Sanglants bijoux !
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2013-09-18T20:00:00+02:00
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Sanglants bijoux !
Par Pascal Jacob
18 septembre 2013 20:00
Voilà un vol de bijoux suivi de la mort d’un braqueur qui auront fait couler beaucoup d’encre. Après des réactions marquées par l’émotion, nous avons eu de brillantes analyses juridiques. Je me permets de proposer ici une analyse éthique.
Sans doute certains diront que l’éthique, au contraire du droit, n’est pas une science certaine dont les résultats doivent s’imposer à tous ceux qui vivent sous une même loi. Laissons cela, on jugera sur pièce.
Le jugement moral est un jugement de notre conscience morale qui porte sur une action, et qui cherche à établir si un acte volontaire est au fond conforme à une exigence très fondamentale qui est de faire ce qui est bien (ou au moins ce qui nous apparaît tel), et de ne pas faire ce qui est mal (ou au moins ce qui nous apparaît tel). Une conscience morale est droite lorsque ce qui lui apparaît bien ou mal est effectivement bien ou mal.
Laissons de côté la question de savoir « ce qui est bien ou mal en vérité », qui s’éclairera suffisamment au long de notre propos.
La défense du bijoutier semble faire appel à deux principes : celui de la légitime défense, et celui de l’émotion. Le principe de l’émotion renvoie au fait qu’un acte qui serait posé sous le coup de l’émotion ne serait pas volontaire, et donc échapperait au jugement moral. Celui de la légitime défense renvoie au fameux « acte à double effet » : lorsqu’une conséquence de mon acte est involontaire, elle ne m’est pas imputable, même si je pouvais la prévoir, du moment que mon acte était proportionné à ma finalité. C’est le cas d’une « légitime défense », nommée ainsi parce que l’objet est bien de se défendre et non de tuer.
De nombreuses personnes ont manifesté leur soutien au bijoutier, sans pour autant soutenir son acte. Lui-même, dit-il, regrette la mort de son agresseur.
Une conscience morale droite ne peut juger qu’il est bon de priver quelqu’un de sa vie, pour la raison que cette vie est un bien sans prix, qui n’appartient à personne. C’est donc toujours une injustice, dès lors qu’elle est volontaire, quand bien même nous penserions que nous aurions fait pareil.
On dira qu’après tout, un homme qui entre armé dans un magasin consent implicitement à ce que le bijoutier lui-même use d’une arme, et même il admet la possibilité d’être lui-même tué. Mais sa vie ne lui appartient pas, car il ne se l’est pas donnée. Son consentement à être tué, qu’il soit implicite ou explicite, ne donne à personne le droit moral de le tuer (suivez mon regard…)
Le voleur en fuite, le bijoutier tire vers le scooter. Ne sommes-nous pas dans un acte à double effet ? Il a voulu stopper le scooter et a malencontreusement tué son passager ? N’est-ce pas involontaire ?
Ce qui est volontaire, ce n’est pas seulement ce qui est délibérément et expressément visé par la volonté. Ce sont aussi les conséquences prévisibles de mon acte auxquelles je consens dans la mesure où malgré elles je pose mon acte. Tirer dans la foule vers un homme, c’est consentir au risque qu’une balle perdue tue un passant. En tirant vers le scooter, alors qu’il n’est pas Lucky-Luke, le bijoutier consens à ce qu’une balle aille se planter ailleurs que dans le pneu du scooter. De telle sorte que, s’il n’a pas intentionnellement tué le braqueur, la mort de celui-ci n’est pas tout à fait en dehors de son consentement, dans la mesure où, sa vie n’étant pas en danger, il pouvait s’en abstenir.
Du point de vue de la morale objective, qui regarde ce qui a été fait, il me semble que le bijoutier a bien commis un homicide, imputable à sa volonté, et qui est une injustice.
