La Tradition en orthodoxie chrétienne
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La Tradition en orthodoxie chrétienne
« L'Église orthodoxe n'a pas eu besoin d'être « réformée », car elle n'a jamais vendu d'indulgences, elle n'a jamais modifié l'enseignement apostolique, elle n'a pas changé le symbole de Nicée, elle n'a pas inventé une papauté et encore moins une papauté infaillible, ni brandi une fausse Donation pour justifier ses prétentions territoriales et politiques, elle n'a pas décidé de transformer les dogmes sans intervention d'un concile, elle n'a pas couronné d'empereurs, elle n'a pas entamé de croisades, elle n'a pas produit une Inquisition. Elle a simplement continué à préserver la foi sans innovation. »
Paul Eric Blandu
Voilà pourquoi il est peut-être pertinent, quand on veut donner un sens plus pur à un mot de la tribu, comme Mallarmé disait, ici le mot Tradition qui est le phare de ce site excellent, les Baladins de la Tradition. Il est pertinent de chercher à comprendre comment les chrétiens orthodoxes l’utilisent pour leur part.
Les Églises romaine et orthodoxe sont séparées et on me dira que toutes deux ont leur utilité. Pour ne prendre qu’un exemple : le concile de Vatican II qui semble de plus en plus remis en cause par les traditionalistes catholiques aura tout de même servi au moins à abolir l’anathème jeté sur le peuple juif accusé d’être un peuple déicide dans la théologie chrétienne. (Décret conciliaire Nostra Aetate promulgué par le pape Paul VI le 28 octobre 1965.) Je n’ai pas étudié l’histoire pour savoir si la branche orthodoxe aurait été moins judéophobe que la branche catholique romaine, mais je m’en tiendrai là pour maintenir que l’Esprit Saint continue à diriger les chrétiens du monde par-delà les divisions.
Nous rédigeons cet article le premier mai 2025, alors qui sait d’où nous vient la tradition du muguet à la jolie chanson, disant qu’il est revenu le temps ? Ayant fait le test, je me suis aperçu que très peu savent l’origine royale de cette coutume inaugurée par le roi Valois Charles IX. Une si délicate coutume ! En déplacement en Dordogne, ce roi de la fin tragique des Valois avait reçu un brin de muguet, fleur qu’il ne connaissait pas. Il a voulu l’offrir à toutes les dames de sa Cour, puis exigea que l’on poursuive cette élégance tous les ans. Nous y sommes encore, en ignorant l’origine. J’ai voulu poursuivre le test, en demandant à mes amis et à ma famille qui est Charles IX. Personne n’a su me dire que c’est celui qui a déclenché une opération bien moins délicate, le massacre des protestants de la Saint-Barthélemy… !
Dans les cérémonies de l’Église orthodoxe, il y a une représentation symbolique parfaite de la tradition lorsque chaque fidèle tient à la main un cierge qu’il allume à la flamme du voisin. Ce feu est symboliquement venu d’un autre feu, ou réellement pour les paroisses qui sont reliées depuis le samedi saint au Saint Sépulcre de Jérusalem où l’Esprit Saint s’est manifesté miraculeusement en allumant le cierge du Patriarche orthodoxe. Ainsi de proche en proche le feu allume autant de flammes qu’il y a d’âmes présentes. Le feu du Saint-Sépulcre ne brûle ni les tissus ni les chairs, cette délicatesse surnaturelle confond, surtout si on compare avec ce que j’ai écrit plus haut.
Quand on découvre les liturgies orthodoxes en provenant d’une éducation catholique ou protestante, même si on en ignore tous les arcanes des rites et les langues russe ou serbe utilisées, on saura reconnaître dans les « Gospodiponemaï » et les « Kyrie eleison » les chaînes qui ont bercé des lignées d’ancêtres chrétiens que nous aurions pu avoir si la providence l’avait décidé.
