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Vincent Lambert, l'otage

Vincent Lambert, l'otage

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Vincent Lambert est probablement en passe de devenir l’otage d’enjeux qui dépassent son cas particulier et qui demandent la plus grande prudence.

La première prudence est de se poser les bonnes questions, et d’abord celle de savoir si nous sommes ou non devant une obstination déraisonnable, et non pas savoir si, dans certains cas exceptionnels, nous aurions le droit de tuer.

L’enjeu est tel parce que le piège est évident : Donner le sentiment de réclamer l’acharnement thérapeutique, ou au contraire de valider une exception, c’est se décrédibiliser définitivement et ouvrir un boulevard aux thuriféraires de l’euthanasie.

Qu’est-ce d’abord qu’une obstination déraisonnable ?

On se réfère souvent à la position équilibrée de Pie XII : « le devoir de prendre les soins nécessaires pour conserver la vie et la santé … n’oblige habituellement qu’à l’emploi des moyens ordinaires… c’est-à-dire des moyens qui n’imposent aucune charge extraordinaire pour soi-même ou pour un autre… »1

La loi dispose, de son côté, que « En toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l'assister moralement. Il doit s'abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n'ont d'autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie. »2

Dans le cas d’espèce, les médecins ont à juger si, au regard de la situation du patient et des espoirs d’amélioration envisageables, l’ensemble des soins et traitements est une « charge extraordinaire », sont « inutiles et disproportionnés », ou « n'ont d'autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie. »

L’artifice est au cœur de la question : La technologie utilisée pour nourrir Vincent Lambert suffit-elle à considérer son alimentation comme une manière de maintenir artificiellement sa vie, ou bien permet-elle simplement que cette activité s’exerce ? Mais comme cet artifice-là est commun à toute alimentation, la vraie question est celle de la proportion.

Peut-être sommes-nous devant une question prudentielle, et non pas une question de principe, c’est-à-dire une question dans laquelle des personnes honnêtes peuvent très bien avoir des positions divergentes sans que les principes soient remis en causes par l’une ou l’autre décision.

Quelle est en effet l’alternative ?

Soit l’on considère que l’alimentation est tellement technicisée qu’elle ne relève plus du soin ordinaire. On pourra alors penser que l’effort déployé est disproportionné au regard notamment de « l’utilité des traitements » c’est-à-dire des améliorations qu’ils permettent d’envisager ou de l’état dans lequel ils maintiennent le patient.

Soit l’on considère que l’alimentation, réclamant de toute façon toujours une certaine technique, reste un soin de base incompressible, qui doit être maintenu tant que l’organisme vit pour assimiler la nourriture.

C’est en ce sens que semble avoir tranché le Tribunal de Chalons en Champagne le 16 janvier dernier : Les juges du tribunal ont suivi le rapporteur public, pour qui l’arrêt des soins avait constitué « une atteinte grave et manifestement illégale au droit fondamental à la vie »3. Le rapporteur public avait demandé le maintien de l’alimentation et l’hydratation du malade tétraplégique, estimant que « le patient est dans un état irréversible mais que sa conscience existe et qu’il est impossible de juger du sens de sa vie ». Le tribunal a estimé que « c’est à tort que le CHU de Reims avait considéré que M. Lambert pouvait être regardé comme ayant manifesté sa volonté d’interrompre ce traitement », et que la poursuite de son alimentation n’était « ni inutile, ni disproportionnée et n’avait pas pour objectif le seul maintien artificiel de la vie ».

Les médecins en charge de Vincent Lambert sont des gens qui connaissent leur métier, le Dr. Kariger, Chef du pôle autonomie et santé de l’hôpital depuis 2007, est par ailleurs un chrétien engagé contre l’euthanasie. Il estime que nous sommes là devant une obstination déraisonnable. Contre lui, par exemple, le non moins compétent Xavier Ducrocq, professeur de neurologie et d’éthique au CHU de Nancy, expert choisi par les parents pour les représenter au sein de la collégiale considère par exemple que Vincent « ne relève pas d'un service de soins palliatifs, mais bien d'un établissement spécialisé dans l'accueil de patients présentant un handicap lourd. »4

Vincent Lambert est-il handicapé ou mourant ? Car d’un côté il a juste, comme tout un chacun, besoin d’être nourri, et d’un autre côté il ne doit la vie sauve qu’à une technologie qui se prolonge. Encore une fois, comment juger si cette nutrition est disproportionnée ? Le degré de technicité en fait-il un soin comme un autre, et doit-on en juger à partir des « espoirs d’amélioration » ? Mais faut-il alors cesser de nourrir les malades incurables dont la vie relationnelle est nulle ?

