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Romain Olive, défricheur de Christ

Romain Olive, défricheur de Christ

Par  
Propos recueillis par Maximilien Friche

Mauvaise Nouvelle : La première chose qui frappe dans votre œuvre est la présence régulière de visages christiques ou d’éléments de la Passion. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous conduit dans cette voie ?

Romain Olive : On peut véritablement parler d’obsession christique me concernant. Et la question qui m’a le plus perturbé, le plus habité, c’est le mystère de la Passion, ce chemin du calvaire à la Résurrection. Je ne sais pas pourquoi c’était une obsession. C’est comme l’intuition que dans la Passion réside la vérité sur notre être.

En fait, j’ai baigné dans trois religions différentes du fait de mes ascendants familiaux et il a fallu que je trouve une place qui me soit propre. J’ai toujours été très attiré par les églises, la tranquillité qui y régnait. La croix se posait en énigme. Pourquoi célébrer une telle souffrance ? Il fallait que je comprenne. Il y a une répulsion instinctive face à la mort et à la souffrance du Christ. Il y a un mystère de la souffrance, pourquoi est-elle nécessaire, pourquoi elle sauve ?

Après la Résurrection, tout a été dit, je ne peux me situer comme artiste, pour me dire et dire quelque chose de l’être, qu’avant, à la Passion et dans la nuit du samedi saint. Je crois que l’on trouve par cette souffrance l’accomplissement de l’incarnation totale, de notre condition humaine. On s’y retrouve pleinement. Il y a un effet miroir de la face du Christ, j’en suis persuadé, on se voit en lui. Je me peins en lui bien souvent. Le Christ a représenté pour moi une quête métaphysique et spirituelle. C’est quelque chose de très intérieur, j’ai besoin de sentir le Christ à l’intérieur de moi. Comme si j’essayais d’intérioriser l’immatériel. Je me projette beaucoup dans cette figure mais je pense que tout le monde fait ça.

MN : Votre peinture est saturée de ratures, d’une grille qui évoque la trame, le piège… Par la brisure du dessin, l’éclatement, on croit reconnaître la structure du vitrail.

RO : Je ne me rends pas compte de la dimension de piège, c’est sans doute inconscient. C’est impulsif, très brut. Au bout d’un moment, le tableau s’échappe de toute façon. Il y a plein de moments où, moi-même, je me sens piégé. Dans le processus de création, tout est rattrapable, rien n’est jetable. Je recycle mes erreurs, c’est aussi comme ça que l’œuvre m’échappe.

Dans mes tableaux en noir et blanc, je guette, je décide, je retire pour adoucir, c’est arrivé parfois que je frotte jusqu’à trouer le papier. Je cherche l’usure. Pour ce qui est du vitrail, vous avez raison. La différence est que je cherche à ce que la lumière soit toute intérieure au tableau pour mieux aller vers celui qui regarde vers l’extérieur. C’est pourquoi je n’aime pas la brillance, je trouve que le vernis amène un biais dans le regard, un éblouissement dans lequel le tableau disparait en partie. Le vernis ment. Il faut que la couleur brille d’elle-même. Je mâtifie donc avec application voire obsession.

MN : Comment est venue la peinture, le dessin dans votre vie ?

RO : Je suis chanteur de musique médiévale. Mais il y avait un trou, quelque chose me manquait. En vieillissant, mon mode d’expression est devenu la peinture par une nécessité de me replier, j’avais besoin de me retrouver seul avec le papier. Si je fais du figuratif, ce qui est en rupture avec l’art contemporain, c’est sans doute mon goût pour les choses anciennes, lointaines comme avec la musique médiévale. J’ai ressenti quelque chose de fulgurant avec la peinture. C’est comme un face-à-face avec soi. Le dessin pour moi fonctionne comme un miroir. Il y a un vrai mystère du langage artistique. C’est comme écrire. Je trouve que l’écriture et la peinture sont très liées, ce n’est pas pour rien si mon support est d’abord du papier. Et s’il fallait trouver une correspondance entre écriture et peinture, je dirais que ce je fais s’apparente à la poésie. C’est comme quelque chose qui défile en nous, un mouvement obsessionnel. Et on ne sait pas pourquoi. La peinture contemplée, seule, est réponse.

MN : Quel lien entretenez-vous avec les peintres qui vous ont précédé, comment vous inscrivez-vous dans cette filiation ?

RO : A 17 ans, je suis tombé amoureux du Caravage qui floutait tout dans ses œuvres, qui démultipliait des formes, on y voyait la lenteur et ça me fascinait. Je ne me pose pas de questions, je me contente de contempler. Pour moi, le musée fut et continue d’être une grande source d’inspiration. Je me dis que finalement, il y a un fil qui nous relie tous. Je trouve fou de découvrir encore aujourd’hui des peintres comme Rouault que je ne connaissais pas alors que je sens l’existence d’une ligne entre nous, un lien inexplicable.

La peinture est pour moi le lieu d’un paradoxe, puisqu’elle est l’illustration d’un amour de la vie dans quelque chose qui ne vit pas, dans une espèce de théâtre d’objets. La peinture, c’est l’amour du vivant dans ce qui n’a pas lieu d’exister. Il y a quelque chose qui relève de la réanimation dans la peinture et donc de la Résurrection. Etre humain, c’est être incapable d’accepter le vide, être attaché à la chair. C’est pour ça que les reliques sont importantes et que vous les retrouverez dans mes peintures. Les reliques, c’est ce qu’il reste après la vie et continue de manifester ce qui fut incarné. Ce n’est rien d’autre que de la mémoire, la possibilité d’un mémorial.


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