Nouvelles de l’iconoclaste Subimal Misra
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Les éditions Banyan ont le talent de nous faire découvrir la littérature contemporaine indienne. C’est une véritable réjouissance pour l’âme et pour l’esprit. C’est assez confondant de s’apercevoir comme le lointain nous est familier et comme cette littérature d’ailleurs renouvelle notre métaphysique. Voici que nous parvient de ce continent un recueil de nouvelles de l’iconoclaste Subimal Misra. Ces nouvelles ont été écrites fin des années 60, début des années 70. Elles ont été traduites de l’anglais en français et c’est absolument réjouissant, comme une gifle qui nous réveille. Le recueil s’appelle justement Le réveil des sans-rien et il est précédé d’un tout à fait délectable manifeste littéraire de l’auteur.
On y apprend que Misra est fan de Godard à qui il dédie le recueil d’ailleurs, et effectivement, nous constatons qu’il s’essaye à la technique du montage en littérature, avec ces saccades de plans où des vis se superposent pour manifester leur fragilité, leur absurdité, et leurs moments de grâce. Misra confie : « Ce qui me pousse essentiellement à écrire est ma curiosité à l’égard des complexités de l’existence. » Oui, l’existence est complexe, oui elle est absurde, mais nous n’avons pas le choix de la vivre.
L’absurdité de la vie ne rend pourtant pas Misra fataliste, il est au contraire militant et intransigeant. Il veut poignarder avec sa plume. Il fustige et veut mettre à nu la bourgeoisie, la classe moyenne, à moitié éduquée, pseudo sage, et hypocrite. Vaste programme et noble ambition résumée ainsi : « L’humanité opprimée est au cœur de mon écriture. » S’il est exigeant vis-à-vis du lecteur, il ne l’est pas moins vis-à-vis de lui-même. Il scande haut et fort que le livre ne peut pas être un produit ! Il refuse l’écriture dans des revues qui se vendent, il choisit la marge et, s’il se retrouvait dans sa marge avec des écrivains de l’établishment, il se réfugierait dans une marge plus étroite encore. Le Nouvelliste est donc radical. C’est ainsi que l’on devient un sanctuaire dans sa chaire.
Les 15 nouvelles du recueil L’éveil des sans-rien ont une langue incroyablement nouvelle, fraîche et tellement moderne. On y retrouve toute son ambition littéraire à la fois esthétique et politique. Certaines évoquent la fable, d’autres la parabole, mais à ce moment-là, amputée de sa morale, il laisse le bourgeois mis à nu se débrouiller avec sa conscience. « Après tout la vie n’est pas une affaire simple. » Donc gardons-nous de donner des recettes de vie.
Des fragments de scènes sont juxtaposés, sans autre lien que de se passer en même temps. Notre désir de convergence nous fait tisser des liens de causalité vertigineux. Comme dans Godard. Et une voix off, celle d’un mendiant souvent, peut-être le véritable narrateur de toutes ces histoires, revient comme un leitmotiv pour obséder celui qui parvient encore à lire debout sans être déstabilisé. Le dément, le mendiant, l’aveugle sont les prophètes au slogan obsédant comme une pensée. Ces marginaux sont les observateurs que le monde ne voit pas ou méprise. Et pourtant ce sont eux qui peuvent nous dire et raconter. L’écrivain est donc le nouveau fou du peuple devenu roi, nouveau troubadour de l’époque.
L’actualité est manipulée, incorporée à l’appareil des petites vies des sans-rien, mais la course du monde, toute l’écume du jour qui vient, le monde sont indifférents à la destinée des êtres. Pour les sauver, Misra a recours à une subversion neuve, mordante, qui confine au foutage de gueule. « À première vue, la queue de la vache ne semble d’aucune utilité, pourtant nombreux sont ceux qui pensent qu’elle a joué un rôle dans le désarmement nucléaire. » Et les personnages englués dans leur présent manifestent tous les invariables de la psychologie humaine, avec son cortège de perversions et de cruautés, identiques quels que soient les continents. Le mal est toujours décevant par sa banalité. La médiocrité guette les sans-rien à leur réveil pour leur éviter de trop grands destins… « À une autre époque, il se serait ouvert le ventre avec un sabre et se serait vidé de son sang. Mais l’époque est différente, et il faut faire les choses en accord avec son époque. »
L’éveil de sans-rien, Subimal Misra, éd. Banyan, 145 pages, 14,6€