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Entretien avec Raphaël Lam, peintre tisseur (3)

Entretien avec Raphaël Lam, peintre tisseur (3)

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Propos recueillis par Maximilien Friche

Mauvaise Nouvelle : A force de regarder toutes vos œuvres, de passer de l’une à l’autre, une évidence jaillit : vous avez créé un code avec votre tissage, un alphabet qui vous est propre et qui vous permet de dialoguer avec les autres, le monde, le passé, à l’infini. Ce code évolue-il ? Comment évolue-t-il ? Que dit-il de vous ? A quel point cette interface était-elle nécessaire pour vous exprimer ?

Raphaël Lam : Un code ou un alphabet qui m’est propre !

Il se peut que je sois en train de créer un code que je n’ai pas encore clairement décodé. Je sais que mon vocabulaire artistique commence à être conséquent. Je ne crois rien inventer. Tout ce que je crée existe déjà individuellement. Je suis en train de me constituer mon propre vocabulaire avec des éléments qu’il me plaît d’assembler par contraste et mise en perspective. C’est peut-être l’ensemble de tous ces éléments réunis qui semble être intéressant et participe à mon esthétique qui m’est propre. Vous parlez justement d’alphabet alors même que je présente une série de dessins sur des pages d’une ancienne encyclopédie de Camille Flammarion de la fin du XIXème siècle. C’est lors de l’exposition de ces dessins que j’ai pris conscience d’avoir constitué la base de mon vocabulaire pictural.

Un code ou un alphabet qui évoluent !

Voici l’alphabet de mon esthétique apparu dans cet ordre sur une période de deux ans : bandes croisées, formes colorées, fils cousus et formes géométriques sur des documents imprimés existants. Chacun de ses éléments pouvant se décliner et se conjuguer à l’infini, dans cet ordre ou un autre. Mon vocabulaire s’étoffe création après création. Je pressens des perspectives sous une forme plus élaborée et l’utilisation d’emballages comme nouveau sujet d’exploration. Ce travail que je découvre au fur et à mesure me semble en effet être de plus en plus infini, en expansion continuelle. Chaque dessin ou tableau est susceptible de contenir le germe d’un nouvel élément de mon code. Il me vient l’idée de créer une typologie, de répertorier mes bandes croisées et mes formes peintes pour m’amuser mais aussi pour pouvoir les utiliser à volonté. Les supports que j'utilise offrent aussi une grande diversité et une part d’évolution potentielle. Ces supports en papier peuvent être de type imprimé, que ce soit du texte, des dessins, des photographies, voire des graphiques (papier millimétré). Ou bien des supports non imprimés utilisés pour leur texture (papier aquarellable, papier calque …)

Un code qui permet d’accéder à l’imaginaire !

J’arrive à concevoir aisément que mes dessins mettent en lien des personnes (les spectateurs et moi), le monde (le milieu dans lequel sont placés mes travaux), le passé (sur lequel chaque document ancien ouvre une porte) et l’infini. Je vois cet infini comme la possibilité qu’à chaque spectateur d’accéder par le biais de mon alphabet à son propre imaginaire.

Que cela dit-il de moi ?

Une amie depuis peu mais me connaissant très bien m’a dit que mes trames lui faisaient penser à des circuits imprimés d’ordinateur. Ordinateur employé comme métaphore du cerveau humain, donc de mon cerveau. D’après elle je suis arrivé à entrer dans mon cerveau et en présente des vues sur mes dessins. Ce qu’elle voit est à la fois structuré et créatif, offrant des possibilités infinies.

Mon besoin vital de m’exprimer par le biais de cette interface !

