Un auteur ne se décrète pas, il se secrète. Quand la littérature est réduite à la spéculation et au commerce (voir « Le marché de la Poésie » de la place Saint Sulpice), comment peut-on s'étonner que « la France soit un pays de plus en plus réduit au "verbiage technocratique" » ? La littérature, arrière-pays de notre existence collective, demeure un baromètre de nos âmes, de nos patries tant charnelles que spirituelles.
Notre époque dominée par l'écran et la procédure, est-elle encore capable de distinguer la « communication de la communion » s’interroge l’auteur ? Le rôle de l'auteur est sacré, médiumnique, voire prophétique. Alors que le clergé religieux a tenté de se substituer aux bardes et aux aèdes, c'est finalement le clergé médiatique, grâce à la puissance des écrans, qui y est parvenu. Novalis avait anticipé un temps où les spectres remplaceraient les dieux ; nous y sommes.
Écrire, c'est décrire le monde, mais surtout s'inscrire dans le monde, Édition Robert Hermann, 364 p., 27€.