Annick de Souzenelle en obsèques Séraphiques
France Mauvaise Nouvelle https://www.mauvaisenouvelle.fr 600 300 https://www.mauvaisenouvelle.fr/img/logo.pngAnnick de Souzenelle en obsèques Séraphiques
Je pourrais faire un récit sur le mode de mon texte du 28 juin 2020 Chaise avec vue sur catafalque drapé patagon qui commence par ses mots : « Retour des funérailles de Raspail. La présence annoncée de mon ami Pierre Laroche à la messe des funérailles de Jean Raspail à l’église Saint Roch de Paris a emporté la décision de m’y rendre malgré un emploi du temps assez chargé… » on n’est jamais mieux cité que par soi-même… Par une sorte de synchronicité Jungienne, il y a comme un lien chez moi entre l’assistance à des obsèques d’un être que je ne connais que de nom et de lecture et, l’amitié.
Les funérailles de Annick du Réau de La Gaignonnière, dite Annick de Souzenelle, née à Meaulle le 4 novembre 1922, nous ayant quitté le 11 août dernier, ont eu lieu en Anjou le mercredi 14/08 à La Roche sur Loire, un village de cette région des Mauges qui m’est familière pour avoir pendant plusieurs années fréquenté des amis au village de Behuard sur Loire, qui est tout proche. Qui était celle qui s’est éteinte paisiblement dans sa 101ème année ? Définition de l’une de ses proches « Elle n’était pas seulement une écrivaine française d'ouvrages de spiritualité, mais une mystique capable de nous inspirer et de nous guider dans la compréhension des textes sacrés, notamment l’Ancien et le Nouveau testament, grâce à une lecture subtile et intelligente des lettres hébraïques et de leur symbolisme »
La première fois que j’ai entendu parler d’elle avec une certaine insistance c’était en 1993 dans les débuts de ma relation avec une amie devenue par la suite ma femme, qui fréquentait un centre de retraites spirituelles orthodoxe, bien que Catholique, celui d’Alphonse et Rachel Gotmann, Béthanie dans l’Est de la France. J’avais droit à des comptes rendus riches et inspirants de ses expériences, et des allusions à Annick de S, qui était une proche amie du couple mystique. Ses enseignements étaient régulièrement repris dans la revue Le Chemin que je lisais. De plus un ami de jeunesse un frère spirituel qui fut la seule relation ayant survécu à l’adolescence normande, la lisait aussi et m’en parlait. La lecture de ses œuvres est devenue un incontournable quand j’ai commencé ma formation d’enseignant de Yoga entre 2000 et 2004, et il fallait bien plus de 3 ans pour lire et étudier Le symbolisme du corps humain, ce livre qui vous apprend à lire le livre de la chair, que le corps a un langage, à lire son dessin, à savoir décrypter les formes du labyrinthe, a été publié en 1974 aux éditions Dangles sous le titre De l’arbre de vie au schéma corporel avant que l’auteure n’entre pour longtemps dans la maison Albin Michel dix ans plus tard en 1984. Etant donné que j’entreprends moi même une démarche depuis presque deux ans en direction de l’orthodoxie chrétienne, ayant eu cette information du décès de la femme de 101 ans par la toile internet et compte tenu de la distance assez raisonnable pour m’y rendre, je décidais de venir avec la curiosité de découvrir la liturgie orthodoxe. J’ai même proposé à mon ami et instructeur en orthodoxie, le père A. d’y aller ensemble, mais il n’était pas disponible et peut être était il un peu surpris lui qui est toujours en robe noire de la consigne donnée par la famille : se vêtir de couleurs claires et joyeuses… Pour moi cela aiguisait encore plus ma curiosité !
J’y allais donc avec tout le sérieux de celui qui se rend à des obsèques surtout s’il est croyant, mais aussi avec une certaine dose de curiosité de vivre l’expérience d’un rendez vous cérémoniel mortuaire concernant un être tellement élevé spirituellement, une guérisseuse d’âme, qui s’était armé de la psychanalyse Jungienne en tant que psychothérapeute. C’était assez curieux de retourner dans cette région alors que je n’avais presque pas prié la Vierge Noire de Béhuard pendant mes années de fréquentation d’un groupe d’amis cependant spirituels, je me promettais de réparer ce manque à l’issue de la cérémonie qui tombait la veille de la fête mariale du 15 Août. Ce que j’ai fait. Il était curieux de se dire aussi que j’aurais pu rencontrer cette femme chez elle assez facilement et fréquenter un groupe de ses élèves, mais j’allais au dernier rendez-vous physique possible avant l’enterrement qu’elle nommait d’ailleurs l’encièlement.
