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Biennale de Lyon : quand le néant me laisse de marbre

Biennale de Lyon : quand le néant me laisse de marbre

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Ce qui est formidable avec l’art contemporain, c’est cette faculté à récupérer et anticiper nos critiques pour en faire leur projet, leur intention. S’il y a un trait caractéristique de l’art contemporain, c’est bien le cynisme. On lui reproche d’être ordurier, on nous dit que c’est volontaire, on lui reproche d’être du foutage de gueule, on nous dit que c’est le but visé, on lui reproche d’être un art financier, on nous répond que c’est totalement assumé. Qu’on se le dise, les artistes contemporains le font exprès !

Recherche fondamentale… en marketing !

Petite introduction pour finir par vous faire le compte-rendu de ma visite à la Biennale d’art contemporain de Lyon. Je suis un peu maso, je sais. Je suis allé me faire mal. Moi aussi, je l’ai fait exprès, je savais que cela allait m’insupporter et pourtant je suis quand même allé à la Biennale de Lyon. Le thème de cette année était : les mondes flottants. L’affiche est jolie, digne d’une pochette d’album de musique new-age. Le champagne est d’excellente qualité et les performances culinaires très réussies. Mais venons-en au topo liminaire. Avant d’entamer notre pérégrination dans l’univers des œuvres absconses, la responsable de la biennale nous conditionne afin que les non-initiés, que nous sommes, puissent recevoir les œuvres sans risquer de mauvaises réactions. Elle tente de nous injecter la dose de raisonnements suffisante pour nous anesthésier et faire en sorte qu’aucune réaction saine n’ait lieu. Elle nous dit qu’il faut voir l’art contemporain comme de la recherche fondamentale. Le deuxième raisonnement est éculé, mais ce n’est pas grave, il marche toujours : ce qui nous semble scandaleux aujourd’hui nous semblera banal et hype demain. La preuve : les carrés de Mondrian ont fait scandale au début et aujourd’hui une marque de cosmétique les utilise. J’ai compris ! L’art contemporain est donc le lieu de la recherche fondamentale… en markerting !

Je commence donc ma visite avec ce sarcasme en tête. Et au final, on peut décomposer les œuvres d’art contemporain en deux genres. Les unes qui veulent nous procurer sensations et émotions, et qui ont l’ambition d’être des poèmes. Les autres qui sont purement conceptuelles et qui ambitionnent de faire passer un message…

Ça me fait quelque chose quelque part

L’art contemporain souhaite donc nous faire vivre des expériences. Et après, il faudra dire ce que l’on a ressenti. Le fameux ressenti qui va nous permettre de nous écouter et de gloser sur la vie de nos boyaux. A un endroit, on voit et en entend des bols en porcelaine s’entrechoquer grâce à deux courants d’eau, le tout sous un dôme qui permet une résonnance ; à un autre endroit, on nous fait entrer dans une caverne en sacs-poubelle, gonflée par un ventilo qui, lorsqu’il s’arrête, lance un jeu d’éclairs ; ailleurs, on nous propose des tubes qui tournent comme un manège, la vitesse les fait s’élever, l’air passe dedans et souffle une musique envoutante, et ainsi de suite. Dans le meilleur des cas, ces installations nous font vivre une expérience où l’esprit intrigué lévite légèrement et où le corps s’engourdit et se love dans l’émotion créée.

Mais, disons-le tout de go, il ne s’agit pas de poésie car l’émotion ne relève pas de la vie intérieure. Il y a une confusion chez les artistes contemporains entre le désir de transcendance éveillé par la poésie et le simple ressenti. C’est ce qu’on appelle prendre des vessies pour des lanternes et c’est le sport national des commissaires d’exposition que de nous y inviter.

