Quatre signes
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Lassé de mon enfermement et de ce qui, à la limite du sortilège, voire du maléfice, m’empêche à présent carrément de sortir de chez moi pour goûter aux joies du vivre ensemble, aux délices des bouteilles, canettes en tous genres, et autres ordures déposées partout sauf dans les multiples poubelles prévues à cet effet, multiplicité produisant du coup, une indéniable pollution visuelle, goûter aux joies des trottinettes, vélos et scooters de livreurs se frayant un passage comme s’ils étaient prioritaires sur les trottoirs jadis piétonniers de Paris, rejoignant la grande famille des « A roulettes » avec leurs cousins et cousines, caddies, poussettes et valises, goûter les joies des sales regards et des beuglements de barbares en goguette…
Je décide de prendre sur moi pour effectuer une promenade d’une demi-heure dans les allées paisibles du père Lachaise, comme je réussissais encore, il y a un mois à m’y astreindre, avant la survenance maléfique de plus en plus pesante et indéniable de forces négatives et pernicieuses dans l’atmosphère globalement empoisonnée, littéralement néfaste et pestilentielle de cette pauvre ville quasi-maudite en voie de totale et d’abyssale perdition irrémédiable.
Le soleil donne aux verdeurs criardes du printemps triomphant une presque stridente fluorescence. Les merles affairés émettent joyeusement leurs délicieuses et si musicales moqueries, bien antérieures au « temps des cerises », qui lui ne saurait tarder. Je passe par le touchant jardin Samuel de Champlain situé à flanc de colline entre l’Avenue Gambetta et le haut mur d’enceinte du cimetière. Superbe endroit s’il en est. Les jardiniers de la ville de Paris s’y évertuent à réaliser des merveilles d’arrangements floraux aux teintes complémentaires s’opposant vaillamment, voire presque violemment dans de multiples formes et variétés. Je passe en haut, au Nord, rue des Rondeaux, selon mon itinéraire habituel. Une fenêtre d’appartement de rez-de-chaussée exceptionnellement ouverte, laisse s’échapper une chanson que j’identifie comme le fameux « CHAT NOIR » célébrant le secteur Montmartrois de Paris, interprétée, c’est indéniable et peu commun, par Juliette Gréco. Cette rareté discographique me fait deviner que l’occupant de l’appartement doit écouter l’un des volets de l’émission de France Musique consacrée à Montmartre dont j’ai apprécié un épisode le Dimanche d’avant à la même heure. Les paroles exactes qui « S’ADRESSENT A MOI » quand je passe devant la fenêtre sont les suivantes, souvenez-vous en : « Je cherche fortune tout autour du chat noir »
Le cimetière déploie généreusement, dans un lascif abandon sensuel et bienveillant ses fastes enjôleurs pour l’habitué que je suis. Il m’offre à profusion de subtiles nuances de calme, de dégradés de gris et de verts des plus tendres dans un monumental silence symphonique ponctué de trilles. Je marche, essayant de compter, de respirer de la façon suivante : quatre temps inspiration, quatre temps suspens, huit temps expiration, quatre temps suspens etc. Le tout au rythme des pas, interrompu par la nécessité que j’éprouve, viscéralement, de ramasser systématiquement les tickets de métro violets que les touristes négligents prennent un malin plaisir à semer entre les pavés des voies…
Je peste intérieurement de ces preuves flagrantes d’irrespect. Je m’en veux de cet état chronique qui ne sied pas à mon exigence spirituelle. Je constate tristement, avec colère presque, que malgré mes « notre père» du matin et du soir et une « vue de l’esprit » instituant normalement dans mon état, dans ma situation, une gratitude qui devrait être permanente envers le créateur, une joie de vivre qui devrait se situer dans l’allégresse perpétuelle, je constate que j’éprouve indéniablement un effroyable ressentiment, un accablement profond, un quasi-mépris misanthropique pour l’humanité dont les quelques exemplaires de spécimens égarés ici, mal fagotés, cramponnés à leur téléphone portable, cherchant presque tous la sépulture de l’enschnouffé Jim Morrison, ne sont pas pour me faire changer d’avis.
C’est dans ce sombre état d’esprit que j’atteins l’allée principale Est Ouest qui passe devant la chapelle et l’imposant et blasphématoire monument à la gloire de Thiers, célébrant d’une certaine façon le mépris absolu du peuple. Je contemple en marchant des marronniers en fleurs, élevant pour ce faire mon regard quelque peu. Les uns taillés et disciplinés contrastent monstrueusement presque pathétiquement, avec un des leurs, gigantesque, magnifique, prolifique, libre et majestueux. Tout en admirant cette flagrante, luxuriante, quasi turgescente beauté qui m’est donnée à voir, offerte, je déplore l’absence en moi de gratitude, d’émerveillement exalté pour la création. J’éprouve la nostalgie presque douloureuse, de mon vivant et vibrant enthousiasme innocent, ingénu, de naguère
C’est à ce moment de l’écriture du présent texte que je prends connaissance par texto, comme une preuve tangible, malgré mes débectantes jérémiades, preuve tangible de la divine providence, prends connaissance du retour sur le marché d’une demeure idéale pour des amis proches qui souhaitent quitter Paris. Très affectés, moi presque autant qu’eux, qu’elle leur échappe de très peu, alors qu’ils avaient pu vérifier sur place que c’est exactement la maison de leur rêve. Je me réjouis fort de cette excellente nouvelle et reprends la narration de ma promenade au père Lachaise au moment où, admiratif, je contemple les magnifiques marronniers dans leurs saisissant, monumental et quasi-brutal contraste.
