Théorie de la beauté
Art contemporain Mauvaise Nouvelle https://www.mauvaisenouvelle.fr 600 300 https://www.mauvaisenouvelle.fr/img/logo.pngThéorie de la beauté
1/ Problématique, subjectivité individuelle.
Tout d'abord, pour me présenter dans ma subjectivité, voici mon poème le plus réussi qui exprime mon sens du beau :
Ange entre les anonymes
Ton chant intime à l'abandon
Il s'imagine d'une présence divine
Indifférent jamais je n'invoque son nom
Mais toi ô âme sœur, tendre prière
Tu es l'archet dont je suis le violon
De l'arbre mort dans le ciel d'hiver
Moineau inquiet qui s’élance
Fendant le froid et touchant le cœur
Je t'ai trouvé et reconnu ma chère fleur
Encore tu seras l'unique présence
Quand le ciel et les nuages du ciel
Peupleront mon dernier sommeil
Mon cœur bat au rythme de tes ailes
Et un autre en prose à propos de notre dame :
« Notre dame cette flèche qui brûle, digne et silencieuse, puis qui tombe d'un coup, c'est quasiment une femme que j'ai vu, elle est parti avec mes souvenirs, drôles de souvenirs, ceux de livres écrits il y a bien longtemps et que n'ai pourtant pas lus, d'autres enfouis, souvenirs de jeunesses, sur lesquels je comptais bien revenir un jour, d'autres enfin immémoriaux, en quelque sorte "Cosa Nostra" dont je ne saurais rien. »
La beauté n'est pas un concept c'est sa beauté. Elle ne se laisse pas enfermer par le verbe. Elle est libre, mais on peut tenter d'en esquisser un portrait. La question est la beauté est-elle objective ? Elle semble éminemment subjective, assurément il faut un regardeur pour qu'elle surgisse en lui. De prime abord elle est définie par la subjectivité donc il y aurait autant de beautés que d'individus ou individus semblables qui s'imitent les uns les autres. En généralisant la subjectivité on définit la beauté par la société, par les experts autorisés de la beauté.
Il y aurait dans le premier cas autant de beautés que d'individus ou de groupes d'individus semblables. Quant à la société immanquablement elle instrumentalise la beauté formelle pour habiller de séduction l'exercice du pouvoir qui est rarement beau par lui-même. Le pouvoir est nu dans ses intentions sans l'alliance avec l'artiste officiel. Il lui est utile pour imprimer ses normes tant l'art est naturellement porteur de valeurs, le beau est prescripteur et inspire confiance. Il est généralement tenu pour symptôme du vrai et du bon. Il est associé au goût, autre catégorie totale comme la beauté, on connaît bien son contraire le dégout qui indique qu'il faille s'abstenir et passer son chemin.
Au fond le beau est gratuit, instrumentalisé en publicité il dégénère en esthétique, en chic. Ce qu’on appelle aujourd’hui les codes. L’esthétique, la mode, soit "le chic", autrement dit la manière d'être officielle donc socialement admise et identifiable fait le passage entre l'art et la manipulation sociale, entre le symbolique et le politique.
La limite entre subjectivité et objectivité issue des sciences dures qui pose l'objet matériel hors de nous et objet d'étude par le sujet qui s'en sépare, est-elle opérante pour l'étude de la beauté ? Telle est la question. Car c'est un phénomène intérieur et extérieur en même temps. Au regard de la beauté il nous faut tenter d'objectiver un peu le sujet (l'observateur). Cela pour faire le passage du particulier de la beauté individuelle à la beauté générale, de la subjectivité individuelle à la subjectivité d'espèce.
Indéniablement chacun imprime un roman dont il est le personnage principal fait de culture, d'éducation et de talents, d'expériences bonnes et mauvaises, de rêves. Il est le personnage principal vivant dans son contexte non moins déterminant que sa constitution pour son histoire personnelle. Il en est le personnage principal en ce qu'il subit son destin et l'auteur en ce qu'il choisit pour une part, en poursuit donc l'écriture et s'observe. Une psychologie au fond est un roman imprimé qui fait de chacun un être unique.
Donc en l'état actuel des choses on ne peut rien dire de solide sur la beauté pourtant elle existe. Traiter de la beauté pose la question de la limite entre sujet et objet. Même si on tente de l'objectiver, elle restera un phénomène humain. "L'observateur est l'observé " disait krishnamurti. Tout est miroir, un tableau que l'on a choisi et avec lequel on vit et un miroir de son âme. Il s'agit d'objectiver le sujet regardeur, qui certes doit être satisfait consciemment et inconsciemment, au regard de la question de la beauté afin de trouver un dénominateur commun.
2/ Caractères de l'espèce humaine, subjectivité d'espèce ou cognitive.