Je ne sais pas pourquoi mais j’ai besoin de l’art, de cette interface pour m’exprimer tout comme j’ai besoin de mes deux blogs. Tout cela forme un ensemble indissociable. Comme je l’ai dit plus haut, ce n’est pas seulement nécessaire, ça m’est vital. J’ajouterai que je ne peux pas me passer de sport, d’une alimentation saine, de relations humaines, de rencontres, de couleurs, de soleil, de joie, d’extraordinaire, de beauté, d’authenticité, de repos, d’un apprentissage continuel, de dynamisme, d’enthousiasme. Je sais que pendant très longtemps je me cachais et voulais m’exprimer haut et fort. Je vivais avec ces deux contradictions qui semblent avoir leur raison d’exister par manque d’équilibre. C’est aussi grâce à cette période d’entre deux que je suis et fais aujourd’hui qui je suis et ce que je fais. Je ne regrette rien et rattrape le temps que je crois perdu en étant prolifique et en dévorant la vie.

 

MN : Comment se construit chaque œuvre ? Avez-vous une vision de ce que vous voulez faire dès le début, ou est-ce le premier trait, le premier fil, qui engendre le second, puis le troisième, etc. ? Comment se pose le point final ? Quand savez-vous que l’œuvre est terminée ?

RL : La construction d’un dessin !

Je ne connais pas à l’avance le résultat final. Parfois je peux avoir une idée en tête de composition de bandes croisées ou de formes colorées ou brodées que j’incorpore dans mes prochains travaux. Toute nouvelle forme entre dans mon dictionnaire artistique. Quand je travaille à partir d’un document existant je le prends entre les mains et une idée me vient. Je la réalise dans la foulée. Une fois réalisée je passe au document suivant en utilisant la même technique (encres, peinture et broderie) et la même couleur par souci d’organisation et d’économie de médium. Je réalise mes dessins et tableaux en série (jusqu’à une trentaine à la fois) étape par étape.

Les étapes de création !

La première étape est de désosser le livre afin d’en extraire les parties exploitables et de les nettoyer. Deuxième étape, réalisation des bandes croisées à l’encre de Chine noire ou aux encres pigmentées colorées appliquées à main levée d’un bout à l’autre sans utiliser d’outils de traçage. Troisièmement, peinture des formes colorées à l’acrylique. Quatrième étape, couture de formes et trames avec des fils colorés, j’utilise quelquefois des gabarits pour les formes très géométriques. A chaque étape le dessin naît et se construit petit à petit, trait après trait, forme après forme (peinte ou brodée), étape après étape. Je le vis comme une exploration, une découverte de surprise en surprise. Enfin le choix du sens définitif et la signature manuscrite et brodée marquant l’aboutissement de mon processus créatif.

Le point final d’une oeuvre !

Je sais que le travail est fini quand je ressens une chose encore indescriptible dans mes yeux et dans mon torse. Une sorte et un mélange de joie intérieure, de satisfaction, d’enthousiasme, de plénitude et parfois d’extase.

 

MN : pour finir je voudrais évoquer les deux dimensions dans lesquels vous travaillez. Dès le début le tissage crée un relief, dessine une légère ombre, puis, comme on l’a évoqué précédemment, le quadrillage donne une impression de perspective quasi architecturale. Comment appréhendez-vous la mise en abyme opérée par le tissage ? Quel rapport avez-vous avec la troisième dimension ? Comment la domestiquer dans une œuvre ? Comment éviter le trompe l’œil ?

RL : Le dessin : travail en deux dimensions !

Étant donné mon énorme besoin de créer, je me contrains à travailler en 2D par souci de stockage dans mon atelier. Je peux à la rigueur ranger des tableaux plus épais que des dessins mais pas de sculptures car trop volumineuses. Je ne me destinais pas au dessin au départ, ne le trouvant pas assez “noble”, le jugeant pas sérieux et enfantin. C’est pourtant ce que j’ai finalement réalisé le plus ces deux dernières années. Je me demande même si ça ne serait pas devenu mon moyen d’expression favori détrônant ainsi la réalisation de tableaux que j’aimais par-dessus tout avant.

Un dessin offrant relief et perspective !