Je n’ai rien de très particulier à développer sur ce rendez vous de funérailles, l’ambiance était en effet presque exempte de tristesse, recueillie et sereine, je ne connaissais personne, il devait y avoir environ 200 personnes dans la petite église du village, la liturgie orthodoxe suivait d’un quart d’heure la messe Catholique, j’étais arrivé assez tôt pour trouver une place près du Chœur et je commençais à contempler les icônes disposés ça et là avant que le cercueil ne soit avancé dans la nef centrale. Comme je ne suis pas encore devenu orthodoxe, j’étais un peu interrogatif sur le déroulement de la cérémonie sur le point de savoir si je serais privé de la communion, ce qui me déroutait un peu. La partie chantée de la cérémonie était très importante et de très grande qualité. Cela me sera confirmé plus tard, la liturgie funèbre orthodoxe ne comprend pas d’eucharistie. Comme je trouve cela bien pour la liberté qui est donnée à tous, catholiques orthodoxes et non croyants ou non chrétiens ! Deux prêtres orthodoxes officiaient dans leurs vêtements liturgiques lumineux et les couleurs en effets dans le public avaient répondu à la demande, mais je remarquais que les femmes se distinguaient des hommes par les couleurs chatoyantes de beaux vêtements, beiges, marrons clair, jaunes surtout, alors que les hommes étaient plus nombreux dans les teintes sombres et noires… Le Père A, aurait pu venir !
Un confort psychologique a été dans le fait qu’aucun témoignage sur la vie de la défunte n’a été prononcé dans l’église en dehors de celui assez bref quoi que profond et vibrant de l’un des prêtres. Les témoignages ont été donnés ensuite, après la mise en terre au cimetière du village qui se fit à pied de l’église, dans une salle d’un village voisin. Le geste d’amitié envers le cercueil avant qu’il ne quitte l’église à été fait sur chant des strophes de St Jean Chrysostome que j’ai demandé ensuite à pouvoir méditer, la femme qui menait le chant, Colette, a répondu à ma demande avec le lien d’un un site o la partition complète de cet office. https://eglise-catholique-orthodoxe-de-france.fr/produit/liturgie-et-office-des-defunts/
Et j’ai à ce moment à raconté la petite histoire : « Pour la petite histoire dans la grande quoique discrète histoire, j'ai amené mardi un livre de ma bibliothèque (une de mes 9) d'Annick que je n'avais pas encore lu, hérité d'un ami de jeunesse décédé en 2014, sa maman m'avait donné tous ses livres. Avec ce livre Va vers toi c'était comme si je demandais à Annick une dédicace posthume, je l'ai posé un bref instant sur le cercueil au moment opportun des salutations gestuelles. J'ai donc lu lundi soir avant de partir des passages de ce livre souligné en rouge par mon ami défunt, (peut-être suicidé par noyade à moins d'avoir été aidé). J'ai aussi souligné d'autres phrases en vert en me disant que c'étaient des pensées de sagesse au rayon laser dans ses précisions et des pensées qui m'étaient venues souvent après de longues méditations mais que je n'aurais pas su formuler aussi bien. »
La petite histoire n’est tout de même pas banale car c’est en cherchant à retrouver Le symbolisme du corps humain dans l’une de mes 9 bibliothèques de notre domicile que j’ai retrouvé ce livre de mon ami D. qui attendait patiemment ma lecture. C’était ainsi comme si je venais aux obsèques de la grande dame avec un des ses lecteurs fervent mon vieil ami.
