Hadlen Djenini : L'Alchimiste des Mots
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Hadlen Djenini : L'Alchimiste des Mots
Dès l'entrée dans Et cetera… (Poèmes et proses), le Prologue donne le ton. Hadlen Djenini ne vient pas nous chercher avec des mélodies doucereuses, mais avec l'urgence d'une « mémoire fortuite ». Le poète est un possédé, « interpellé » par les mots, dont il « ne connaît ni le début, ni la fin ». Il ne contrôle pas, il incarne : « entre en moi et je deviens cet autre ! » C'est puissant, presque chamanique. On est loin du petit lyrisme égoïste ; on entre dans un laboratoire alchimique où l'identité se transmute.
Cette quête de l'autre soi est le fil rouge. Dans Anamorphose, le miroir ne renvoie pas une image nette, mais un « brouillard », un « autre vêtu d’opaque buée » qui « rugit dans la sueur de mon reflet ». La formule est magnifique de violence contenue. Le moi est une créature instable, « un tout vêtu de rien », une « exhalaison ». C'est une vision angoissante et profondément honnête de la condition humaine.
Hadlen Djenini excelle à trouver la grâce dans le conflit. Ainsi Flora : la fleur est « aussi fragile qu’un souhait », mais elle « fleurit à contre-courant ». C'est la devise du poète, et peut-être de tout artiste dans un monde « féroce ». C'est dans cette tension que naît la beauté, une beauté qui n'élude pas le combat.
Même les décors les plus triviaux deviennent des scènes existentielles. L'évocation du bistrot n'est pas une simple peinture de genre nostalgique. C'est un « monde à part, triste aparté », un lieu où l'humanité se réfugie dans le cliquetis des « flipper » et le grésillement d'un « vieux poste de télé ». L'auteur y capture l'âme des solitudes modernes avec une justesse qui fait mal.
Et puis, il y a ce moment de génie dans Papier buvard, où le processus créatif, fait de « Fautes, ratures », est interrompu par la soudaine collision d'un « rossignol » sur la baie vitrée. L'image est fulgurante. Soudain, le monde extérieur, sauvage et libre, vient se cogner à la cage de verre de l'écriture. Le poète, enfermé dans son labeur, « voit l'extérieur et ma liberté ». C'est tout le drame de l'artiste résumé en une scène.
Ne vous y trompez pas, derrière les thèmes de la nature et de l'amour, le véritable sujet de ce livre, c'est le langage lui-même. Exutoire en est le manifeste. C'est un poème-rasade, un débit incontrôlable qui célèbre et questionne la matière première du poète : « Des mots, toujours des mots ! ». « Des mots qui piquent/ Et poétique. / De simple mots, / Quelques grands mots, » Djenini désacralise et resacralise dans la même respiration. Il reconnaît la vanité potentielle des mots (« rien que des mots ») tout en affirmant leur puissance fondamentale.
Cette quête du verbe culmine dans une interrogation spirituelle. Dans Flora, il demande :
Et la beauté m'appelle,
Quand le divin m'interpelle !
Suis-je la vie ? Dans toute sa poésie ?
La réponse n'est pas donnée, elle est vécue dans l'acte d'écrire. Jusqu'à cette confession troublante de Métamorphose : « Je suis un saint aussi malsain que le divin ! ». Voilà une formule qui claque comme un étendard. Elle résume à elle seule l'ambition de cette poésie : embrasser la contradiction, chercher le sacré dans les zones troubles de l'être.
Et Cetera s'achève sur Oblation, un poème dur, sans fard, qui révèle « l'enfant de Malchance, Privé d'innocence ». La blessure originelle est ici racontée avec une brutalité glaçante :
Quand les gamins jouaient,
Je me faisais frapper.
Habitué au coup,
assidu comme un toutou.
Pire est la résignation intériorisée : l'enfant se convainc que cette douleur était « bien normal » et « bien méritée ». De cette crucifixion intime naît le salut. Acculé dans « le coin du mur », il découvre « l'azur des autres contrées » et trouve son arme absolue : l'imagination. Pour « fuir l'horreur », il se met à « danser, dans la nuit en secret » et, surtout, à réciter « à tue-tête, de jolis poèmes sur des airs de fête ». Cette clé de voûte sombre de l'édifice révèle la source de cette écriture qui cherche à la fois à panser et à révéler. La poésie n'est plus un simple choix esthétique ; elle est une cicatrice et un chant de guerre, une oblation où l'on offre sa douleur pour en faire une liturgie personnelle.
Et Cetera n'est pas un doux bain de poésie. C'est un miroir brisé tendu vers soi. En refermant ce livre, on comprend que chaque vers, chaque interrogation sur les mots, chaque recherche de beauté est irriguée par cette source première : la nécessité vitale de transformer le plomb de la souffrance en l'or fragile d'un « poème de printemps ». C'est un premier recueil qui possède la force et l'audace des œuvres nécessaires. On lui pardonne tout, les raideurs comme les excès, devant l'authenticité criante de sa voix. Hadlen Djenini est un auteur à suivre, absolument.
Hadlen Djenidi, Et cetera… Poèmes et proses, 2023, Write Editions.



