Fanny de Rauglaudre au carrefour de la poésie
Art contemporain Mauvaise Nouvelle https://www.mauvaisenouvelle.fr 600 300 https://www.mauvaisenouvelle.fr/img/logo.pngFanny de Rauglaudre au carrefour de la poésie
Fanny de Rauglaudre est une artiste qui explore beaucoup de domaines de la création : photographie, dessin, peinture, vidéo, écriture… Découvrons son univers et plongeons en poésie.
MN : Je voudrais aborder une question classique, celle du multi-support. Tu es une artiste qui n'a pas choisi un seul support, tu t'exprimes par la peinture, le dessin, la vidéo, la poésie… Qu'est-ce qui t'oriente vers un art ou un autre pour t'exprimer ? Y-a-t-il des choses qui ne peuvent se dire avec les mots, d'autres qui doivent se dire qu’avec les mots, etc…
F2R : Mon appétit d'expression pourrait passer pour capricieux et souvent, les artistes multi-supports sont « accusés » de ne rien approfondir. Je rêve d'endurance mais la forme courte a plus de puissance et de résonances avec mes états d'âme « bordéliques » intenses et/ou mes aventures formelles. J’ai beaucoup de mal à différencier ou hiérarchiser les uns des autres médiums. Tous concourent ensemble à ma tambouille existentielle. Dans ma dernière série de dessins Playing, le texte s'est immiscé, brièvement avec autant de place que le dessin. C’est plus flagrant avec la vidéo moins avec la photo qui reste mon point de départ, celui de la contemplation. Le dessin, la peinture abstraite ou figurative, tous tendent vers ce point encore assez invisible d'union que j’attends sans attendre. Je veux croire que tout convergera un jour.
Au quotidien, j’ai un carnet avec moi ; où que j'aille, il permet au geste artistique d’exister. C’est une expérience. Qu'elle se réalise en œuvre exposée, qu’elle soit stockée ou détruite, c’est la vie. La peinture est revenue en janvier après une année sans, c’est rare. Un cycle s’achevait. En peignant, je cherche toujours à être surprise, à me laisser aller, à laisser le corps faire, à n'avoir pas d'intention, je traque les moments aveugles où tout à coup, ou peu à peu, les choses apparaissent, je suis à la fois active et passive, témoin et auteure. Chaque peinture me donne des indications éclairant le passé, l'instant ou le futur mais après coup. J'ai besoin de les regarder souvent, parfois j'écris à leur propos.
L'écriture, elle, déblaye des sentiments non encore visibles. Il me semble que la subjectivité de l'artiste peut être une science en soi. Je détricote et tente de faire apparaître des ambiances intérieures et j'observe que ça peut parler aux autres. Concernant la vidéo, je collabore souvent avec mon ami David Atria et j'ai souvent mis en image les morceaux que nous avons créés autrefois avec le groupe BleuRouge (poésie et musique électronique avec Lexlegis), ou encore certains de mes mixages sonores "Macédoines" (Arte Audio blog). Un de mes courts métrages a été primé à deux reprises et c'est vraiment encourageant aussi d'être reconnue par certains pairs du cinéma. J'aime collaborer, travailler à deux peut être une vraie source de joie. C’est un peu ce que je cherche à Paris et timidement c’est ce que je crois avoir trouvé avec SometimeStudio, Lizières via Ramuntcho Matta et sa troupe d'amis artistes, plus singuliers et travailleurs les uns que les autres.
MN : Justement, ce que tu dis m'évoque le travail des orthodoxes qui disent ne pas peindre, mais écrire des icônes… Tout n'est-il qu'écriture dans ton travail finalement ? Et plus précisément, si écriture il y a avec toutes ses matières différentes, quelle place fais-tu pour la poésie et pour la narration ? Quand tu souhaites raconter une histoire, que privilégies-tu ? Et quand tu veux inviter à la contemplation, mettre en poésie, là aussi, que privilégies-tu comme art ?