Mais ce n’est pas tout, cette expérience va au-delà d’une synchronicité anecdotique comme un clin d’œil des anges. Mon ami D. était homosexuel, un homosexuel non déclaré et même caché probablement honteux, peut être même persécuté dans une petite ville provinciale où dans tous les cas ce devait être très difficile de le vivre. Moi-même alors que nous étions l’un pour l’autre les plus proches et anciens amis, cela peut paraître incroyable, mais je ne soupçonnais pas son homosexualité, il n’avait fait son fameux coming out’ comme on dit que quelques années avant son décès, me laissant comprendre au passage qu’il avait finalement un peu limité nos relations à cause de cela, surtout pendant les deux années où nous étions étudiants au Mans et proches voisins. Le décès de mon vieil ami par noyade a posé des interrogations, l’enquête assez rapide a conclu au suicide, mais je l’avais rencontré en Mayenne un lundi soir soit deux jours avant sa disparition et il avait parlé de ses projets de vie, même si je lui avais trouvé un air fatigué, il était sur le point de commencer une psychothérapie avec un collègue professeur de yoga que je lui avais recommandé et qui travaillait en tant que disciple d’Arnaud et Denise Desjardin sur la méthode du lying qui est ouverte au travail sur les matériaux psychiques, les vies antérieures. L’urgence pour D était qu’il soit aidé à se débarrasser à nouveau de sa dépendance alcoolique. Mais il subsistait un doute sur la thèse du suicide compte tenu de ce que je viens de dire, l’autre thèse étant celle d’un acte de violence homophobe… En tout cas c’est comme si je venais post mortel vers Annick de Souzenelle avec une interrogation sur la manière d’aborder dans une perspective de sagesse chrétienne l’homosexualité.
Et justement dans la lecture des premiers chapitres de son livre Va vers toi, la vocation divine de l’Homme, il me semble avoir trouvé une confirmation mais mieux formulée, de mes conclusions sur ce sujet, J’ai aussi trouvé quelques mots sur la compréhension de cette femme de sagesse avait de notre interaction actuelle avec l’Islam. C’est ce que je propose de partager avec les lecteurs de Mauvaise Nouvelle dans un prochain article.
Dans le temps des témoignages post funérailles j’ai particulièrement apprécié l'intervention après l'apéritif du philosophe Bertrand Vergely que je connaissais pour l'avoir repéré en rayon philo de bibliothèques (je suis bibliothécaire documentaliste en lycée bientôt mais pas encore à la retraite) et aussi en le voyant de temps en temps sur la chaine TV KTO que ma femme catholique regarde souvent. Et chaque fois en passant, je m'arrêtais au moins quelques instants pour l'écouter lui qui crève l'écran par son intensité de parole et sa profondeur. Je me sentais en phase avec tout ce qu'il a pu dire et comme je lui ai demandé s'il était possible d'avoir son discours pour le méditer, un peu avant de m'éclipser rapidement car j'avais un rdv de coiffeur pris avant la messe à Rochefort, il m'a répondu gentiment que son texte serait très vite en ligne sur le site Arigah. Voilà le beau texte de ce témoignage : https://orthodoxie.com/hommage-a-annick-de-souzenelle-par-bertrand-vergely/
Le mercredi 14 août dans l’église de Rochefort-sur-Loire, a eu lieu l’office des funérailles d’Annick de Souzenelle, décédée le 11 août dernier. Avec l’aimable accord de Bertrand Vergely, nous publions plus bas le texte du message qu’il a adressé à Annick après la cérémonie :
Message pour Annick de Bertrand Vergely
Pour Annick
Ma chère Marie-Anne, mon cher Geoffroy et mon cher Emmanuel, vous qui êtes invisiblement là, chère Osame, cher Raoul, chère Agnès, vous qui avez été à l’origine de l’Institut d’anthropologie Arigah chargé de faire vivre l’enseignement d’Annick, chère Brigitte, cher Fabienne, cher Bertrand qui dirigez cet Institut, chers professeurs et maîtres d’ateliers qui œuvrez dans cet Institut en y apportant votre savoir et votre talent, chers amis d’Annick, cher père Marc, cher père Philippe qui êtes venus pour cette cérémonie non pas d’enterrement mais d’enciellement comme le disait Annick, mesdames et messieurs, chers amis, quand je pense à Annick, trois mots me viennent : gratitude, puissance et louange.
Quand, il y a quelques années de cela, alors qu’il était encore vivant, j’ai rencontré René Girard, je lui ai dit merci pour avoir créé dans ma vie un avant et un après. Il y a eu dans ma vie un avant René Girard avant de l’avoir lu et un après René Girard après l’avoir lu. Montrant que le christianisme n’est pas une religion du sacrifice avec toute sa violence, mais le démontage des mécanismes sacrificiels qui en font un système doloriste, il avait fait apercevoir qu’il existe un autre christianisme et avec lui une autre religion, un christianisme libérateur pour une religion libératrice allant bien au-delà de ce que l’on entend communément par christianisme et religion. Avec Annick, il en est allé de même.
