Entre Jon helip et Jean de Baulhoo, des Promesses d’océan
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MN : Chers Jon et Jean, vous voilà réunis dans un livre. Voilà les sculptures de Jon et les poèmes de Jean qui s’alternent comme des rimes. Racontez-nous comment s’est opérée la rencontre entre vous ? Comment s’est établie une correspondance ?
Jon : Je crois que l’idée du livre est venue de Jean. Du moins, c’est ce que je garde en mémoire de nos échanges. Les poètes écrivent des livres, les sculpteurs réalisent des sculptures et pourtant l’objet papier abouti de ce projet me paraît davantage aujourd’hui comme un pont entre nos deux univers. Mi écrit mi visuel, ou plutôt tout écrit, tout image où, chacun a pleinement sa place dans un espace qui s’agrandit par la rencontre.
Jean : Le livre, à mes yeux et aux yeux de la majorité de ceux qui écrivent, restera toujours le livre papier. A moins que l’on revienne à des supports antérieurs. Et dans l’esprit de chaque auteur, il y a ce rêve, qu’un jour, quand le temps aura coulé, que ce soit à la BNF ou dans une brocante, un homme ou une femme lira encore quelques-unes de ses lignes. Pour ce qui est du présent ouvrage, l’idée m’est venue naturellement d’en faire un livre, pour thésauriser, le mot est juste. Pour que cela ne fut pas réalisé en vain. Par ailleurs, je pense comme Jon que ce genre d’assemblages tend à élargir l’horizon artistique.
Jon : Je ne me souviens plus exactement de mes propos malicieux de l’époque mais je dirai que la sculpture et la photographie sont comme mère et fille. L’une engendre l’autre qui cherche ensuite son indépendance. Elles ont toutes deux pouvoir et puissance de fécondité. L’artiste basque Zigor, qui pratique les deux, dit que la photographie emprunte à sa sculpture en taille directe ses manières de choisir l’image en élaguant les parties non voulues dans le cadrage.
Jean : En premier lieu, la photographie, servie par de bons photographes, s’agissant des sculptures de Jon, anoblit encore les œuvres, dans la majorité des cas. Toutefois, l’heureux acquéreur de la sculpture, s’il n’arrivait pas à retrouver la perception initiale de l’œuvre, via la photographie, en découvrirait à son grand étonnement plusieurs autres, visibles à 180 degrés voire au-delà, sans compter les variations de nature de bois. La photographie peut aussi apporter à la peinture une dimension supplémentaire, amplifier le côté impressionniste de certaines œuvres ; toutefois au final, l’observateur n’aura de cesse que de s’éloigner de la toile, pour oublier les coups de pinceau occultés par le cliché.
Jon : Le bois de la forêt est arbre. Celui de l’océan est fragment, bois mort disent certains. D’autres plus en vogue parleront d’art écologique et durable. Pour moi, il est avant tout donné, reçu cabossé, inerte, je tente de le redresser comme pour le « ressusciter » d’une nouvelle vie magnifiant ses stigmates et son voyage. En ce sens, je rejoins la face invisible de la forêt.
Jean : J’ai toujours eu un rapport intuitif et primaire à l’arbre et à la forêt. J’ai planté des centaines d’arbres. A présent, quand ils sont en feuilles, il me semble qu’ils me protègent et m’isolent de ce monde en folie. Les rapports aux arbres sont quasiment aussi nombreux que les arbres eux-mêmes. Les peupliers élèvent. Les chênes écrasent. Les tilleuls apaisent. Les hêtres évoquent les cathédrales. Les fruitiers haut de tige rassurent et inspirent le respect. La forêt est un lieu toujours intimiste. Longtemps elle abrita ceux qui étaient à la marge de la société. Les forestiers ont souvent, bien que rarement exprimé, un rapport mystique à la forêt. Quant au bois d’océan, j’avoue l’avoir découvert un peu plus avec le travail de Jon. Peut-être serait-il au départ le fruit d’un accord entre la forêt et la mer. L’océan dans sa puissance toujours porté à conquérir, la forêt contrainte à céder quelques arbres pour enfin retrouver la quiétude. Alors seulement commence la vie longue et aventureuse de ce bois livré en sacrifice. Un bois d’une autre nature, déraciné, arraché à la terre, condamné à errer et à perdurer quand même dans un élément qui ne lui était pas destiné au départ.
MN : j’aimerais finir par la question spirituelle. Les sculptures et poèmes évoquent la prière quasiment en permanence. Nous flirtons même avec l’usage liturgique. L’art est donc indissociable de cette verticalité pour vous ?
Jon : Christian Bobin récemment disparu disait que jadis les mages étaient premiers, ensuite sont venus les religieux, aujourd’hui est-il possible qu’il y ait une nécessité, un besoin que les poètes reprennent le flambeau pour parler de l’invisible, du silence de l’essentiel de la vie. Jean fait partie de cette famille avec ce livre qui vient parler de l’intérieur de mes sculptures. Je l’en remercie vivement pour cela.
Jean : François Cheng dont on connaît l’éloquence nous dit : « La beauté n'est pas un simple ornement. La beauté c'est un signe par lequel la création nous signifie que la vie a du sens ». Il nous reste donc à espérer que nos assemblages d’ornements, sculpture et poème, ne soient pas dépourvus de beauté et que cette forme de prière ne soit pas sans rapport avec le Créateur.