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Légal ou moral ?

Légal ou moral ?

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Tout notre système juridique repose sur un postulat que tous les étudiants en droit apprennent comme un dogme indépassable : le droit n’a rien à voir avec la morale. On appelle cette doctrine le positivisme juridique, qui postule avec Kelsen que le droit est l’expression de la volonté des hommes, et qu’il n’est donc pas fondé sur l’être, parce que « ce qui est » (par exemple que les gros poissons mangent les petits) ne saurait déterminer « ce qui doit être » (que les gros poissons doivent manger les petits).

Pour nos positivistes, donc, chacun peut bien avoir sa morale, il importe seulement que le droit s’impose de la même manière à tous.

Dans un contexte de pluralisme moral, que vient troubler le pluralisme religieux qui apporte également d’autres systèmes de moralité, cela paraît prudent.

Il y a pourtant cette petite voix, qui ressemble étrangement à celle d’Antigone, qui nous murmure que cela est bien gentil, mais que si la loi suffisait à me dire mon devoir, alors il faudrait sans tarder réhabiliter tous ceux qui, au cours de l’histoire, ont allégrement commis tortures, massacres et autres actions « que la morale réprouve » en obéissant pourtant, avec une rigueur qui pourrait forcer l’admiration si elle n’était pas la rigueur dans l’horreur, aux lois en vigueur. Nous ne sommes pourtant pas prêts à réhabiliter ainsi les Eichmann et autres serviteurs des Etats totalitaires dont les siècles positivistes nous ont proposé tant de spécimens.

Cette petite voix est celle de notre conscience morale, qui nous retient par la manche de l’esprit pour nous dire parfois : « non, ne fais pas cela ». Mais comment fait-elle ?

Nous avons une conscience morale parce que nous sommes intelligents. Ce n’est pas une question de sensibilité, mais d’intelligence. Quand nous voyons un enfant seul, sans soute perdu dans les rayons d’un magasin, nous ne nous contentons pas de constater qu’il est perdu et que, par conséquent, il est à la merci de la première personne mal intentionnée. Nous éprouvons également ce que nous pouvons appeler une « obligation morale » : celle de le conduire à un endroit où il sera en sécurité, capable de retrouver ses parents. Cette expérience de l’obligation morale, Karol Wojtyla l’appelle une « expérience subjective de notre dépendance à l’égard de la vérité ». La vérité nous lie, elle nous oblige, bref elle est capable de s’imposer à nous sous la forme d’une loi : « tu dois mettre cet enfant en lieu sûr ». Nos pas comme le croyait Kant en raison d’une pure exigence de non contradiction rationnelle, mais parce que la vérité que j’ai reconnue m’appelle et j’entends son appel. La vérité m’appelle à agir, non pas pour la vérité elle-même comme valeur abstraite, mais pour l’être dont la nature m’est dévoilée.

La nature d’une chose, c’est ce qu’elle est ou, si l’on aime mieux, son essence. Autrement dit, ce que notre intelligence découvre en elle, d’une manière souvent d’abord confuse et commune quand elle se demande « qu’est-ce que c’est ? ».Le mot nature dit cette essence comme un dynamisme vers des finalités qui sont, pour cette chose, son bien et son accomplissement. C’est ici que la morale commence, car la découverte de l’être est aussi la découverte du bien. Le bien est simplement, pour un être, ce vers quoi il tend par sa nature, en admettant que  sa nature est en bonne santé.

La loi naturelle, c’est donc cette exigence morale que nous pouvons découvrir dès lors que nous voyons qu’un être tend par sa nature à un bien. Mais cela ne suffit pas, car ce qui est bien en général ne l’est pas nécessairement en toute situation : Faut-il rendre son fusil à qui me l’a prêté ? Faut-il dire la vérité à qui me la demande ?

Le bien prend pour nous quatre grandes figures, dégagées notamment par Aristote, dans lesquelles on reconnaîtra les vertus cardinales : le bien apparaît comme

  • quelque chose qui est dû, qui relève donc de la justice : ai-je droit à ce bien, m’est-il dû ? Dans la mesure où tout homme tend naturellement à savoir, il y a des connaissances qui lui sont dues afin qu’il accomplisse son être. La vérité de cette exigence est source d’une obligation morale de l’instruire, c'est-à-dire de lui donner ce bien que son éducation nécessite.
  • quelque chose à faire en tenant compte des circonstances : faut-il dire la vérité maintenant ? A qui, de quelle manière ? C’est le bien de la prudence, par lequel nous cherchons à bien répondre à cette exigence naturelle de l’être.
  • quelque chose à rechercher parmi d’autres biens dont il faut tenir compte, et donc parmi d’autres exigences morales naturelles. C’est le bien de la modération : c’est bien de faire la fête, c’est parfois juste, mais il faut aussi tenir compte de l’exigence qu’impose la présence d’autres personnes qui, du fait de leur nature, ont droit au silence ou à la sécurité.
  • quelque chose enfin à rechercher en luttant contre des obstacles qui s’y opposent : c’est le bien du courage.