Quand je l’ai lue, il y a eu un avant l’avoir lue et un après l’avoir lue. Avant l’avoir lue, j’avais quelques idées à propos du christianisme et de la religion. Je sentais que ceux-ci étaient beaux et justes sans vraiment être en mesure de pouvoir dire pourquoi. Après l’avoir lue, je me suis réveillé sous le coup d’une bourrasque comme si un grand vent avait ouvert les fenêtres de ma vie. Ce réveil a eu lieu à l’occasion du Féminin de l’Être.
Comme tout le monde, j’avais entendu parler d’Adam et d’Ève. Comme tout le monde, je n’étais pas loin de voir en eux un monsieur et une dame simplement revêtus d’une feuille de vigne dans un jardin, jusqu’à ce qu’un coup de tonnerre appelé Annick de Souzenelle ne vienne me tirer de ma torpeur infantile.
Quand on parlait d’Adam et d’Ève, on n’en parlait pas parce que l’on ne tenait aucun compte des termes en hébreu qui les désignait. On n’entendait pas ce qui parle, le souffle et derrière lui le Verbe, la divine Parole parlant d’elle-même.
Tout étant inspiré par le nom de Dieu, YHVH, Yod Hé Vav, Hé, Je suis ou Personne infinie, tout est appelé à devenir cette Personne à partir d’une noce entre l’époux intérieur le feu et l’épouse intérieure la feu, comme le dit Annick. Quand cette noce s’accomplit elle donne l’Homme, l’Adam, celui qui a trouvé sa terre, sa adamah.
J’avais lu Carl Gustav Jung qui parle de l’unité de l’âme à partir de la coïncidence de ses opposés, le masculin ou animus et le féminin ou anima. J’avais lu Gaston Bachelard qui, inspiré par Jung, avait vu dans la dialectique du masculin et du féminin chez Jung, l’occasion de penser une dialectique cosmique à partir de l’eau et du feu. Personne ne m’avait expliqué que cette dialectique n’est pas simplement celle du cosmos ou bien encore de l’âme, mais la dialectique même de l’Être. Personne ne m’avait montré que l’Être est appelé à vivre en nous afin que nous soyons à partir du baptême de l’eau, celui du feu et celui du crâne.
Enténébré par l’affligeante idée que la femme est issue d’une côte d’Adam, personne n’avait compris le côté cosmique et divin de l’Homme. Berdiaev qu’Annick tenait en haute estime avait certes déjà frayé un chemin vers cette interprétation révolutionnaire. Il avait rêvé que le christianisme moderne devienne vraiment intelligent. Annick l’a fait.
En le faisant, le monde a changé de face. L’homme cessant d’être dans le monde, le monde est devenu ce qui est dans l’homme. Devenant le monde intérieur au lieu d’être simplement le monde, tout s’est mis à avoir une résonance infinie. Tout se mettant à résonner, on a non seulement eu le droit d’être poète et mystique. On en a eu le devoir.
Les philosophes d’aujourd’hui pensent que la religion est obscure. Elle l’est quand, menée par des ignorants, elle tombe en décadence. Ce qui est malheureusement le cas aujourd’hui. Annick le constatait souvent en le déplorant. Mais il existe une autre religion, la religion intérieure, celle qui consiste à faire religieusement les choses avec une attention extrême en vivant de tout son être. D’où le lien entre religion, attention, corps et Être.
C’est ce qu’Annick n’a cessé de rappeler en mettant le corps au centre de la Parole et la Parole au cœur du corps, pour reprendre le titre d’un livre d’entretiens qu’elle a eus avec Jean Moutapa. Approche transcendante de l’incarnation et incarnée de la transcendance avec l’Homme comme accomplissement d’une noce entre l’époux et l’épouse, le feu et la feu, et Dieu comme corps du corps, chair de la chair, os des os, pour reprendre la parole qui est celle d’Adam Ich quand pour la première fois il voit Ève, son Icha.
J’ai une immense gratitude envers Annick. Elle a changé ma vie parce qu’elle m’a fait naître. Je crois que je ne suis pas le seul. Nous sommes des dizaines, des centaines, des milliers qui avons eu notre vie changée par son enseignement.
