Carl Schmitt au pays du progressisme
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L’expression consacrée d’Etat de Droit pour qualifier notre régime démocratique n’y fera rien : une volonté politique forte et assumée a toujours raison des normes juridiques et finit généralement par les piétiner. Dernier sujet en date – la vaccination pour tous et le passe sanitaire – dernière trouvaille du gouvernement pour donner l’illusion de contrôler la situation sanitaire, est un autre camouflet à ce même Etat de Droit, qui, il fût un temps, était brandi par ses mêmes néo-pourfendeurs pour faire barrage à tout élan démocratique.
Si ces dernières années plusieurs signaux avaient laissé augurer un retour en trombe du politique au détriment de la norme (Constitution européenne de 2005, et plus récemment le mouvement des Gilets jaunes dont la revendication principale était le Référendum d’Initiative Citoyenne), force est de constater que l’on s’attendait à un grand soir plutôt conservateur – car le peuple est dans son essence réactionnaire, et ce sont les minorités qui font les révolutions.
La crise du COVID est venue, entre temps, chambouler la donne, donnant l’occasion aux élites au pouvoir de réaliser une OPA sur le grand retour du politique – ainsi, si le mouvement des Gilets Jaunes laissait entrevoir un retour en trombe du politique sous sa forme démocratique, populaire et souverainiste, il n’en est rien : il sera autoritaire, sanitaire et progressiste. Les textes divers et variés accumulés au fils des ans – chartes, déclarations, décrets, lois etc – sont autant d’obstacles en carton à la volonté féroce du gouvernement déterminé à créer un précédent sans précédent en matière de privation des libertés. D’ailleurs, il n’a pas fallu deux jours au Conseil d’Etat pour valider le projet de loi, en attendant celle sans surprise à venir du Conseil Constitutionnel.
Pour ceux qui s’adonnent à la « pratique de l’histoire » - selon le mot de Bainville - force est de constater que les exemples de l’effacement de la norme face à une volonté politique déterminée sont nombreux. De la politique de la chaise vide de De Gaulle à la destruction récente du droit de la filiation, quiconque faisant mine d’incarner une once de légitimité ou de pouvoir peut se permettre de s’asseoir sur le droit en place, quand il ne s’agit pas de le réécrire complètement, même en dépit du bon sens. « Le Code Civil, combien de divisions ? » Bien peu comparé aux tsunamis féministes, progressistes, et récemment scientistes prêts à reléguer n’importe quel texte de loi à une norme purement technique prête à absorber n’importe quoi.
Ainsi les instigateurs de ce coup d’Etat sciento-progressiste qu’est l’instauration du passe sanitaire ne craignent nullement que leur mesure soit retoquée par quelque institution judiciaire ou constitutionnelle aux ordres dans le meilleur de cas, complice dans le pire. Et par conséquent, toute opposition au passe sanitaire de nature juridique ou judiciaire est vouée à l’échec, et ce malgré tout le respect que l’on doit aux efforts de Monsieur Di Vizio. Il se trouvera toujours un juge du syndicat de la magistrature, ou un ancien Premier Ministre familier des scandales sanitaires au Conseil Constitutionnel, pour trouver une justification légale aux pires immondices liberticides.
Sans le savoir, les progressistes du moment se sont appropriés Carl Schmitt. Après avoir vilipendé les principes de sa pensée pendant des décennies en opposant droit positif et droits de l’homme à toute volonté ambitieuse et courageuse de réforme, les voilà qui savent les adopter au moment opportun, celui de la krisis (crise), ce moment charnière où tout est un peu permis, où l’on prend des décisions, où les cartes sont rebattues au point que l’on peut influer sur le monde qui vient et le façonner à notre image. Le nouvel ordre sera progressiste ou ne sera pas ? C’est aux opposants de vite relire Carl Schmitt, avec un impératif : reprendre le pouvoir.