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M. Andreu, merci, osons la reconstruction !

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1/3 La suite de la déconstruction de Derrida, la reconstruction. Étude par l'exemple du cas de l'art contemporain.

Plutôt que de répondre en commentaires au texte inspirant de Frederic Andreu L’artefact contemporain conceptuel, j’ai préféré faire un article tant les idées se bousculent. En introduction, je trouve en particulier très importante son idée suivante : « Comme une zone cérébrale blessée révèle sa fonction par son absence, l’ACC pose de fait la nécessité de définir l'art du point de vue anthropologique. »

Cette proposition d’une parfaite limpidité porte en elle une redéfinition de l’anthropologie pour les temps actuels et futurs. Face à la confusion cognitive où les bases sont remises en question, l’antidote est une anthropologie introspective intuitive par étude de l’absence et du manque. Il nous faut nous intéresser de façon complexe et argumentée aux choses simples que l’on a toujours tenues pour évidentes. Quand elles sont indisponibles car conceptuellement et socialement contestées, devenues invisibles, il ne reste que le recours à l'introspection et à la mémoire de ce qui a été pour une étude du manque afin de redonner forme, au moins par la pensée, à ce qui devrait être donné. Donné manquant du point de vue des besoins essentiels, ne restent que ceux-ci et la mémoire pour une étude critique. Après tant de déconstruction, parlons de : RECONSTRUCTION.

On est obligé de définir simplement à nouveau et parfois pour la première fois, ce qui était naguère donné et qui avait un caractère d'évidence informulée sauf parfois en termes universitaires. C’est une saine réaction à la déconstruction, rien ne trouve grâce aux yeux de ses agents, sauf le processus critique de déconstruction lui-même. Osons la reconstruction thème par thème.

Il en est ainsi de la question de l’art contemporain. De ce point de vue critique, on peut lui donner valablement deux statuts : En plein, un signe des temps, un logo en effet, en creux, un vide social d’art, autrement dit un art officiel d’un nouveau genre. Cela peut sembler paradoxal de parler d’art officiel à propos d’une absence d’art. L’absence ne supprime pas le besoin social et individuel. Les besoins qui perdurent font de cet art qui s’impose un art officiel de remplacement. Au fond ce sont ces besoins anthropologiques qui donnent forme, en s'exprimant, à cette coquille vide.

On peut parler d'intoxication au sens des services secrets, en réclamant leur dû, ils s'emparent de ce vide symbolique comme ils le feraient d'un plein signifiant car c'est leur nature de ne pas rester vacants et non remplis. En quelque sorte, l’absence remplace et prend la place de ce qui devrait être donné. Il s’agit en effet d’une imposition. 

Les besoins anthropologiques qui perdurent font de cet art qui s’impose un art officiel de remplacement. Les besoins de "religare", de modèles exemplaires d’imitation, de références communes, de reconnaissance, de représentation politique, de fierté, etc., sont remplis par cet ersatz d’art officiel. En ce sens il est signe des temps, logo en effet.

Un art officiel désigne par analogie ce qui est officiellement beau et vrai, ce n'est jamais sans conséquence car personne ne veut être désigné comme vulgaire et dans le faux et être exclu de la cité. Ce qu’on appelle aujourd’hui les codes. L’esthétique, la mode, soit "le chic", autrement dit la manière d'être officielle, donc socialement admise et identifiable, fait le passage entre l'art et la manipulation sociale, entre le symbolique et le politique. À cet égard, on peut en dire toutes sortes de choses de ce logo. Les correspondances esthétiques sont nombreuses dès lors qu’on trouve un vide, vide relationnel, mépris de classe, vide spirituel, vide culturel, vide de la consommation, de l'argent et de l’avoir en tant que "raison d’être", vide technicien et technocrate, etc. Pour toutes ces sortes de vide de l’absence des dieux au sens de Ernst Jünger, cet art officiel "minimaliste" fournit une caution esthétique et une légitimité. 

2/3 Une citation bien choisie donnée par M. Andreu à l'appui de la question du vide. Comme on dit, le mal est l'absence du bien. 

Un passage dit magistralement et avec perspicacité dans les termes de référence encore présents à l'esprit à l'époque. La difficulté est de dire la même chose de façon actuelle quand ces références utiles pour la démonstration ont quasiment disparu des mémoires ; déjà face à la boucherie de 14/18 et au nazisme se posait le problème en termes de vide. Certes, circonscrire un vide n'est pas le remplir mais cela peut éviter d'y tomber :

« Ils ne connaissent ni les mythes grecs ni l’éthique chrétienne ni les moralistes français ni la métaphysique allemande ni la poésie de tous les poètes du monde. Devant la vraie vie, ils ne sont que des nains. Mais ce sont des Goliaths techniciens – donc des géants dans toute œuvre de destruction, où se dissimule finalement leur mission, qu’ils ignorent en tant que telle. Ils sont d’une clarté et d’une précision inhabituelles dans tout ce qui est mécanique. Ils sont déroutés, rabougris, noyés dans tout ce qui est beauté et amour. Ils sont titans et cyclopes, esprits de l’obscurité, négateurs et ennemis de toutes forces créatrices. »

Ernst Jünger.

3/3 Après déconstruction de la déconstruction en art, tentative de reconstruction du beau.

Pour décrire exhaustivement tout étant, Aristote propose quatre causes indépendantes (on dirait quatre paramètres aujourd'hui, en bon modélisateur) : matérielle, formelle, motrice et finale. Ces catégories forment un ensemble complet et au fond, font système. On peut dire que l’être transparait à travers ces catégories.

On peut paramétrer chaque étant et le beau dans les termes du vrai, du bon et de l’harmonieux. Ces catégories sont plutôt d'essence platonicienne mais elles se recoupent avec celle d’Aristote dans l’expérience de la cognition et en particulier dans celle de la beauté.

Le vrai est le terme pour l’information (on pense à l’ADN), le bon est le terme énergétique qui tient l’ensemble, harmonieux est le terme indéterminé, quoique intelligible par les sens, pour le constat de l’existence et de la cohésion de chaque chose en alternative au rien. Harmonieux renvoie à la cause finale d’Aristote.

Il est à noter que l’on distingue le bon du bien en tant que paramètre indépendant. En effet, le bon se mesure a posteriori en termes de résultat et d’état de fait, tandis que le bien relève du vrai, du logos, et se conçoit à priori comme moral (Nietzsche dirait, on peut le penser, que le terme "bien" au lieu de "bon" est trop humain). On peut dire que vrai, bon, harmonieux est un motif fractal. Ce paramétrage régit tout. En forçant un peu le trait, on le retrouve dans la fameuse formule E=MC² (si on identifie E énergie avec bon, C lumière avec vrai, M matière avec harmonieux). Mais surtout cela régit le cerveau humain : vrai correspond au mental, à la raison ; bon aux émotions, harmonieux aux sens, à la reconnaissance des formes.

Par la médiation de ce motif fractal, on peut dire que l'expérience du beau est l’expérience même d’appartenance au monde. On ne peut pas légitimement tenter de parler du beau en philosophe sans tenter aussi la forme poétique comme suit :

Volonté et verbe mariés ensemble dans le sensible engendrent conscience.
Animée ou inanimée, en acte ou en puissance.
Le vrai est matière et forme, le bon moteur invincible, l'harmonie finale.
Les sens, le cœur et l'idée sont en cohérence, le beau se fait conscience.
Le beau symbole, objet du sensible, est sujet en soi.
La beauté n'est pas un concept, c'est sa beauté de roi.


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