F2R : Tu emploies le terme que j'aurais dû dès le début de l'entretien écrire : la poésie. Evidence profonde, ancrée. La poésie est à la frontière avec les sens, le mystique, le narratif peut-être pas, le philosophique, le délire. Grand oui pour ce mot-là. Je me suis proclamée « Poétisse » il y a quelques années. Je n'ai pas les bons mots et par pudeur aussi, la poésie oui, pourrait être le vrai terme, plus que l'art encore. Pour moi, c'est une terre et, les deux pieds dedans, je l'explore. D'autres l'appellent le monde, moi c’est mon filtre, ma terre, mon souffle, c’est probablement mon générateur d’enthousiasmes puisqu’il me permet de trouver belles quantités de choses du monde.
Pour ce qui est de la narration, je ne sais pas faire volontairement. Ceux qui voient mon travail peuvent se raconter ce qu'ils veulent et aussi longtemps qu'ils le veulent. Moi, ça ne tient qu'en un titre ou qu'une page que je réunis tous les 6 ans en gros. Voilà, la poésie c'est ce qui tient l'ensemble, c'est l'ambiance générale, c'est la Nativa en moi qui chaque matin renaît et s'émerveille encore. En tous cas, rien ne se calcule vraiment. Tout est affaire de désirs.
La photo pour les orages, le dessin quand j'ai le temps, la peinture lorsque j'ai du matos et l'espace suffisant, le plus souvent possible, l'écriture pour me démêler un peu, les sons, certains dimanches. Je ne cherche pas à faire poétique, c'est le désir comme je te disais et la nécessité qui guident. Ça peut être totalement spontané et la plupart du temps cela reste sans trace. Quand ça devient trop intense, moins gai, ou trop je ne sais quoi, j'écris. Pour inviter à la contemplation, je marche avec ceux qui le souhaitent… avec ou sans stylo.
Je traque le lapsus avec force
MN : Si je peux me permettre une dernière question… J'aimerais savoir si tu sais d'où te vient cette joie sauvage et fraîche, toujours renouvelée et qui semble contenir comme en anticipation, une forme de nostalgie… Es-tu de notre temps ?
F2R : Haha. C'est une jolie question. Je crois que la réponse tient dans ma résolution à n'avoir plus de télévision dans ma vie quotidienne depuis l'âge de 18 ans. C'était ma baby-sitter enfant, mon lien au monde. Je regrette les smartphones qui me replongent dans l'addiction aux écrans et à l'actualité. Mais, j'ai la chance d'être entourée de personnes ressourçantes avec lesquelles je partage l'état contemplatif, la poésie, l'humour… En vieillissant, je découvre l'oralité spontanée (j'étais très timide avant), j'ai une vraie curiosité de l'humain, des visages, des histoires de vie, les liens, je traque le lapsus avec force, les miens comme ceux des autres. Je suis bien d'aujourd'hui mais à un niveau plus local on va dire. J'aime démesurément la singularité qui fait naître la vraie altérité. C'est comme ça qu'on peut se rencontrer, en étant pleinement à l'aise avec qui on est, sans tabou, sans bienséance, sans consensus pour autant.
Le rire est une voie que j'explore mieux grâce à la personne avec qui je vis tout en poursuivant dans la voie de l'imaginaire et de la poésie. Pour le côté sauvage et frais, j'ai fait tellement d'expériences hors de, inexplicables que mises bout à bout, ça donne un aspect, c'est vrai, assez sauvage, comme la forêt peut-être près de laquelle j'ai grandi. La nostalgie, c'est cette terre justement, ce Causse que j'aime éperdument mais dans lequel il m'est impossible de vivre car il n'entre plus dans mon histoire actuelle. Ça crée peut-être oui, une forme de nostalgie.
Plus d’infos : https://www.f2r.xyz/blog/nativa-et-la-peinture