Je pense que chaque élément de mon vocabulaire artistique par rapport à un autre crée une mise en abyme. A mon image, j’aime les contrastes, les extrêmes et les questions. Deux éléments de mon langage plastique créent un contraste. Par exemple les formes colorées contrastent avec les bandes croisées qu'elles couvrent partiellement, créant deux plans de lecture différents en un effet de volume. Les premières semblent flotter au-dessus des secondes. Les formes se détachent outrageusement du fond. Sachant qu’en soi, les bandes croisées seules peuvent créer un volume ou une surface vibrante, une perspective, un espace parfois architectural. Et que mes formes colorées sont bien souvent des aplats de couleur opaque sans dégradé. Dans un même registre les fils colorés cousus créent un nouveau contraste, de la richesse, de la finesse, un raffinement contrastant avec les formes minimalistes et bien souvent arrondies ainsi qu’avec l’épaisseur et le trait chancelant des bandes croisées. Les fils cousus apportent aussi une certaine droiture ou rigueur, une linéarité tout en finesse et précision. C’est en s’approchant des dessins que l’on se rend compte qu’il s’agit de fils, de matière. En découvrant leur ombre portée, leur brillance changeante en fonction de leur teinte et de l’incidence de la lumière. Je cherche la mise en abyme autant dans mes créations que dans ma vie. Je ne cherche pas à réaliser un bel ouvrage. Je découvre seulement que le résultat me plaît et me captive, à la fin de chaque étape et à la toute fin.

Ma façon d’appréhender la mise en abyme ?

Je viens de l’évoquer ci-dessus, j’aime les contrastes autant entre les matériaux que dans les couleurs. Je recherche la mise en abyme, j’ose les formes et les couleurs, tant dans leur minimalisme que dans leur éclat. C’est l’ensemble qui peut paraître complexe.

Tromper l’œil !

Pour répondre à votre question sur le trompe l’œil je vous dirai que je ne suis pas assez bon dessinateur pour tromper l’œil. Je suis aussi trop impatient pour me lancer dans l'apprentissage et le travail immense que représente le réalisme d’un trompe l’œil. Je peux aussi dire que je suis anticonformiste et me tiens plutôt éloigné des standards et des grands classiques comme le paysage, la perspective architecturale, le portrait, les personnages, les natures mortes … qui ont déjà été largement explorés. Ensuite je fais appel à la représentation en deux dimensions des trois dimensions via la perspective. Mon rapport au trompe l’œil s’arrête là. Pas de photo-réalisme, pas de dégradé, peu d’ombres portées et d’autres effets de lumière.

Mon lointain rapport aux trois dimensions !

Mon rapport aux trois dimensions remonte à mon enfance. De façon chronologique et inversée cela est flagrant avec le choix de mon métier et de ma formation d’architecte qui s’est forgé pendant mon adolescence à imaginer et dessiner des espaces urbains et architecturés. Mais en relisant mon histoire et mes souvenirs, il se pourrait bien que cela prenne naissance au moment où je suis parti de Nouvelle-Calédonie mon île natale pour venir vivre en France avec mes parents et ma sœur. Je me souviens des premiers temps où par peur d’oublier mon univers insulaire, je visualisais tous les lieux que j’avais connus, le soir dans mon lit avant de m’endormir. Une façon de me rassurer. Je parcourais les yeux fermés la maison, le quartier et ensuite l’appartement de mon enfance, les maisons de nos amis, mes différentes écoles. Tous les lieux. Puis les chemins et les routes entre tous ces lieux. Je me rappelle encore tout au point de pouvoir en faire des plans et de décrire les meubles, la décoration, les couleurs. Dès lors des souvenirs avec des personnes, des objets, des événements ainsi que des ambiances et discussions ou disputes me reviennent. Les photos de mes parents m’ont dernièrement aidé à rafraîchir ma mémoire.

Je vous remercie Maximilien pour vos judicieuses questions, à croire que vous avez su déchiffrer mon art lors de votre passage à la galerie pendant mon exposition.


Entretien avec Raphaël Lam, peintre tisseur (2)
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Dans l’atelier de Boris Zaborov
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