Le principal trait de notre espèce est d'être non spécialisé au regard de la survie. Il nous faut fabriquer des outils, biologiquement nous sommes des artisans. Un félin à tout en lui constitutivement tandis que la main doit être prolongée d'un outil ou d'une arme. En général on méprise la perspective de la survie pourtant la vie est un surcroît de la survie tout comme l'art est un surcroît de l'artisanat que l'on méprise également. Sachant que le cerveau est au service du corps, le concept est le pendant cérébral de la main. Concevoir a deux sens, l'un cérébral, l’autre manuel. De même pour saisir. Il se peut que la syntaxe soit au service de la motricité notamment celle de la main. Au fond une phrase est une séquence motrice qui fait sens. Ce n'est pas abaisser l'homme, bien au contraire, si la conscience, prise en tant que phénomène, est un donné au service du corps, tout comme le corps elle ne peut que procéder d'une conscience plus vaste. On peut penser que la conscience est à l'homme non spécialisé ce que l'instinct est à l'animal. La nécessité et la possibilité de l'apprentissage est certainement un corollaire de notre non-spécialisation. Chacun qui a appris à conduire une voiture se souvient avoir été d'abord conscient des séquences motrices puis elles sont devenues un quasi-instinct.
Notre constitution est ontologiquement incomplète, non spécialisée, au regard de celle d’un félin, par exemple, qui a tout en lui vis-à-vis de la survie. C’est donc logique que notre cerveau produise du sens en réaction à l’environnement à chaque instant, notre perception n’est pas ou peu prédéterminée tout comme notre main est incomplète du point de vue de la survie si elle n’est pas prolongée d’un outil ou d’une arme. Biologiquement nous sommes des artisans, il nous faut nous spécialiser, tant individuellement que vis à vis du corps social. Rien n'est immédiat pour l'homme dans son environnement. Quand bien même il ait atteint un âge où il aura accumulé une expérience et une culture adéquate pour le décrypter, il lui restera, chaque jour, à élaborer et improviser des stratégies de survie adaptée. La peur qui est au fond l’émanation de l'instinct de survie prend donc logiquement pour notre espèce la forme de « la peur de l’inconnu. » Il en résulte cette production incessante de pensée. Le cerveau aime la cohérence et l'harmonie en lui et dans son environnement.
Production de pensées d’autant plus frénétiques qu’elles sont inefficaces en termes d’action, d’expérience acquise, et de résultat, tant sur le plan social que sur le plan intérieur de l’équilibre.
Les mots eux-mêmes sont des outils, des marqueurs de nos circuits neurologiques. Les neurosciences nous apprennent que la zone cérébrale qui régit le projet est proche de celle qui régit la motricité ou les motricités (LURIA). Ainsi « sens » a trois significations, les sens, le système cognitif, puis le sens, la rationalité et enfin la direction qui implique une notion de mouvement, d’action. Par analogie, assez proche du sens est le beau, le sens renvoie au beau pris en tant qu'harmonie cognitive et cohérence, à ce qui est intelligible, harmonieux, exploitable par les sens, ce qui plaît aux sens, les activent utilement, le contraire du chaos cognitif. Cela nécessairement en rapport avec le contexte si on généralise la question artistique aux affaires courantes. Le sens renvoie au beau, puis au vrai, la pensée adéquate improvisée en réponse aux stimulis et enfin au bon, le résultat de l’action afférente. Les trois notions étant prises de façon indissociable. Assez proche du mot sens, par sa polysémie, est le mot discernement, sauf en psychiatrie il fait l'objet de peu d'investigation. Il renvoie au sens visuel avec cette nécessité de distinguer une forme d'un fond chaotique de prime abord, cela avec une nuance utilitaire de survie. C'est, si on généralise, la faculté de décrypter une situation inédite pour lui donner une réponse adéquate. Le discernement est nécessairement une orchestration harmonieuse entre empathie, pensée, peur, expérience et surtout acte. L'indispensable acte juste qui nécessite courage autant qu’adaptation, rétroagit de façon totale sur l'ensemble du psychisme. L'acte est ainsi tout autant un paramètre que la finalité du discernement autre nom de l'équilibre. Clairement l'acte juste est beau, il fait régner l'ordre en soi et hors de soi, effacer la menace ne serait-ce qu'un moment parfois durablement.
Quand les idées ne sont pas vraies, les mots ne sont pas justes ; si les mots ne sont pas justes, les œuvres n’ont pas lieu ; si les œuvres n’ont pas lieu, la morale et l’art ne vont pas bien ; si la morale et l’art ne vont pas bien, la justice ne s’applique pas bien ; si la justice ne s’applique pas bien, la nation ne sait pas où elle doit poser son pied et sa main disait Confucius. Il a posé le premier un rapport entre sens et motricité
3/ Caractères généraux de la beauté, le beau, la contingence et l'éthique.
La conclusion de tout ce préambule est que la nature du concept est donc d'être utilitaire. « La pensée est matière » disait krishnamurti un peu succinctement. Justement la beauté est gratuite. nous connaissons maintenant l'intelligence émotionnelle versus l'intelligence rationnelle. L'intelligence émotionnelle comprend l'empathie, la faculté de se mettre à la place et plus généralement le ressenti qui ne juge pas sauf en termes binaires de bon ou mauvais, vrai ou faux. Elle permet de faire le bon choix pour le futur entre deux options rationnelles proches l'une de l'autre et entre lesquelles la raison qui les a élaborées ne peut trancher. On dit si on est attentif à son ressenti : « je ne le sens pas » et il vaut mieux écouter cette petite voix en général.