La Tradition, ce mot évoquait pour moi un auteur, directeur de revues, écrivant livres et articles sous divers pseudonymes, un intellectuel des années 1950, Jean Tourniac ou Jean Reynor. J’ai retrouvé, avant de commencer cet article, dans ma bibliothèque son livre célèbre Melkiseteq ou la Tradition Primordiale, Bibliothèque de l’Hermétisme, Albin Michel, 1983. Les amis de Marius Lepage en Mayenne le connaissent bien car il était un collaborateur, et si j’ai bien compris, un frère du Lavallois dans la naissante GLNF de l’époque. Il était également un fervent continuateur de Guénon.
Tourniac était un catholique cherchant, à travers le symbolisme traditionnel des loges, un approfondissement de sa culture chrétienne avant, sous l’influence de Guénon, de se convertir lui-même à l’Islam. Ce livre de Tourniac est un monument, il mériterait un article à lui tout seul, car il est certain que Melkisédeq peut relier judaïsme, christianisme et Islam. La voie est ouverte aux Chrétiens pour reconnaître une parole venant de Dieu dans le Coran et quelque chose de prophétique dans la mission de Mahomet dans le monde catholique aussi depuis Vatican 2. En incitant les Chrétiens à estimer les Musulmans comme des croyants et des adorateurs du Dieu unique, le Concile rejette implicitement toutes les polémiques et affirmations de caractère négatif du passé à l’égard de Mahomet. Car il a fondé cette communauté avec son ‘beau modèle de conduite’ ainsi que le dit le Coran.
« En Jésus-Christ notre foi trouve son début et son achèvement » (Hébreux,12.2). La prophétie se poursuit dans l’Église qui demeure prophétique jusqu’à la fin des temps, non seulement par l’enseignement qu’elle contient mais aussi par sa vie dans sa totalité comme peuple de Dieu, inspiré par l’Esprit Saint.
L’esprit de prophétie peut être actif au-delà des limites de l’Église visible.
Toutefois, l’esprit de prophétie peut être actif au-delà des limites de l’Église visible. Il en a été ainsi pour des saints, hommes et femmes, de l’Ancien Testament comme Melchisédech, Job et la Reine de Sabba. Justin, le martyr du 2ᵉ siècle, a discerné dans un certain nombre de prophètes ou de voyants du paganisme (les Sibylles par exemple) la présence de ‘semences du Verbe’.
Plus récemment, quelques théologiens sont même allés plus loin. Par exemple, durant la seconde rencontre islamo-chrétienne de Tunis (1979), Claude Geffré (Professeur à l’Institut Catholique de Paris) a dit publiquement qu’il pensait que la révélation donnée à travers Mahomet était parole de Dieu, tandis que le Christ, qui est plus qu’un prophète, est lui-même la Parole de Dieu. Par la suite, les théologiens appartenant au GRIC (Groupe de Recherche islamo-chrétien, fondé en 1977) ont admis la présence dans le Coran d’une ‘parole de Dieu, authentique mais différente…’ de celle de la Parole de Dieu donnée en Jésus-Christ. Les différences et même les contradictions (par exemple la négation par le Coran des mystères occupant une place centrale dans la foi chrétienne comme l’Incarnation et la Trinité) devaient être considérées comme le résultat d’une médiation humaine, le canal à travers lequel la Parole de Dieu doit passer.
https://www.bmehafms.fr/Comment-les-Chretiens-considerent-Mahomet.html
J’avais jusqu’à présent donc pour viatique une définition de l’auteur de cette œuvre métaphysique considérable qu’est René Guénon, telle qu’il en donnait de la métaphysique justement, dans une conférence à la Sorbonne du 17 décembre 1925 sous le titre : « La métaphysique orientale ». Sans me laisser perturber par le fait de savoir que Guénon avait été entre autres choses Franc-Maçon et finalement un mahométan soufi installé et marié en Égypte :
« La vérité métaphysique est éternelle ; par là même il y a toujours eu des êtres qui ont pu la connaître réellement et totalement. Ce qui peut changer, ce sont des formes extérieures, des moyens contingents, et ce changement même n’a rien de ce que les modernes appellent évolution, il n’est qu’une simple adaptation à telles ou telles circonstances particulières, aux conditions spéciales d’une race et d’une époque déterminée. »
Chercher à penser la Tradition dans notre époque, c’est vouloir garder la tête hors de l’eau car nous sommes tous engagés sur cette planète Terre dans une crise qui ébranle les bases même de notre existence, et de notre civilisation. Et cette crise est celle de la fin du christianisme, à y bien regarder. Mais pourquoi ne pas examiner plus attentivement ce que nous croyons connaître dans les dogmes chrétiens comme des machines solennelles délaissées dans des galeries de musée de la Révélation, l’Incarnation, la Sainte Trinité, la Rédemption, la Communion des Saints, la Résurrection de la chair… Vaste, vaste, chantier… !
