Gabriel Boksztejn : misère commune
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« La civilisation était redescendue à l’état de société : privée de Dieu, il ne restait à l’homme qu’un tragique sans tragédie. » Il est bon qu’on roman nous délivre une petite leçon de philosophie en sus de son récit. C’est le cas des terres mortes, premier roman de Gabriel Boksztejn.
Faisons un tour d’Horizon des personnages qui nous sont proposés comme archétypes de vies ordinaires, de vies en cul de sac, comme modèles de dindons de la farce de la vie. Nous avons le champion Pierre-André, le directeur de supermarché, tellement fier de sa réussite, de ses maîtresse, imaginez : être l’empereur des surfaces commerciales et se sentir plus grand que Dieu. « Vous avez l’âme marchande. Âme de voleur, mais de voleur légal, de voleur du bon côté de la loi, à l’ombre du regard bienveillant de la loi. » Nous avons le frère du patron, Bernard, pauvre type sans réussite et dont la femme est caissière dans le supermarché. Faut bien s’entraider en famille ! Il y a ensuite Marc-Antoine, le directeur adjoint qui n’attend qu’un prétexte pour faire tomber le patron et prendre sa place. De façon temporairement disjointe, on croise Jamil, un musulman gay, rejeté par sa famille, Hichem, un arabe non dupe des mirages modernistes Et puis une autre fratrie, de l’autre côté du livre, Louis, le normalien gauchiste impitoyable qui crée un nouveau mouvement politique : La Nouvelle Action Directe ; la belle Naïma qu’il aime dans un fantasme politico sensuel car elle est racisée et qu’il l’a piquée à son frère Adrien, le moins incarné de tous les personnages, aussi le plus torturé, normal puisque c’est un apprenti écrivain.
Toutes ces vies sont mesquines car horizontales. Les Parades amoureuses sont déguisées dans l’ordinaire de la vie ; les combats politiques réduits à quelques slogans, quelques nouveaux mots, quelques nouvelles définitions ; le projet existentiel à une revendication salariale. L’écume des idées et de l’actualité rejoint le marasme psychologique dans lequel tout le monde patauge non joyeusement.
Gabriel Boksztejn commence par nous livrer comme une série de sketchs sociaux qui font tendre l’ordinaire vers la tragédie. On y voit des êtres qui tentent de s’extirper du marasme du pathos et du mélodrame à la petite semaine. Cette série devient bientôt puzzle, car il faut que les situations engendrent des chaos, que les être se croisent, pour que tout s’assemble et rende possible le meurtre, car meurtre il va y avoir. Quand on n’a plus rien à perdre, le meurtre s’impose toujours comme point d’orgue d’une vie qui a dépassé ses bornes. Quand tout va trop bien, un malin se venge. Louis, après avoir causé l’éviction du patron de supermarché en prenant fait et cause pour une jeune employée draguée de trop prêt, est en passe d’être broyé par le système à cause d’un mot malheureux sur le féminisme dans une émission de Cyril Hanouna…
Gabriel sait créer une empathie pour chacun de ses personnages, y compris les plus médiocres. Il est vrai que l’effet miroir déclenche la pitié par réflexe. Le regard sur l’autre est toujours plein de lucidité, contrairement à celui que l’on n’ose pas porter sur soi-même. Dérision de nous, dérisoire, chanterait Souchon. Tous des salauds ! Comme l’ensemble de l’espèce humaine, à l’exception des fous et des saints. La misère est une des seule chose qui se partage très bien dans se monde, ça console d’en refiler un peu à d’autres.
Avec une économie de moyens, ces quelques tableaux nous font entrer dans l’intimité des personnages comme sait le faire danièle thompson dans ses films. Même si l’enchaînement flirtant avec le glauque évoque parfois Bertrand Blier. À lire donc, puisque s’il existait, nous aurions pu lui donner le prix Mauvaise Nouvelle !
Les terres mortes, roman de Gabriel Boksztejn, Editions Unicité, collection Eléphant blanc, 292 pages, 20€