On voit bien du coup que la morale peut changer, parce que les exigences qui découlent de la nature d’une chose peuvent varier en fonction des circonstances : ce qui est juste à un moment précis (rendre un fusil) peut ne pas l’être au moment d’après, si par exemple le propriétaire de ce fusil est devenu fou.

La loi naturelle, c’est cette exigence morale dont l’intelligence trouve la source dans la nature des choses, et notamment dans la nature de la personne humaine, et qu’elle détermine concrètement en fonction de la situation qui est la sienne. Dès lors que nous reconnaissons une personne humaine comme un sujet doué de libre arbitre, cette vérité se traduit devant notre conscience comme une exigence morale, que Kant pour le coup a bien traduite bien qu’il n’ait pu en donner la raison profonde : agis de telle sorte que tu traites la personne toujours comme une fin et jamais simplement comme un moyen.

Il est maintenant facile de voir que la loi positive (le légal) n’a de sens que parce qu’elle traduit une exigence morale. Un stop sur la route traduit une exigence de sécurité que nous comprenons avec notre intelligence pour peu que nous reconnaissions aux usagers une dignité humaine qui tient à leur nature.

Et cependant le légal n’épuise pas le moral. La loi n’a pas d’autre but que d’exprimer les exigences de la vie commune. Elle ne saurait nous obliger à aimer notre prochain, ou à ne pas être paresseux, ou encore à faire l’aumône à un sans-abri. Autrement dit, même si la loi traduit une exigence morale, elle n’a pas à traduire toute exigence morale. Ce qui est immoral peut donc ne pas être illégal, comme avoir du mépris pour autrui.

François Fillon l’a bien compris : employer ses enfants et conjoints n’est pas illégal. C’est moralement douteux, parce que c’est manquer aux quatre vertus évoquées.

A la prudence, parce qu’il aurait été plus intelligent d’employer un jeune qui adhère à ses conviction, comme Le Theul l’avait fait avec lui. Ainsi aurait-il travaillé au renouvellement de la classe politique. A la modération, parce qu’il n’a pas pris garde à d’autres biens comme l’exigence de séparation entre ses intérêts personnels et familiaux et le bien de l’Etat. A la justice, parce que ses revenus étaient probablement suffisants pour qu’il n’ait pas besoin de ces sommes. Au courage, parce qu’il fallait lutter contre les pratiques établies.

C’est le sens de son mea culpa.

Ceci dit, les nouveaux chantres (souvent autoproclamés) de la moralité seraient avisés de faire preuve de modestie. Le Canard Enchaîné et les officines plus ou moins marxistes qui brandissent aujourd’hui l’étendard de l’ordre moral ont suffisamment dénigré celui-ci ces dernières années pour que nous manifestions un étonnement légitime. On les a connus moins sourcilleux sur les questions du respect de la vie, par exemple, ou encore de la Gestation Pour autrui. Sujet à propos desquels ils s’indignent contre ceux qui voudraient imposer leur morale… Du coiffeur du locataire de l’Elysée (lequel y logeait sans vergogne ses maîtresses et concubines) aux cachoteries d’un ministre du budget, en passant par les frasques sexuelles d’un brillant économiste sorti de sa douche d’un Sofitel pour clients aisés, sans parler de probables détours sordides par les bordels de Marrakech, la moralité est violée plus souvent qu’à son tour chez ceux qui se font aujourd’hui les défenseurs de la vertu.

Celui qui a le mieux compris cela dessinait un jour sur du sable lorsqu’on lui présenta une femme prise en adultère et que la loi de Moïse prescrivait de lapider. On se souvient que, dessinant toujours on ne sait quoi sur ce sable de Palestine il se contenta de prononcer cette fameuse phrase : « que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Résister  à la tentation de ce que Girard appelle la violence mimétique est difficile : placé devant la faute (morale ou légale) d’autrui, nous ignorons la nôtre et sommes tentés de faire bloc contre autrui en un terrible mécanisme d’union contre une victime. Placé devant notre propre condition faillible, nous nous rendons compte que celui qui demande pardon pour sa faute morale mérite sans doute de retrouver notre confiance, parce que c’est en cette condition qu’il nous ressemble. En espérant que ça lui serve de leçon…


A la périphérie du pays légal
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France Dar al Islam
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Mauvais temps pour les harceleurs
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