30 ans d'aberration pédagogique
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L'application d'une méthode unique a permis à l'humanité de se développer pendant des siècles : observation des maîtres par les élèves, décomposition du geste technique en parties élémentaires, répétition de chaque partie puis du geste dans son ensemble, compréhension de la signification du geste, modification éventuelle du geste pour amélioration. Ce qui vaut pour le geste vaut pour la pensée.
En Égypte, les scribes passaient leur enfance à mémoriser un grand nombre de signes et à les tracer sur des tablettes. Puis ils recopiaient des contes. La méthode utilisée pour l'apprentissage de la lecture du VIIIème siècle avant JC jusqu'au début du XXème siècle est la méthode syllabique. Dans l'ordre : les lettres, les syllabes, les mots puis les phrases. Simple et logique. En musique, tous les grands génies sans exception ont appris en recopiant des partitions de leur prédécesseur. La méthode la plus efficace pour apprendre à lire les notes est de lire à haute voix des exercices à deux notes, puis à trois notes, quatre notes, etc. Au Karaté, au Taïchi, l'élève doit apprendre à refaire les gestes réalisés par le professeur avant même de les comprendre. Au Japon, on ne dévie guère de cette méthode : l'apprentissage commence avec l'obtention de la ceinture noire, la compréhension profonde des gestes appris avant ce stade est illusoire et vaine. Les enfants adorent d'ailleurs, de façon innée, reproduire ce qu'ils ont vu faire.
Certes, il semble raisonnable de modérer la radicalité de l'apprentissage brut : donner dès que possible du sens à ce que le fait contribue sans doute à sauvegarder la motivation de l'élève. Comme le dit Confucius, "apprendre sans réfléchir est peine perdue et réfléchir sans apprendre est dangereux". Mais s'il est important de faire réfléchir l'élève sur ce qu'il a appris, il est imbécile de faire réfléchir l'élève sur ce qu'il n'a pas appris du langage et du code inventé au cours des siècles par l'humanité pour comprendre le monde. Si réfléchir rend plus agréable et facilite l'apprentissage, apprendre est en revanche incontournable pour bien réfléchir.
Tous les chercheurs savent bien qu'il n'existe qu'une méthode pour avancer sur une question : apprendre et comprendre la réponse que les autres y ont apporté, voir si cela répond au problème posé. Si cela n'est pas le cas, et alors seulement dans ce cas, essayer d'inventer autre chose. Tout retrouver soi-même à partir de sa propre base de connaissance ne conduit qu'à l'échec. Cette méthode n'est fructueuse que pour un maître aguerri dominant déjà tous les écrits existants (à force de temps passé à les travailler, les recopier et les expliquer à haute voix). Ainsi donc même ceux qui sont dans une démarche de création, appliquent au quotidien cette simple méthode : recopier, assimiler, extrapoler. Cela rejoint d'ailleurs les travaux sérieux sur les sciences cognitives qui démontrent le caractère profondément Bayésien du fonctionnement du cerveau humain1.
Mais en France, depuis les années 80, l'éducation nouvelle est à l'œuvre. Au mépris de 18 siècles d'enseignement de la lecture et de l'écriture, de la seule et unique méthode utilisée par les créateurs dans tous les domaines, un petit groupe d'intellectuels de pacotille regroupés dans l'Institut de Recherche Pédagogique2, a pris en otage plusieurs générations d'enfants dans un délire de refondation totale de l'acquisition du savoir. Ces idées trouvent leur origine chez Rousseau (dont on sait à quel point, l'application de ses méthodes éducatives à ses propres enfants étaient remplies de succès), passent par Jean Piaget, Jean-Ovide Decroly et Celestin Freinet, puis aboutissent, avec Eveline Charmeux et Jean Fourcambert dans les années 1980, à l'imposition de la méthode d'apprentissage globale de la lecture : méthode dite idéovisuelle ou comment deviner les mots sans rien connaître. Il semble pourtant difficile de stopper ce sacrifice de génération pour le plaisir intellectuel de quelques méta-enseignants, théoriciens de l'enseignement qui projettent sur des cerveaux d'enfant des délires constructivistes. Deux raisons à cela : le lavage de cerveau des enseignants réalisé par l'INRP pendant des années et la persistance dans le corps des inspecteurs de quelques ayatollahs de ces méthodes. Les dernières études sur le niveau scolaire français montrent une régression : celle-ci ne touche pas vraiment les élèves les plus brillants, à part en orthographe justement. En revanche, les élèves de niveau faible3 sont de plus en plus dépassés, en raison d'une déficience en lecture et en écriture justement. Il semble que les ayatollahs veillent toujours : les méthodes mixtes sont toujours appliquées. Il est grand temps qu'un ministre ait le courage de faire cesser cette mascarade et impose la méthode syllabique qui a fait ses preuves pendant des siècles. Et tant qu'à réformer, dans l'ensemble des disciplines, mettons fin au délire consistant perpétuellement à faire redécouvrir par lui-même à l'élève ce que l'humanité a mis des siècles à comprendre. Un professeur doit expliquer, un élève doit écouter, assimiler, répéter et s'exercer. Et tout cela peut se faire dans un respect mutuel. Les génies d'hier sont nés ainsi, cela fonctionnera également pour les créateurs de demain.