La question de la morale subjective, qui regarde l’implication du sujet dans son acte, permet peut-être de modifier le point d’équilibre : traumatisé par l’agression, certainement en colère, le commerçant n’a pas patiemment délibéré. Peut-être a-t-il sincèrement cru pouvoir arrêter le scooter. Le fait qu’il regrette la mort de l’agresseur, s’il est sincère, intervient en sa faveur pour alléger sa responsabilité morale, sans la supprimer. Le braqueur, de son côté, consent à une mort possible en s’introduisant armé dans une bijouterie, de telle sorte qu’il est peut-être plus consentant à ce qui est arrivé que n’a pu l’être le bijoutier. Mais encore une fois, le consentement à être tué ne rend pas cette mort juste car même alors la mort n’est pas due.
Résumons : Dans la mesure où sa vie n’est pas directement menacée et où il tire en direction du braqueur, et qu’en outre la mort ne peut être due, le bijoutier porte une part irréductible de responsabilité morale dans la mort du braqueur et la partage avec ce dernier. Ce qui fait que je me garderais bien de soutenir l’acte de l’un ou l’autre.
Au-delà de l’émotion et des compassions légitimes pour les auteurs et victimes de ce fait, à côté de l’analyse strictement juridique, il me semble y avoir place pour une analyse morale. Sa finalité n’est pas de faire la leçon, mais de proposer un éclairage à la conscience morale de chacun pour tenter de juger objectivement de la nature morale de ce qui a été fait.
En revanche, on peut certainement se tourner vers les donneurs de leçons de tous poils qui pullulent dans les sphères de l’impuissant Pouvoir.
Et si, au lieu de vouloir à tout prix criminaliser l’opposition politique, ils s’occupaient de notre sécurité, au lieu d’épuiser les forces de l’ordre à persécuter toutes sortes de veilleurs ?
Et si, au lieu de vouloir parler du sexe à nos enfants avant même qu’ils sachent lire, ils leur permettaient d’accéder à la culture afin que le désir du vrai, du bien et du beau les détournent de la violence, qu’Éric Weil voyait comme la vraie figure du mensonge ?
Et surtout si, au lieu de nous faire croire que tout est relatif, que la vie humaine est au pouvoir de la loi, et que le réel est ce que les hommes décrètent qu’il est, ils s’intéressaient à créer les conditions, je ne dis même pas du bien commun, mais déjà d’une paix sociale un peu durable ?
Sans quoi bientôt, j’en ai peur, il va y avoir de plus en plus de bijoutiers…
Sans doute certains diront que l’éthique, au contraire du droit, n’est pas une science certaine dont les résultats doivent s’imposer à tous ceux qui vivent sous une même loi. Laissons cela, on jugera sur pièce.
Le jugement moral est un jugement de notre conscience morale qui porte sur une action, et qui cherche à établir si un acte volontaire est au fond conforme à une exigence très fondamentale qui est de faire ce qui est bien (ou au moins ce qui nous apparaît tel), et de ne pas faire ce qui est mal (ou au moins ce qui nous apparaît tel). Une conscience morale est droite lorsque ce qui lui apparaît bien ou mal est effectivement bien ou mal.
Laissons de côté la question de savoir « ce qui est bien ou mal en vérité », qui s’éclairera suffisamment au long de notre propos.
La défense du bijoutier semble faire appel à deux principes : celui de la légitime défense, et celui de l’émotion. Le principe de l’émotion renvoie au fait qu’un acte qui serait posé sous le coup de l’émotion ne serait pas volontaire, et donc échapperait au jugement moral. Celui de la légitime défense renvoie au fameux « acte à double effet » : lorsqu’une conséquence de mon acte est involontaire, elle ne m’est pas imputable, même si je pouvais la prévoir, du moment que mon acte était proportionné à ma finalité. C’est le cas d’une « légitime défense », nommée ainsi parce que l’objet est bien de se défendre et non de tuer.
De nombreuses personnes ont manifesté leur soutien au bijoutier, sans pour autant soutenir son acte. Lui-même, dit-il, regrette la mort de son agresseur.
Une conscience morale droite ne peut juger qu’il est bon de priver quelqu’un de sa vie, pour la raison que cette vie est un bien sans prix, qui n’appartient à personne. C’est donc toujours une injustice, dès lors qu’elle est volontaire, quand bien même nous penserions que nous aurions fait pareil.