Lorsque je suis allé la voir il y a quinze jours afin de lui dire au revoir, je le lui ai dit. « Regarde Annick. Nous sommes des dizaines, des centaines, des milliers qui avons pour toi plein d’amour et plein de gratitude, tant tu nous as permis de devenir ce que nous sommes. Tu peux être fière de ce que tu as fait parce que nous tous, nous sommes fiers de toi, fiers de t’avoir lue, fiers de t’avoir entendue, fiers de t’avoir connue ». Quand j’ai prononcé cette parole, Sophie qui était là me l’a fait remarquer, une larme a coulé de son œil mi-clos. Elle m’avait entendue.
Annick a changé notre rapport à la religion en général et au christianisme en particulier. Elle n’a pas fait que cela. Elle a aussi été puissante en apportant de la puissance. Si à la source de toute chose il y a la source divine ineffable ou Être, exprimée par le Je suis, l’être se manifeste par la puissance qui est énergie irrépressible.
L’Être ou Dieu est d’une force, d’un amour, d’une intelligence et d’une liberté dont on n’a pas imagination. C’est ce qui donne à la Parole divine le caractère d’être une loi ontologique. Annick le disait souvent : « Ah mes amis ! Si vous saviez comme tout cela est beau ». On croit que la puissance signifie le pouvoir. Elle signifie la beauté. On ne peut empêcher la beauté d’être. Cette beauté, on la trouve dans la Parole.
La vie n’est pas muette. Elle parle en touchant les cœurs et en créant une harmonie qui va du cœur à l’univers et de l’univers au cœur. Il est puissant, c’est-à-dire beau, de faire l’expérience de cette harmonie. On sent alors vivre une énergie qui ne connaît pas la mort. Il est encore plus puissant de la faire vivre. C’est ce que fait la transmission.
La beauté de la transmission, Annick l’a apprise avec Jean Kovalevsky ou Évêque Jean qui a fondé l’ÉCOF ou Église catholique orthodoxe de France. Dans chaque mot de l’Évangile, il y a une bibliothèque cosmique, humaine et céleste. L’Évêque Jean a appris à Annick à lire l’Évangile ainsi. Annick nous a appris à son tour à le lire ainsi en y rajoutant toutefois une chose à savoir l’hébreu.
L’Évangile a été détourné par la politisation du christianisme qui en a fait un instrument au service d’un pouvoir militaro-religieux. Ce pouvoir a notamment effacé toute la puissance intérieure et ontologique des mots afin d’en faire les instruments d’un code politico-social autoritaire.
En hébreu, tout mot a un sens littéral, historique, moral et mystique. Tout mot renvoie à des lettres mais aussi à des chiffres. Tout mot a une divine énergie qui ne demande qu’à être intériorisée. Il faut beaucoup de force pour retrouver le sens, le chiffre et l’énergie qui se trouvent dans les mots. Il faut avoir la force de casser la coque de paresse, de conformisme et de médiocrité intellectuelle, morale et spirituelle qui vide la parole de sa substance. Cette force, Annick l’a eue. C’est ce qui a fait la singularité de sa parole.
Lorsqu’on allait la voir, il y avait toujours un moment où, comme Geoffroy son mari, elle disait : « Mes amis, passons à un autre niveau ». Commençait alors une conversation, un dialogue au sens fort au cours duquel, telle la foudre tombant du ciel, tel le sabre du guerrier spirituel tranchant de façon précise et juste, le dia Logos, la parole qui traverse de part en part surgissait. On ressortait alors fortifié, ressourcé, inspiré.
La tradition orthodoxe à laquelle appartenait Annick explique que l’on ne progresse pas dans la vie spirituelle sans un père spirituel. Grâce à Annick qui a été ma mère spirituelle, j’ai compris ce que cela voulait dire. Nous avons besoin d’un maître, d’un guide, d’un éveilleur plus éveillé que nous qui bouscule nos torpeurs, qui balaie nos conformismes, qui fasse vivre le mot homme intérieur quand nous piétinons, quand nous dormons, quand nous sommes morts alors que nous devrions être vivants.
Annick qui a changé nos vies a été puissante. Elle a changé nos vies et été puissante parce qu’elle a été orthodoxe, profondément orthodoxe, au sens non banal. Il ne s’agissait pas pour elle d’être une farouche gardienne de temple mais de donner un sens plein à la notion d’orthodoxie, c’est-à-dire de juste louange.
