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Carnet de prison de Christian Molinier

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Emprunté à la Médiathèque d'Angers le Carnet de prison de Christian Molinier, intrigué par la qualité littéraire de ce livre, et pour cause, en le parcourant j'ai découvert que cet auteur n'était pas un prisonnier ordinaire mais un professeur de sociologie. Il a séjourné à la maison d'arrêt d'Angers qui n'a rien à voir avec un hôtel comme certains le pensent. Dans le cadre de mon travail, j’ai pu découvrir l’univers carcéral de cette sinistre prison, construite au milieu du XIXème siècle ; en lisant les quelques descriptions, cela m’a remémoré cette angoissante atmosphère.

L’auteur pensait avoir tourné la page avec la prison mais il a retrouvé trente après, un carnet où il avait tenu un journal après son procès. Hélas une autre partie de ce journal a été perdue. Son journal n’est pas sombre, pourtant il a été très lourdement condamné pour une supposée tentative d’assassinat. Ce journal est très plaisant à lire, surtout pour les amateurs de ce genre. Sur cette distance vis-à-vis de son enfermement : « Prendre modèle sur Chamalov, sur le calme et le détachement méthodique de sa prose. »

« Il est essentiel de ne pas se révolter, ou plutôt de ne pas être révolté, emporté par la révolte. (…) Pourquoi suis-je sans révolte ? La prison m'a inculqué l'idée de l'inutilité de la révolte. La révolte, ici, c'est l'autodestruction. »

Sur la justice pénale il n'est pas tendre, celle-ci ayant perdu « toute crédibilité et toute autorité morale » :

« Il n'est pas rare qu'elle prononce des peines de détention pour des délits mineurs, par exemple des délits d'opinion ou de presse, alors que dans le même temps elle laisse en circulation des individus dont elle connaît la grande dangerosité. » D’ailleurs il est conscient qu’au fil des années la délinquance a changé de nature, c’est « une délinquance de masse issue de sous-populations criminogènes, unies par une solidarité ethnique, culturelle et religieuse. » un vocabulaire très prudent !

Sur ses idées politiques : « Ainsi le bruit répandu au palais de justice selon lequel je serai un gauchiste, peut-être un terroriste (alors qu’hostile à toute idéologie j'en suis à peu près le contraire). »

Une anecdote intéressante : Dans la cave de la maison d’arrêt, un des rares compagnons de cellule découvrit une caisse de documents en allemand où « les pères des magistrats actuels (…) avaient condamné des résistants, puis la guerre finie, ils avaient condamné à mort de nombreux collaborateurs, réels ou supposés (…) » Sans aucun doute il valait mieux que ces documents restent cachés dans ces caves « où aucun chercheur malintentionné ne viendrait exhumer les secrets d’un autre âge. »

Beaucoup de réflexions que j’ai noté :

  • « Plus un pouvoir a conscience de sa propre illégitimité, plus il est agressif à l'égard de l'extérieur. »
  • « Le principe de l'incapacité de comprendre, c'est la certitude. »

Au fil du temps il nous livre aussi ses lectures et citations : Milan Kundera, Stendhal, Céline, Oberman de Senancour, le Japon moderne et l'éthique samouraï de Mishima, la vie d’un idiot d'Akutagawa… L’auteur préfère les livres à la lecture d’un journal car selon lui « c’est perdre son temps » ; pourtant, il me semble qu’en prison on a beaucoup de temps à perdre. Évidemment la place de bibliothécaire qu’il convoitait a été confiée à un illettré.

Un témoignage passionnant, sans langue de bois sur l’univers carcéral, la justice et aussi le journalisme.

Carnet de prison, Christian Molinier, Editions L'Anabase


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