J’ai remarqué avec une légère amertume, la disparition effective en moi ces derniers temps, de ma joie et de ma connexion au spirituel, au DIVIN. C’est bien à la joie comme DEVOIR dans la tradition de ce que je nomme « L’ALLELUIA » que je ne parviens plus à m’astreindre… m’en voulant terriblement de cette impardonnable défection dans la mesure où, j’en suis persuadé, ce devoir de JOIE correspond pour grande part à ce qui serait ma mission dans cette vie, sur cette bonne vieille planète épuisée, surexploitée, surpeuplée et meurtrie ! Je suis à la quête d’un signe et pense peut être, de façon très lointaine, à la chanson au texte limpide de Gérard Palaprat « Fais-moi un signe ».Toujours attentif à ce qui TRAÎNE au SOL, peut-être trop, peut-être plus malheureusement, qu’à ce qui se TRAME aux CIEUX, je repère un papier dans l’allée. Papier que je vais me hâter de ramasser pour lui faire subir le sort qu’il mérite : la poubelle ! Ce papier rougeâtre, un peu plié, c’est ce qui le rendait non identifiable, est tout simplement un billet de DIX euros en parfait état. A cet instant précis, je sens enfin, ténue, légère et fragile, une infime lueur de joie poindre du tréfonds de mon être, comme la flamme vacillante d’un cierge résistant près d’une porte ouverte. Joie que je m’efforce de répandre, de diffuser en moi, de développer, pour RENOUER avec le divin, le spirituel, le religieux VRAI de l’existence. Dans cette quasi-joviale disposition d’esprit, un autre papier m’attend un peu plus loin. Il s’agit d’une sorte d’étiquette blanche plastifiée d’environ 14 cm sur 3, sur laquelle est imprimé en noir, en caractères moyens « Georges Seurat » et en manuscrit le chiffre 66. Malgré le prestige de ce nom, après avoir hésité je la confierai quand même à la benne toute proche.
Non loin de là, toujours sur la même allée, un autre papier va magistralement COURONNER le tout. Celui-ci dans les bleus, je l’ai conservé. Un rectangle de 10,5 par 14,5. Sur fond Bleu CIEL. Dans la moitié supérieure dans un rectangle de 8,5 sur 3, un texte dans les mêmes caractères que pour Georges Seurat et également sur fond blanc et sur une largeur similaire : « COMMENT ÊTRE SÛR D’ALLER AU CIEL ». Dessous une photo de 10 par 6 avec un nuage en forme de CŒUR sur fond bleu plus soutenu de ciel. Au verso quelques versets de la bible pour confirmer que « SEUL JESUS NOUS DONNE ACCES AU CIEL » et les coordonnées d’une communauté Chrétienne d’Ussy sur Marne. Papier imprimé aux éditions de l’ « ARBRE DE VIE ». Ma joie se précise, même si elle peine encore à s’imposer, à s’épanouir. Ainsi L’ASSOCIATION se fait entre l’arbre et le religieux. Ce rappel archaïque presque antédiluvien m’apaise quant à ma position dans l’espace-temps. Il relativise les cruautés, les menaces et la sauvagerie de l’époque contemporaine livrée aux barbares et aux brutes…
L’inspiration des nefs ne fut-elle pas le sentiment ineffable d’allégresse ressenti en forêt sous les formidables voutes végétales constituées par les cimes des arbres se rejoignant ? N’est-ce pas cela même que j’éprouve ? Oui ! C’est bien cela que j’éprouve, imprégné de respectueuse dévotion, en cheminant dans l’allée Ouest de la nécropole bordée de gigantesques marronniers formant, leurs cimes se rejoignant, une cathédrale végétale dans un avenant silence recueilli. C’est bien là le rappel d’une très ancienne religion, de LA religion occidentale, célébrée entre autres par les druides… Il est notoire de surcroît que c’est bien des bois que jaillit la formidable inspiration des bâtisseurs de cathédrales.
L’incendie de notre dame, le brasier apocalyptique de la charpente de l’édifice nommée « la forêt » a purifié l’air de Paris, a détruit quelques terribles égrégores, mais a aussi rendu les taux vibratoires différents dans la capitale. Un moment d’adaptation est nécessaire.
