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Radicalité contre radicalité

Radicalité contre radicalité

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La radicalisation des opposants au projet « Taubira » ne doit pas étonner, encore moins inquiéter. Il faut en chercher la cause dans le caractère très radical de l’ambition portée par ce projet que Mme Taubira présentait elle-même comme un « changement de civilisation ».
Qu’y a-t-il donc de si radical dans ce projet ?
Pour le savoir, il faut se reporter d’abord à un livre fort instructif paru en 1979 sous le titre La vie avant toute chose. L’auteur Pierre Simon est un politicien, gynécologue, qui fut membre du cabinet de Simone Veil et co-fondateur du Planning Familial. Il y constate que la science a changé la notion même de vie :
« Si la première grande victoire de la médecine fut de faire reculer la mort, la seconde sera de changer la notion même de vie. »1 Quel est ce changement ? Il s’agit de passer d’une conception de la vie comme « don » à celle de la vie comme matériaux : « Cette vie qui nous vint si longtemps d'un souffle de Dieu posé sur notre argile, c'est comme un matériau qu'il faut la considérer désormais. Loin de l'idolâtrer, il faut la gérer comme un patrimoine… »2
Le but n’est pas machiavélique, il s’agit de rendre les gens heureux : « Il ne s'agit plus de guérir mais de conduire au mieux-être et -pourquoi pas- au bonheur »3
La vie n’est donc plus quelque chose de donné, qu’il s’agirait de respecter, mais un produit qu’il nous faut gérer.
« La vie est ce que les vivants en font : la culture la détermine. Sa trame n'est autre que le réseau des relations humaines. Le fil des jours la tisse. La culture n’est donc pas ce qui s’ajoute à la vie : le concept de vie mûrit en elle. Ainsi mais ce n'est qu’un exemple - la façon dont les sociétés successives, à l’échelle de l’histoire, abordent des affaires aussi graves que l’avortement, suffit à rappeler la prééminence de la société sur l’individu. Ce n’est pas la mère seule, c’est la collectivité tout entière qui porte l’enfant en son sein. C’est elle qui décide s'il doit être engendré, s'il doit vivre ou mourir, quel est son rôle et son devenir. »4
Ainsi la mère véritable est la société. On comprend alors cette étrange volonté de gommer de notre vocabulaire le nom de « mère », qui signifie encore trop un lien biologique. La mère du vivant est celle aussi qui décide de la vie.
Le rêve que porte Pierre Simon, c’est de faire advenir une humanité nouvelle dans laquelle la société serait cette divinité immanente qui assurerait le bonheur de ses membres.
Le livre de Pierre Simon décrit comment cette humanité nouvelle doit naître en s’appropriant la vie, et en particulier la source de la vie qu’est la sexualité. A terme, la sexualité doit devenir une variable défaite de toute attache pour consacrer le règne de l’individu.
Voilà bien ce qui est radical : le projet « Taubira » s’inscrit dans une individualisation absolue de notre société, qui passe par le rejet même de la nature sexuée et donc conjugale de la personne humaine. La théorie du Gender imposée à tous est à l’évidence l’arme idéologique de ce projet. La sexualité doit finalement devenir une simple fonction hédonique, laissant la procréation aux bons soins des biotechnologies et libérant l’individu des liens qu’il n’a pas choisis.
Si l’on devait chercher des antécédents à cette conception de Pierre Simon, il faudrait les chercher dans les courants féministes américains dont Margaret Sanger fut une éminence grise et le vecteur des attaques marxistes contre la société occidentale : « La famille conjugale moderne est fondée sur l'esclavage domestique, avoué ou voilé, de la femme, et la société moderne est une masse qui se compose exclusivement de familles conjugales, comme d'autant de molécules »5, explique Engels.
S’il y a radicalisation, c’est parce que l’attaque est radicale : d’un côté une attaque contre la famille conjugale pour saper les fondements de notre société judéo-chrétienne, de l’autre une poussée individualiste fondée sur le rationalisme le plus absolu, qui prétend faire de chacun de nous un individu dont l’identité est une pure construction historique, socialement déterminée, que l’État doit gérer au moyen de la science. Il s’agit pour elle comme pour Pierre Simon que la société prenne en charge la vie et sa reproduction : « Aucune femme et aucun homme n'aura le droit de devenir parents sans un permis de parenté »6, écrit Sanger en 1934 dans le magazine American Weekly.
La fonctionnalisation de la parentalité et la fictionnalisation de la filiation que propose la loi Taubira s’inscrit avec tant d’évidence dans ce projet de « changement de civilisation » que la radicalisation de l’opposition qu’il suscite est plutôt un signe de bonne santé de ceux qui, parmi nous, sont conscients de ce qui se joue : la migration vers une civilisation hyperindividualiste dont toute identité non construite serait bannie au profit d’une autonomie absolue de chacun régulée par la seule loi.
Cet enjeu, Pierre Simon l’expose avec lucidité :
« On peut schématiser en deux alternatives opposées le devenir de la société occidentale, et imaginer deux modèles extrêmes vers lesquels elle peut tendre et où la sexualité n'interviendrait que comme une variable parmi d'autres. D'un côté, une société hypercomplexe, à forte cohésion interne, qui aurait su intégrer la libéralisation des mœurs tout en maintenant la structure familiale de base, qui aurait su également supprimer les tensions de toutes sortes génératrices de déséquilibres et de frustrations, capable d'une grande tolérance à l'égard des déviances. Cette sexualité épanouie ne peut se concevoir que dans un contexte économique, politique et moral serein. Elle présuppose en particulier la capacité des sociétés occidentales à renouveler leur "image du monde", à formuler de nouvelles fins collectives, à s'inventer une nouvelle morale.
À l'autre extrême, une société en voie de désintégration, incapable de préserver ses institutions (y compris l'institution matrimoniale), incapable de surmonter les conflits d'intérêt et de valeur, où la dévalorisation des relations sexuelles serait un des aspects de la dépréciation plus générale des rapports humains. Ce modèle ne peut être que celui d'un état transitoire ayant toutes les chances de déboucher à terme sur une société à pouvoir totalitaire de type fasciste »7

Davantage que la radicalisation des « anti mariage gay », c’est l’étonnement qu’elle suscite qui devrait nous étonner : quoi d’autre en effet y a-t-il au bout de la PMA, de l’adoption plénière par des personnes de même sexe, de la GPA, que cette production par la science et l’État de l’individu absolu, sans autre lien que ceux que la volonté individuelle ou générale a construits : en modifiant la filiation pour en faire un pur produit juridique, on fait de chaque enfant une pupille de la Nation. En prétendant « déconstruire la différence sexuelle », on fait de chacun un individu asexué pour qui le sexe ne sera qu’un objet de consommation. En rejetant toute identité naturelle au profit du « tout culturel », on enferme l’individu ainsi formé dans un relativisme qui le livre entièrement au pouvoir illimité du politique. N’est-ce pas radical ?

  1. Pierre Simon, La vie avant toute chose, page 13
  2. Pierre Simon, La vie avant toute chose, page 16
  3. Pierre Simon, La vie avant toute chose, page 13
  4. Pierre Simon, La vie avant toute chose, page 15
  5. Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État
  6. Magazine American Weekly (1934) : M. Sanger y publie son « American Baby Code »
  7. Pierre Simon, La vie avant toute chose, pages 226-227

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