Ne faisons pas de ce cas douloureux un débat sur l’euthanasie, on se tromperait je crois de sujet. La question posée n’est pas de savoir si la vie de Vincent Lambert vaut ou non la peine d’être vécue, mais de savoir si l’obstination à lui permettre de poursuivre sa vie est raisonnable.

Manifestement, les professionnels sont divisés sur ce sujet. S’il est légitime que chacun cherche à faire valoir ses arguments, il est aussi possible qu’aucune réponse ne s’impose de manière absolue, surtout que les raisons de soutenir telle ou telle opinion valent au moins autant que ces opinions. Sans naïveté, nous devons savoir que les partisans de l’euthanasie croient que cesser les soins leur donnera du poids. Mais en même temps, l’acceptation de notre condition mortelle ne saurait suffire à légitimer un homicide délibéré.

C’est qu’il nous faut aussi voir quelles sont les perspectives que va ouvrir le choix qui sera fait. Ne plus nourrir Vincent Lambert impliquera-t-il de ne plus prendre soin des personnes qui sont en France dans une situation similaire ?

Je ne prétends pas établir une réponse définitive à ce problème, qui me paraît relever de la responsabilité professionnelle des médecins. Autrement dit, je crois que la décision des professionnels doit pouvoir être respectée sans pouvoir cependant servir d’alibi politique. L’ADMD n’attendra pas longtemps après la mort de Vincent Lambert pour proclamer qu’elle l’avait bien dit, cet homme était mortel,quoi de plus naturel que de hâter la mort d’un mortel !

Mais trois questions au moins méritent de ne pas être éludées :
  • D’abord fallait-il en appeler aux juges ? C’est en principe au juge, en effet, de trancher les litiges. Mais cette manie de vouloir régler par le droit ce qui devrait relever de la conscience professionnelle est le symptôme d’une profonde crise de confiance. Le médecin, finalement, n’est plus le professionnel reconnu dont on sait le dévouement et la bienveillance. Le risque est d’une part qu’il devienne l’otage de combats politiques, voire idéologiques, et d’autre part qu’il devienne le fonctionnaire du politique qui le décharge de sa conscience. L’obstination d’organisation comme l’ADMD à vouloir faire des médecins des praticiens de l’euthanasie n’a-t-elle pas contribué à diminuer notre confiance dans le corps médical ?

  • Ensuite, cette affaire illustre encore la difficulté qu’ont nos débats « sociétaux » à ne pas cliver la société en une France du Bien, la gauche progressiste, compassionnelle et laïque, et une France du Mal, la droite réactionnaire, conservatrice et catholique. Oublieux du bien commun, soumis au diktat de quelques lobbies et incapable de redresser le pays, le politique incapable d’unir le peuple peut-il encore croire que la réponse adaptée devant un mourant est de lui proposer la mort et de l’exclure définitivement du monde des vivants ? Le soin que nous prenons de celui qui est dans la détresse dit quelque chose de notre lien social : le médecin, dont la vocation est de soigner, sait qu’il ne peut pas vaincre la mort. Mais (se) donner la mort, est-ce la vaincre ?

  • Enfin, à force de penser que certaines vies ne valent pas d’être défendues, ne sommes-nous pas en train de passer à côté de ceux qui, parce qu’ils sont proches de la mort, peuvent nous apprendre à vivre ? Nous payons encore la loi Veil, et son évolution récente ne va rien arranger. Car elle a inscrit dans la loi que la volonté du peuple (qui est une abstraction) vaut plus que la vie de chacun (qui est bien réel). Ce faisant, le législateur a donné un message fort dangereux, car si une mère n’est même plus freinée dans sa possibilité de mettre fin à la vie qu’elle porte, c’est un lien social fondamental qui est fragilisé, ainsi que notre rapport à la vie de celui qui est le plus vulnérable. Comment la violence envers les enfants, les personnes âgées ou handicapées peut-elle encore surprendre ceux qui cherchent à inscrire encore un peu dans la loi le mépris de la vie ?
Notes
  1. Pie XII, déclaration aux anesthésistes du 24 novembre 1957
  2. Code de la Santé Publique, Article R4127-37
  3. En vertu du L521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »
  4. Agitation toujours marquée autour du cas de Vincent Lambert

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