Le fond des choses est louange. Les Psaumes le chantent « Que tes œuvres sont grandes, Seigneur, tu as s tout fait avec sagesse ». La vie ne cesse de louer la vie. Le vivant ne cesse de célébrer le vivant. Cette célébration Annick n’a cessé d’en parler en s’inspirant du Christ et à travers lui du Verbe.
Nous avons en nous un corps inconnu. Il existe dans l’Homme un homme inconnu. Il existe à travers toutes les traditions de sagesse et de sainteté un Dieu inconnu. On est dans la juste louange quand on voit le monde, les hommes et l’Être ainsi. Le Christ fait vivre ce corps, cet homme et ce Dieu à travers sa résurrection qui, depuis la création du monde ne cesse de susciter et de ressusciter la terre, l’humanité et le ciel.
Dans l’histoire humaine, ce corps, cet homme et ce Dieu inconnus parlent à travers l’étrange et surprenante résonance que l’on peut trouver chez tous les hommes et chez toutes les femmes de Dieu à travers le monde ainsi que dans toutes les traditions spirituelles. Le christianisme, le judaïsme, l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme, les religions africaines et amérindiennes ne sont pas les mêmes et il ne saurait être question de les confondre. En le faisant on créerait de la confusion et non une unité. Il n’en reste pas moins que toutes ces traditions à leur façon disent le Dieu fait homme afin de faire naître une humanité non pas divinisée se prenant pour Dieu mais déifiée en étant habitée par lui. Dans le Tao, l’équilibre qui fonde l’univers et qui le maintient est symbolisé par un homme qui relie le ciel et la terre comme un arbre avec ses racines et ses branches. Cet homme totalement trinitaire, on le retrouve partout.
Dans l’Institut d’anthropologie qui s’est installé à Vendôme, ce mystère de l’humanité en voie de déification est admirablement exprimé par la diversité des traditions qui y sont représentées : grecque, chrétienne, juive, musulmane, hindouiste, bouddhiste, africaine, mais aussi par le remarquable travail corporel qui accompagne cette diversité en faisant vivre les formes, le corps, la danse, la voix le jeu, le chant, le dessin, le modelage. Enfin, dans l’œuvre d’Annick, ce sens de la diversité créatrice se trouve dans la façon unique qu’elle a de faire jouer ensemble comme les musiciens dans un orchestre la Bible, l’Évangile, l’hébreu, la psychologie des profondeurs et la pensée. Quand cette diversité prend forme, elle donne ce que l’on peut trouver dans Alliance de feu : un livre inouï qui n’est plus un livre mais une danse faite livre dont on se demande comment il a pu être écrit et comment il a pu être édité tant il a dû être difficile de l’écrire et de l’éditer.
Le christianisme est fait de traditions différentes qui sont chacune une façon de voir le Christ. Le protestantisme pense que l’on unit les hommes en passant par la réforme morale. Le catholicisme pense qu’on les unit en passant par une politique de l’humanité universelle. L’orthodoxie pense qu’on les unit par la louange et sa justesse. En étudiant, en enseignant, en parlant, en écrivant, en fondant un Institut d’anthropologie spirituelle, Annick a fait vivre cette louange. Mieux, elle a été cette louange comme en témoigne son regard inoubliable rayonnant de vive lumière.
Il y a une semaine de cela, en donnant des nouvelles d’Annick, Marie-Anne a eu cette parole subtile et belle : « Annick, qui ne peut plus entendre au sens physique et humain, entend désormais une voix avec laquelle rien ne peut rivaliser ». Cette parole de Marie-Anne résume bien ce qu’a été Annick, ce qu’elle est et ce qu’elle sera toujours : une femme non pas simplement reliée mais absolument reliée, tellement reliée qu’elle nous a permis à toutes et tous de faire l’extraordinaire expérience d’être relié et de se sentir relié.
Annick a souvent dit que la mort est mutation et non mort comme le cimetière en hébreu ne s’appelle pas cimetière mais la maison de la vie. En ce jour béni chère Annick où tu vas vivre la mutation absolue et resplendissante, au nom de toutes et de tous, laisse-moi te dire encore combien nous t’aimons et combien nous sommes d’une infinie gratitude envers toi. Nous avons eu la chance de communiquer avec toi dans le visible. Nous allons maintenant communiquer avec toi dans l’invisible et par lui. Tu as été géniale dans le temps des hommes. Aujourd’hui, tu es géniale pour l’éternité.
Bertrand Vergely