Robert Valbon : rassasié de souvenirs et d’existence
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Robert Valbon : rassasié de souvenirs et d’existence
De source est le roman d’un pèlerinage vers l’enfance. Il prend la forme d’un road trip, c’est-à-dire d’une pérégrination qui prend aux tripes ! Le héros du roman part à la recherche du lac de son enfance. Et dès le début, nous fréquentons un homme qui ne cesse jamais de cogiter. Sur sa moto, évadé de Paris sur les routes départementales, il fait les questions et les réponses, et tente de refaire le monde comme on le fait au bistrot, mais tout seul. Il dénonce pour lui-même la ploutocratie généralisée, le monde qui se laisse gouverner par le mensonge. Ces colères internes le remplissent alors même qu’il ne saisit plus son essence, alors même que les souvenirs disparus lui ont fait perdre son identité. « L’aliénation collective devrait convenir à un amnésique. C’est l’inverse ; je n’assume pas l’effacement du réel. »
Vivement qu’il puisse enfin se dédoubler pour enfin nourrir une vraie conversation ! En arrivant, il passe devant un site relooké en décor de loisirs avec une espèce de lac domestiqué par l’homme pour les loisirs. Que du faux encore ! Il faut donc aller plus loin, il faut donc grimper plus haut, résolument aspiré par la verticalité. Cherche-t-il l’ivresse de l’altitude ? « En montagne, les vieux souvenirs fondent lorsqu’arrive le printemps. » Et pourtant, il retrouve son enfance autour d’un lac asséché. Ici, sa solitude est une grâce. Il fait pourtant la rencontre d’un petit garçon qu’il peine à reconnaître. « Ma première réaction face à l’étranger est la confiance. » Cela se confirme lorsqu’il se rencontre lui-même, étranger à lui-même. Ce petit garçon n’est autre que lui enfant.
Au cours de sept descentes depuis le lac asséché, Robert Valbon met en scène un dialogue entre l’adulte et l’enfant qui grandit petit à petit jusqu’à devenir jeune adulte. Le héros reconstitue ainsi son histoire et sa psychologie. Le récit frôle la poésie, on passe comme de l’autre côté du miroir au bord du lac asséché, on finit dans un écheveau touffu de souvenirs. Au fil des sept descentes, le garçon qui marche au côté de l’adulte vide de souvenirs et plein de colères grandit, sa croissance épouse la gravité terrestre. C’est l’enfant qui mène la discussion véritablement, il se raconte et questionne ce qu’il est devenu, il s’incarne comme un moulin à questions. Il ne faudrait jamais trahir la soif qui habite notre enfance, notre curiosité. « J’étais bien tranquille, isolé dans ma surdité de l’instantané, reclus dans mon Elysée de la permanence. » Le héros adulte, lui, interroge ses souvenirs pour questionner le présent. Chacun est dans son présent, constamment. « Ma présence réfléchit la sienne et vice-versa. », se dit l’adulte. S’il fallait faire un bilan, il serait finalement très banal : « L’enfant qui s’ennuie rapidement et se lasse de ses jouets devient l’ado qui gâche son potentiel, puis l’adulte qui abandonne ses projets en route. » Comme tout être, plein de talents et de doutes.
La nature avec ses cycles n’est pas pour rien dans la possibilité de se retrouver. Les descentes répétées comme un pèlerinage à rebours depuis le lac de l’enfance sont le chemin de la réconciliation de l’homme avec son passé pour tenter de dessiner les contours de l’être, son essence, dans un éternel présent. Avec De source, Robert Valbon nous offre un conte philosophique sur un homme à la recherche de son être, et cette dernière passe par la recherche du lac de son enfance. On verrait un peu ce récit de voyage personnel se dire sur scène, en stand-up, car l’être du héros nécessite un public. « Le public ? Moi et la montagne. Retour aux sources du théâtre : le lieu où l’on regarde. » Voilà bien une espèce de variation d’un journal intime, la possibilité d’extérioriser un dialogue intérieur en littérature. Si la nostalgie succède à la colère, c’est bien pour se rassasier de souvenirs et d’être, pour prendre un bain essentiel.
De source, roman de Robert Valbon, ed. La mouette de Minerve, 194 pages, 15€