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Fellateurs du néant

Fellateurs du néant

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Les artistes du grand risque-creux contemporain nous apparaissent souventefois comme des jongleurs de zéros, des dompteurs de concepts. Quand on leur en donne les moyens, ils s’accrochent à tout ce qu’ils peuvent trouver de futile ou d’anodin pour entretenir quelque jeu de métamorphoses fantomales qui s’emparent de toutes sortes d’outrances, pour peu qu’elles siéent à l’exercice d’une attraction vers la mocheté provocatrice.

On loue alors le courage de ces grands épluchés de l’intérieur ; on les presse de tout un plaisant babil de compliments pour avoir atteint une zone de turbulence où la réalité se distend et se dissout dans la vacuité ambiante, ce quelque chose d’indéfinissable auquel personne n’avait jamais osé penser. Sauf eux, bien entendu !

Il s’est créé une telle béance à l’intérieur du zéro qu’il regorge d’un tas d’affutiaux et d’objets travestis en icônes ; mais, pour tourner, le zéro a besoin d’un axe, d’un point d’ancrage, et c’est précisément là qu’on nous ressert depuis des décennies du frelaté duchampien pour nous indiquer le sens de l’essentiel.

Ce peut être n’importe quoi, n’importe quelle quincaillerie, un manche à balai, un balai à chiottes ou les chiottes elles-mêmes, Maurizio Cattelan nous l’a démontré il y a peu dans sa course désespérée à vouloir dépasser le maître.

Il y a l’objet et la prosopopée qui l’accompagne pour faire prendre la farce, imposer l’idée que tout fait sens pour peu qu’on sache l’acclimater à l’air du temps.

L’artiste contemporain du zéro devenu bouffi bouffon de lui même, accroché à toutes sortes de cynismes narcissiques et d’acrobaties sociétales s’enivre d’une cure absolue de néant.

Loin des vieilles valeurs que sont la vérité, l’authenticité, la beauté, le zéro, lui, porte la marque de fabrique d’une erreur perverse, mais aussi d’un implacable pouvoir de s’engendrer lui-même, sa qualité première étant son extrême rapidité de reproduction.

La réalité qu’il nous refourgue à grand renfort d’arrogance devient quelque chose qui se dévoile de plus en plus comme le trou de l’insignifiance, une entrée dans le monde des idées qu’il traverse sans jamais le bouger ; il est là partout où on l’attend tout le temps tant les propositions qu’il incarne sont toujours les mêmes ; il est tantôt badin tantôt taquin, nous refaisant toujours le coup de la mauvaise blague, de la retenue salace, de l’ouvroir de consciences ; il traîne son courtisant petit courage bien savonné à l’enflure de discours dans les cocktails ; il resplendit d’une mystification sans égale dans les salles de marché où il prospère ; il pullule dans les sous-sols des FRAC, les entrepôts des musées pour retrouver un peu de poussiéreuse reconnaissance bien méritée.

Demain, il y aura tant de ces zéros d’un jour qu’ils finiront dans une inéluctable collusion artisticide, un court-circuitage formidable, inarrêtable ; les milieux de l’argent et du pouvoir le rejetteront ; et ils finiront par s’effondrer sur eux-mêmes, disparaissant comme s’ils n’avaient jamais été.


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