Portrait d’un dissident secret, Claude Ollier
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Les choses ont leur secret, les choses ont leur légendes, les choses murmurent si nous savons entendre (1), … la pierre a du cœur puisque qu’elle fait des murs (2), on peut faire le portrait d’un écrivain à travers sa maison, car un écrivain est souvent un revenant. Il hante ce qu’il a fréquenté, ceux qu’il a fréquenté. C’est ce que fait Christian Rosset avec Le dissident secret, publié aux éditions Hyppocampe. Il entre le dernier dans la maison de Claude Ollier, son ami, et tout lui revient. Les sons, les gestes, les voyages, les livres, les phrases. Tout ce qui tisse l’énigme d’un homme, d’un écrivain. Christian Rosset se met à l’affut des palpitations du lieu, Maule, cette maison des Yvelines, Maule, il y perçoit le silence, le risque de l’oubli, la tentation d’un abandon de la littérature. Il est temps pour lui de livrer son portrait de Claude Ollier contre l’oubli. La maison bigarée est un labyrinthe, le portrait que Christian Rosset fait de l’auteur est un portrait à trous, un peu cubiste avoue-t-il.
C’est en juillet 1975, à l’âge de 19 ans, que le jeune Christian Rosset passionné d’expérimentations musicales et plastiques rencontre son aîné Claude Ollier, 53 ans alors. A partir de ce moment une longue discussion faite de pérégrination, de voyages, de visites, de coups de téléphones, de jeux de société, de films, commencent et s’éternisent jusqu’à la mort de l’auteur. Christian Rosset dit à Claude Ollier : « Ce qui m’a toujours plu, c’est que certaines de tes pages semblent avoir été traduites d’une langue autrefois vivante ; mais aujourd’hui perdue, composée d’idéogrammes, de signes gravés sur des tablettes d’argile, ou tracés à la main sur du sable en plein désert. Ainsi ces pages sont-elles d’autant plus inoubliables que vouées à l’oubli. D’une fragilité inouïe et d’une résistance exceptionnelle. » Il récolte le rire de l’auteur. Le rire de Claude Ollier est comme unique réponse à toutes les questions formées à sa rencontre. Le rire comme marque de son extrême pudeur. Dès lors comment mettre à nu un homme d’une extrême pudeur ? On ne le peut pas. C’est soi-même que l’on dépouille pour mieux le recevoir.
On retient un temps qu’Ollier est considéré comme le fondateur du mouvement du Nouveau Roman, ce mouvement né au cœur d’une conversation avec Robbe Grillet. On retient surtout qu’il en fut un dissident par liberté. Tout en cherchant à évacuer le romanesque de ses écrits tout au long de sa vie, l’auteur d’Une histoire illisible, sur la fameuse photo de 1959 regroupant les auteurs du Nouveau Roman, se mettait déjà à l’écart pour mieux observer. Dissident par nature. Il se met à l’écart et à l’écoute du monde, à l’écart pour être à son écoute. L’écrivain est un intermittent du spectacle de la vie, il est dans les coulisses. Si certains de ses livres parurent aventureux, irrécupérables, ils en étaient d’autant plus des objets de jouissance, porteur de ce sentiment de la disparition imminente de la littérature.
De retour dans la maison, nous comprenons à travers le portrait que trace Christian Rosset, que l’Ollier fut comme un moine écrivain. Il a décidé d’avoir une unité de vie autour de l’écriture. Il fut écrivain à plein temps. Donc pauvre. Il se contente du strict minimum et cultive une certaine austérité malgré les murs aux couleurs vives de sa maison. C’est ainsi que tout parait ici modeste et en même temps terriblement hanté. Les murs sont punaisés d’affiches qui se dégradent. Ollier n’avait aucun regret concernant l’usure, la dégradation des choses. Il laisse faire. En effet, entretenir serait peut-être une façon de nier à la fois la vie et la mort. Ainsi Christian Rosset parle de son ami : « De nature peu mondain, retiré au plus loin des places fortifiées où se traitent les affaires courantes de l’écriture romanesque, bien plus solitaires que les professionnels de l’érémitisme. »
Christian Rosset le spécialiste des sons, des émissions radiophoniques, ne peut pas errer ainsi dans la maison sans se souvenir de la voix détimbrées, atone, sourde, mezzo piano, de Claude Ollier, qui lui conférait une force paradoxale, puisqu’elle contraignait l’auditoire à tendre l’oreille, à faire silence. La maison est une caisse de résonnance de tout un monde sonore. C’est également l’occasion pour le portraitiste de se souvenir des voyages entrepris avec Claude Ollier. C’est ainsi que Christian Rosset associe voix intérieure et appel du large. Il se souvient de l’écrivain qui rit face au danger. Rien ne peut lui arriver, puisqu’il écrit… A la fin de sa vie, Ollier, l’écrivain à temps plein, manifeste pourtant un détachement vis-à-vis de ses livres. Il faut dire que pour lui, pessimiste absolu, l’homme est le grand raté de la création.
On ressort de la lecture de ce portrait de Claude Ollier par Christian Rosset avec la furieuse envie de rencontrer l’auteur énigmatique, libre, austère et rieur. Un écrivain est un homme singulier et pourtant insaisissable. L’homme qui se met à nu à travers son art reste toujours une énigme. Voilà le paradoxe de celui qui se dissimule à mesure qu’il se livre de livres en livres. Ollier fut un cachotier qui sema pour être découvert par petites touches par ses amis, par ceux qui le lisent. Prenons au hasard quelques centimètres sur les 61 cm linéaires de livres écrit par Ollier dans la maison des souvenirs, Maule, et lisons les en parallèle de ce beau livre, Le dissident secret, de Christian Rosset, publié chez Hippocampe éditions. Quelques photos vous montreront le lieu de l’écriture, le lieu qui murmure.
Notes
- Barbara – Drouot
- Claude Nougaro - Chanson pour le maçon