Mais s’il faut commencer par un bout, venons-en à la Sainte Trinité car elle pourrait nous éclairer directement sur la notion de Tradition. J’ai discuté sur ce sujet de la Tradition avec une chrétienne du monastère que je fréquente en Mayenne, une historienne spécialisée dans l’histoire des premiers siècles du christianisme. Elle m’oriente vers un auteur passionnant, P. Cyrille Argenti. J’ai eu en cadeau un livret, La Tradition de l’Église. Ces textes et d’autres que j’ai acquis depuis (Le Mystère de Dieu dans l’Ancien Testament ; L’Unité chrétienne ; Le Chrétien en attente dans le monde), sont adaptés des émissions radiophoniques de l’auteur diffusées sur Radio Dialogue, radio œcuménique marseillaise dont il fut l’un des fondateurs.
L’auteur, né en 1918, d’origine grecque, fut moine et prêtre à Marseille pendant plus de 40 ans. Il a fondé la paroisse francophone Saint-Irénée et participe au dialogue œcuménique ainsi qu’à de nombreuses actions en faveur des plus pauvres. Il a été également membre actif de l’ACAT et de la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale. Il est décédé le 21 novembre 1994. Précisons ici que Caroline C. nous a laissé ses travaux d’historienne à méditer, découverts dans un premier temps en conférence du monastère de Bois Salair. Nous les retrouvons en podcasts d’émissions de radio : « Les huit premiers siècles du christianisme ».
Elle nous rappelle, et c’est précieux même si c’est moins ambitieux que de chercher à la source l’hypothétique Tradition Primordiale, que les rites, les dogmes, les traditions de la religion chrétienne sous les diverses formes que nous leur connaissons aujourd’hui, sont le fruit d’une longue évolution dans le temps. Et de nous citer dans sa première vidéo le grand historien du XXᵉ siècle René Raymond : « Nous ne sommes réellement contemporains de notre temps, que si nous savons reconnaître dans les événements d’aujourd’hui, les effets à long terme d’une histoire souvent très ancienne. » https://www.monasteredeboissalair.com/podcast
Le Père Cyrille nous dit que la Tradition, il a quand même mis une majuscule, n’est pas une transmission de connaissances, de paroles et d’idées. « La Tradition est l’Esprit Saint Lui-même faisant vivre le Verbe parmi les fidèles d’aujourd’hui, vivant à travers l’Église et à travers les siècles. » La Tradition est donc à la fois la transmission des paroles du Christ, mais surtout celle de sa Personne, et de citer cette parole de l’Évangile que nous retenons tout particulièrement : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. »
La Tradition est pour lui une contemplation de la Trinité. Quand le Christ dit : « Je suis dans le Père et le Père est en moi. » On devrait éviter l’écueil des mots encore imprécis qui nous font parler d’un Dieu en trois personnes, comme si c’était un polythéisme ; le mot qui colle, c’est le mot « hypostase ». Car les trois personnes ne sont pas trois individus, mais un Dieu en trois sorti de Lui-même et par conséquent capable d’amour, comme l’homme ne parvient à l’amour qu’en sortant de lui-même. Dieu est Amour. Le pape de l’époque de Charlemagne avait fait placarder dans Rome le Credo dans sa forme originale, c'est-à-dire sans le Filioque. C’est un exemple de la fidélité à la Tradition.