Au chapitre de la subjectivité individuelle pour la question de la beauté, ces deux intelligences sont parfois antinomiques mais ce n'est pas une fatalité. En effet si on tient le mental et l'instinct de possession réifiant pour images de la main dans le cerveau, pour une sorte de « main dans la tête »,on comprend l'importance de leur lâcher-prise pour la libération des émotions et l'élaboration des sentiments.
Si l'esprit critique est éveillé, il fera obstacle à l'élaboration et la libération du sentiment, il est donc préférable que l'artiste partage assez de références avec les regardeurs qui seront son public, c'est normal, nécessaire et non suffisant. Le propre d'un artiste c'est la faculté de véhiculer ses sentiments à travers une forme accomplie. Pragmatiquement pour que le jugement critique ne soit pas activé le plus simple est qu'il soit pleinement positif, que le système de valeurs du regardeur soit pleinement satisfait pour qu'il l'oublie un instant, il doit avoir sa part, ce qu'il requiert pour se taire.
A titre d'exemple et c'est injuste, les vierges à l'enfant sont mal perçues ou de façon distraite. le sentiment antireligieux ou la conception actuelle de la féminité rend indisponible le regardeur et fait écran en tant que jugement de valeur à l'activation des neurones miroirs de l'empathie que peut susciter les œuvres des maîtres du genre. Pourtant si on décontextualise, toute mère ne présente-t-elle pas fièrement son enfant au monde comme promesse d'un futur ?
Au fond ce qu'on exige de la beauté c'est un instant de silence du jugement, un instant d'ivresse osons dire un instant d'extase. Le mental est la grandeur et la faiblesse de l'homme. On veut constamment s'en débarrasser : transes, méditation, drogues… car il nous relie aux contingences de l'existence et de l'espèce. A défaut du silence intérieur des mystiques et de leur béatitude procurée par la contemplation de la vie, on veut au moins s'oublier un instant. Sur un mode mineur un collectionneur aguerri préconisait pour acquérir un nouvel objet d'art « il faut toujours collectionner selon son goût exclusivement et avoir un choc ». Même un collectionneur aguerri qui a manipulé des centaines d'objets, unis par le fil conducteur de son goût, veut encore être émerveillé par un choc esthétique. En outre cette notion de choc traduit le caractère immédiat de toute émotion.
On ne nie pas la question du relativisme de la psychologie individuelle pour tenter de cerner la beauté, mais c'est une impasse puisque chacun a un système de référence et un goût unique à satisfaire ou à ne pas contrarier pour conclure à la présence du beau. Ce qui compte c'est que tout le monde a un sens du beau, le beau existe donc en soi dans la généralité, au-delà ou en-deçà de la culture de chacun (le double sens de en soi est adéquat pour le beau).
Il existe des valeurs suffisamment générales pour mettre tout le monde d'accord comme un dénominateur commun. En excluant les pervers et les grands névrosés. On pense à l'harmonie, le vrai et le bon, ce peuvent être des attributs du beau ou des paramètres, sachant que le « tout est plus grand que la somme des parties » (Confucius). Cela, à la condition de les prendre ensemble. Sans vérité le beau est sans profondeur, il est décoration. La vérité n'est pas absolue mais associée au bon, elle est au moins relativement validée en terme de résultat. L'harmonie ou orchestration, dont on a un idée dans l'art et qui resonne en nous, qu'elle soit des couleurs, des proportions, des mots, des notes ou des saveurs est l'autre nom de l'étant. Tout ce qui existe procède d'un ordre interne, d'une composition, du minéral à l'organique. Composition que l'on peut qualifier d'harmonie statique ou dynamique, le cerveau aime aussi l'harmonie pour lui-même. La justice est la somme du vrai et du bon. Juste a deux sens. Si on prend ensemble ces catégories et deux par deux car elles interagissent, harmonies de toutes sortes, bonté et vérité, une sorte de portrait général du beau apparaît. Tout le monde s'accorde sur le fait que le beau est gratuit, libre de toute contingence et déterminisme. Osons dire transcendant. On a même abusé de cette définition en perpétuant la haine de l'académisme en raison de son hégémonie d'art officiel longtemps après que la technique académique fut oubliée et alors que l'art conceptuel a pris sa place d'art officiel.
En conclusion le vrai est l'apanage de l'intelligence rationnelle. Le bon, distinct du bien dont la connotation morale ressort du vrai, est celui de l'intelligence émotionnelle. L'harmonie satisfait les sens et l'ensemble de l'âme en tant qu'elle est cohérence, quand tout est satisfait de façon bien orchestrée alors surgit la beauté qui est un phénomène total et une célébration de la vie en soi.