On dira qu’après tout, un homme qui entre armé dans un magasin consent implicitement à ce que le bijoutier lui-même use d’une arme, et même il admet la possibilité d’être lui-même tué. Mais sa vie ne lui appartient pas, car il ne se l’est pas donnée. Son consentement à être tué, qu’il soit implicite ou explicite, ne donne à personne le droit moral de le tuer (suivez mon regard…)
Le voleur en fuite, le bijoutier tire vers le scooter. Ne sommes-nous pas dans un acte à double effet ? Il a voulu stopper le scooter et a malencontreusement tué son passager ? N’est-ce pas involontaire ?
Ce qui est volontaire, ce n’est pas seulement ce qui est délibérément et expressément visé par la volonté. Ce sont aussi les conséquences prévisibles de mon acte auxquelles je consens dans la mesure où malgré elles je pose mon acte. Tirer dans la foule vers un homme, c’est consentir au risque qu’une balle perdue tue un passant. En tirant vers le scooter, alors qu’il n’est pas Lucky-Luke, le bijoutier consens à ce qu’une balle aille se planter ailleurs que dans le pneu du scooter. De telle sorte que, s’il n’a pas intentionnellement tué le braqueur, la mort de celui-ci n’est pas tout à fait en dehors de son consentement, dans la mesure où, sa vie n’étant pas en danger, il pouvait s’en abstenir.
Du point de vue de la morale objective, qui regarde ce qui a été fait, il me semble que le bijoutier a bien commis un homicide, imputable à sa volonté, et qui est une injustice.
La question de la morale subjective, qui regarde l’implication du sujet dans son acte, permet peut-être de modifier le point d’équilibre : traumatisé par l’agression, certainement en colère, le commerçant n’a pas patiemment délibéré. Peut-être a-t-il sincèrement cru pouvoir arrêter le scooter. Le fait qu’il regrette la mort de l’agresseur, s’il est sincère, intervient en sa faveur pour alléger sa responsabilité morale, sans la supprimer. Le braqueur, de son côté, consent à une mort possible en s’introduisant armé dans une bijouterie, de telle sorte qu’il est peut-être plus consentant à ce qui est arrivé que n’a pu l’être le bijoutier. Mais encore une fois, le consentement à être tué ne rend pas cette mort juste car même alors la mort n’est pas due.
Résumons : Dans la mesure où sa vie n’est pas directement menacée et où il tire en direction du braqueur, et qu’en outre la mort ne peut être due, le bijoutier porte une part irréductible de responsabilité morale dans la mort du braqueur et la partage avec ce dernier. Ce qui fait que je me garderais bien de soutenir l’acte de l’un ou l’autre.
Au-delà de l’émotion et des compassions légitimes pour les auteurs et victimes de ce fait, à côté de l’analyse strictement juridique, il me semble y avoir place pour une analyse morale. Sa finalité n’est pas de faire la leçon, mais de proposer un éclairage à la conscience morale de chacun pour tenter de juger objectivement de la nature morale de ce qui a été fait.
En revanche, on peut certainement se tourner vers les donneurs de leçons de tous poils qui pullulent dans les sphères de l’impuissant Pouvoir.
Et si, au lieu de vouloir à tout prix criminaliser l’opposition politique, ils s’occupaient de notre sécurité, au lieu d’épuiser les forces de l’ordre à persécuter toutes sortes de veilleurs ?
Et si, au lieu de vouloir parler du sexe à nos enfants avant même qu’ils sachent lire, ils leur permettaient d’accéder à la culture afin que le désir du vrai, du bien et du beau les détournent de la violence, qu’Éric Weil voyait comme la vraie figure du mensonge ?
Et surtout si, au lieu de nous faire croire que tout est relatif, que la vie humaine est au pouvoir de la loi, et que le réel est ce que les hommes décrètent qu’il est, ils s’intéressaient à créer les conditions, je ne dis même pas du bien commun, mais déjà d’une paix sociale un peu durable ?
Sans quoi bientôt, j’en ai peur, il va y avoir de plus en plus de bijoutiers…