Nous avons parlé du meilleur des cas mais il y a aussi pire, bien évidemment. Le moment où vous êtes invité à ressentir quelque chose et vous ne ressentez que l’ennui monter et précéder un fou rire nerveux. Dans le pire que j’ai vécu lors de cette visite de la biennale de Lyon, il y eut cette proposition de nous assoir en balcon sur des bancs de bois en dessous desquels vrombissait une musique faite de variations graves un peu à l’image des chants d’Himalaya. Les vibrations du banc finirent tout de même par me faire quelque chose quelque part, mais la pudeur m’impose de ne pas vous dire où.

Catéchisme pour niaiseux

Une fois qu’on a fait le tour de toutes les installations censées nous faire vivre des expériences émotionnelles, il nous reste celles qui veulent faire jouir nos neurones, c’est-à-dire les fameuses œuvres conceptuelles. Nous savons que le concept « est une chose morte à peine conçue » pour paraphraser Yasmina Reza dans ART. Le concept ne peut donc produire qu’une sorte de jouissance intellectuelle, et des mines entendues, des sourires en coin et les hochements complices de tous les incultes qui opinent du chef nous le font comprendre. « Ils sont trop bons ces artistes contemporains ! », on est face à une œuvre conceptuelle comme devant un jeu de mots, une bonne blague, qui se doit d’être bonne vu son prix. Ça, c’est dans le meilleur des cas, on prend plaisir dans une complicité intellectuelle avec l’artiste, complicité qui finit en collaboration avec le totalitarisme de l’art contemporain. Je pus donc légèrement communier à cette jouissance intellectuelle en marchant dans une sorte de labyrinthe de parpaings, où on suivait le son d’une description qui semblait être celle d’une scène de crime. En fait, une nouvelle d’Alain Robbe-Grillet décrivant un tableau que l’on ne verra pas. Moi, pour qui contempler le néant a tendance à me laisser de marbre, je dois tout de même souligner le clin d’œil intellectuel de l’expérience qui nous est offerte. Dans le pire des cas, nous sommes confrontés à un concept qui se contente de déverser sa petite niaiserie pour contribuer à la production de morale et d’hygiène de ce monde qui ne cesse de se gargariser d’incarner le camp du bien. Ainsi une œuvre faite de multiples tampons rappelant des visas forme le nuage des oiseaux migrateurs sur un mur blanc. Cette œuvre s’appelle : immigrant forever… Ça rappelle les manifs ! 1ère, 2ème, 3ème génération, nous sommes tous des enfants d’émigrés ! Une autre œuvre montre la photo d’un clodo dans une bille de plastique au verso de laquelle il n’y a qu’un miroir dans lequel on se voit. Vous devinez le message ? La société laisse le clodo dans sa bulle et nous prenons conscience que cela pourrait être nous et patati et patata ! Moi, cela me rappelle maintenant mon catéchisme de CM1 lorsqu’ayant renoncé à nous apprendre la vie de Jésus, les dames cathé se mirent à nous initier au vivre ensemble de l’époque à coups de dessins à colorier et découper. Disons-le sans détour, cet art-là est : nul !

C’est amusant que tu dises l’artiste…

Le jeune homme, inculte en histoire de l’art mais formé à la dialectique des commissaires, qui nous faisait la visite de la Sucrière à Lyon, ne cessait de répéter l’artiste. L’artiste a sans doute voulu montrer que… L’artiste a fait le choix de… L’artiste veut nous faire vivre telle expérience… etc. L’artiste à tout bout de champ. Faut dire qu’on ne peut pas dire le peintre ou le sculpteur, ils ne font plus rien de leurs mains. J’avais envie de lui dire : « C’est amusant que tu dises l’artiste… » Encore Art de Yasmina Reza, décidément, cela trotte dans ma tête. « Tu dis l’artiste comme si c’était une sorte de divinité… » M’aurait-il répondu : « Mais pour moi c’est une divinité ! Tu ne crois tout de même pas que j’aurais mis 20 briques pour un vulgaire mortel ! » ? Le fameux veau d’or est de retour une nouvelle fois…


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