Tesson, l'Antoine de la littérature en quête de fées
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Poètes… vos papiers ! scandait le chanteur passeur de poètes aux cheveux fols. Était-il visionnaire des 1200 poètes ratés candidats à l’affichage RATP qui fondirent comme un seul IEL sur Tesson ? Peut-être… Chaque époque a ses moutons. Ceux d’aujourd’hui n’ont rien reçu, rien lu, rien compris, mais bêlent ensemble une insulte à l’encontre du globetrotteur faiseur de livres. Hors de question que Tesson s’empare du printemps des poètes ! Disaient-ils. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il dit des choses contre le progrès technique et depuis que le progressisme s’est marié avec l’économie de marché, les moutons imitent le chien de Pavlov qui les gardent et lancent les anathèmes à la face de tous ceux qui refusent « le vacarme des hommes, la bêtise des chiffres ». Il faut dire que Tesson a osé rédiger la préface de Là-bas, au loin, si loin de Raspail. Peu importe que ledit livre entre en écho avec celui qui fait de tout voyage un récit, ce qui compte pour les gardiens de la révolution fanatisés par Libé, c’est que Raspail soit l’auteur d’un roman sur le grand remplacement. Le fascisme est une maladie hyper contagieuse.
Pauvre Tesson ! Il n’a pourtant pas fait grand-chose de mal. Il commet un livre par an sur une de ses promenades. Une façon de financer ses vacances… Et il serait sans doute utile de dire collectivement que Tesson n’a rien d’un grand écrivain ; un récit de voyage égrené d’un dictionnaire de citations ne relève pas vraiment de la littérature. Néanmoins, convergeons pour dire qu’il est un bon passeur. Il part en vadrouille toujours avec des livres comme guide, cela lui permet d’avoir le don de conversion du regard et de faire de chaque paysage une mémoire, une histoire, un poème. Tesson apparait dès lors comme le gardien de l’arche et son œuvre un petit sanctuaire de notre civilisation. Un voyageur qui a des livres pour guide et devient guide pour tous en littérature, ce n'est pas si mal.
Cette fois-ci, Tesson nous emmène le long des promontoires de l’Europe, de l’Espagne à l’Ecosse, sur le front de mer qui est le Far West européen. Voilà pour lui l’artère de l’ouest qui irrigue le cœur européen, le lieu où le soleil est un aimant, le lieu où finit la terre, le lieu du départ : « Ici la topographie empêchait de faire un pas de plus. » Il va donc écrire en cabotant se prenant parfois pour un funambule, épousant l’esprit celte : « Demeurer au bord du vide. » Son but ? Aller à la rencontre des fées, qui sont pour lui, « une qualité du réel révélée par une disposition de regard ». C’est la littérature qui apprend à regarder et révéler. Il choisit sa bibliothèque de départ : Hugo, Apollinaire, Aragon, Nietzsche, Schelley, Byron, Scott, Simenon. Et sur place, le décor le pousse à retrouver Gracq, Corti, Henri Miller, Michel Déon, André Breton, …
Il n’y aura pas qu’émerveillement dans le voyage malheureusement, car la fée recule là où l’homme progresse. : « J’étais parti chercher le roi Arthur et l’enchanteur Merlin, je me retrouvais chez Leroy Merlin. » La société marchande et technique a produit son enlaidissement partout. Une bonne occasion pour le marcheur de s’attaquer à la cancel culture comme le dernier avatar de la modernité. « L’époque contemporaine avait rompu la passation. » De quoi scander un manifeste : « La fée symbolisait la lutte contre ce qui s’annonçait : le profit marchand, l’empire technique, l’urbanisation grouillante, la folie de la foule. »
L’amoureux des strates de civilisations, déposées en mille feuilles sur le paysage, semble encore une fois tourner autour de la croix, il se convertit à tâtons. C’est qu’il n’aime que le voyage, pas la destination. Sa quête de fées s’apparente à celle du Saint Graal. Les fées, « existaient quand on cheminait vers elles ». En route pour l’espérance ! Il y a des épiphanies sur le chemin, des manifestations de l’éternité ici-bas… Le merveilleux est contenu dans le monde, la grâce en la source.
Son récit s’achève en Ecosse au moment de la mort de la reine, et c’est l’occasion pour l’Antoine de la littérature d’offrir un aphorisme monarchiste : « Les hommes sont contents de confier à un autre qu’eux-mêmes le soin d’être plus grands que tous. » Effectivement :« Que revienne le temps des Menhirs, que cesse l’épilepsie du monde ! »
Avec les fées, récit de Sylvain Tesson, éditions des équateurs, 224 pages, 21€