Interloqué par tant de « coïncidences » reliées en miraculeuse synchronicité, je décide de vérifier le nom de l’allée où j’ai fait ces trois trouvailles sur plus ou moins cinquante mètres. Cela ne s’invente pas : Avenue de la CHAPELLE. La lecture de ces signes consécutifs donnés à voir en cheminant vers l’ouest ne signifie-t-elle pas que la ferveur doit à présent retrouver le sacré cœur de Jésus, vers Montmartre… Le sacré cœur ne devrait-il pas prendre le relais de cette pauvre et grandiose notre dame épuisée, usée, envahie de curieux, désaffectée de foi par tant de visiteurs, apostasiée de force par des hordes de touristes, passée par un terrible et gigantesque feu purificateur mais à présent vidée du sacré, calcinée bien qu’encore debout, ayant accompli TOUT ce qu’elle aurait pu ?
N’est-il pas grand temps de renouer enfin avec le Jésus combattant pour le bien, chassant fermement les marchands du temple ? Le sacré, indépendant des dogmes mortifères du religieux, ne tient-il pas compte dans ce déplacement vers le Nord-Ouest du déplacement du pôle magnétique puisque, au-delà du liturgique, il s’agit bien de célébrer un autre CULTE beaucoup plus ancien ? Ne serait-il pas grand temps de RETROUVER les forêts ?
De retour à mon domicile je m’informe sur Georges Seurat. L’une de ses plus célèbres toiles est un chahut. J’ai participé naguère à un spectacle intitulé CHAHUT ou nous rendions hommage au cabaret le CHAT NOIR…chat noir dont les paroles s’échappaient de la fenêtre de la rue des Rondeaux. Sans chercher fortune j’ai trouvé dix euros. Pour clore cette relecture de certaines « réalités de la réalité », je décide en écrivant ce texte de donner momentanément aujourd’hui, une meilleure place à un portrait plastifié animé de Jésus de 26,5 par 33,5 que je possède depuis plus de quarante ans. Pour l’installer convenablement, je dois ôter un seul livre de ma bibliothèque. Je ne sais pas duquel il s’agit car son dos est anonyme. Je ne peux l’identifier.
Une fois dégagé des autres ouvrages, je vérifie avec amusement que pour continuer dans la logique très ludique de ce jour de Pâques 2019, il s’agit d’un opuscule de Maurice Hamel : « les aventures et les chansons du bruyant Alexandre » édité en 1929. « Le roman d’un chansonnier populaire » nous ramène à Montmartre, à Aristide Bruant et à son fameux « CHAT NOIR » dans la mesure où le jeune Alexandre fut embauché par Aristide et fréquenta les lieux qu’il hantait. Ce livre me fut offert par l’ami en quête de maison qui m’a envoyé le texto. Ainsi la boucle est bouclée. Ainsi s’entremêlent de nouveau sous les cieux de Paris, dans les allées du père Lachaise aux esprits facétieux, se tissent des liens entre sacré de la butte et sacré Chrétien, sacré des forêts et sacré de l’île de la cité, sacré des sépultures et du lieu, en suggérant que le cabaret et le chat noir comme cela fut et est prouvé et développé pouvaient et peuvent faire preuve d’éternelles magies reliantes… comme si le divin se situait pour beaucoup dans les LIENS, les interactions, les relations dans le temps et l’espace
Philippe Jacques Louis André Pillon le 21 Avril 2019.
Le 22 Avril, comme l’idée fixe ne m’a pas quitté. Je décide d’aller récupérer l’étiquette Georges Seurat dans la benne vide où je l’ai désinvoltement jetée la veille. Souvenons-nous bien qu’à part le nom Georges Seurat y figure en écriture manuscrite le nombre 66. J’entreprends ma promenade dans le sens inverse de celui de la veille, comme je le fais habituellement pour ménager une alternance aussi bien dans les pas, les reliefs, que dans les visions offertes en chemin. Je terminerai donc la balade par la descente de la pente abrupte du jardin Samuel de Champlain. Je récupère l’étiquette dans la benne presque vide que je dois basculer pour en atteindre le fond, sous les regards impavides d’un couple de touristes. En sortant du jardin, au bas de l’Avenue Gambetta que je traverse à un niveau qui ne m’est pas coutumier, m’attend sagement sur un banc un livre. Il s’agit du Faust de Goethe en version Américaine éditée à New York par « The library of liberal arts » entre 1954 et 1957. Ce qui couvre la période de ma date de naissance. Il s’agit d’une moitié de l’œuvre : part one. Comment puis-je interpréter cette découverte ?
Faust : « Le magicien Faust vend son âme au démon Méphistophélès en échange du savoir et des biens terrestres. »
Or, je sors tout juste de la nécropole où me furent prodigués hier des messages clairs. Nécropole où flottent peut être, à l’affût, quelques âmes en peine…sur l’étiquette Georges Seurat le chiffre 66 correspond à la date de naissance du propriétaire décédé de la maison que mes amis vont acquérir. Et sur mon exemplaire jauni et patiné de « Goethe » que j’examine attentivement, cherchant un signe, je découvre avec amusement, au dos de cette moitié d’œuvre le chiffre 33…
Philippe, Jacques, Louis, André Pillon le 22 Avril 2019.