Fernand le ré-enchanteur

Je ne me retiens pas de pleurer, moi, devant Fernandel : de par son intime vibratilité spasmodique, le Schpountz-Pantocrator crève mes globes oculaires en poudre d’eau pailletée, et mes oreilles prennent le large en dégueulances de liquoreux cérumen.
(…)
Son rêve était de ré-enchanter le calendrier, d’assigner à chaque saint journalier une ritournelle spécifique, apte aux plus délirantes prières extatiques. C’est une tentative directe de mettre en musique La légende dorée, pas moins !

Ah, laissez-moi rêver à la chanson que Fernand aurait pu dédier à Jacques de Voragine… laissez-moi imaginer les vers suivants énoncés avec sa diction millimétrée, aussi précise qu’une pièce d’usinage, prenant tout son temps à l’énoncé avant de piquer au final comme l’aigle sur l’Agneau de Dieu.

Saint André de Galilée
Prêchait, même crucifié !
 
Nicolas, dès l’angélus,
Fichait la rouste à Arius.
 
Si Lucie fut si pesante,
Ce fut pour garder sa fente.
 
Thomas a connu le doute
Avant de prendre la route.
 
Frigide est Anastasie,
Ne brûlant qu’à la Parousie.
 
On lapida Etienne à vif
Parce qu’il choqua les Juifs.
 
Jean but du bon poison
Puis eut de grandes Visions.
 
Le Thomas de Cantorbéry
Eut la cervelle en bouillie.
 
Saint Sylvestre était beau
Et ressuscitait les taureaux.
 
Une colombe vint à Saint Rémi
Et c’était le Saint-Esprit.
 
Saint Hilaire fondit dans l’air
Comme le vin dans la daubière.
 
Félix était autoritaire :
Ses élèves le poinçonnèrent.
 
Paul de Thèbes s’enfuit d’Egypte
Et devint premier ermite.
 
Macaire écrasa une bête ;
Il se fit anachorète.
 
Bien que Pape, saint Marcel
Sut garder les haridelles  .
 
Saint Antoine et ses cochons
Crachaient à la gueule du démon.
 
La tête papale de Fabien
Fut tranchée net pour un rien.
 
Sébastien, comme punition,
Fut transformé en hérisson.
 
Sainte Agnès resta chaste :
Un poignard lui fut néfaste.
 
Il fut broyé comme du raisin ;
Vincent devint le saint du vin.
 
Jean était grand aumônier :
Mort, il pouvait confesser !
 
Parricide par gaffe, Julien
Fut sauvé par un vaurien.
 
Ce Jean dont la bouche était d’or
Mettait seul les ariens dehors.
 
Blaise fut livré aux écorcheurs ;
Il devint patron des cardeurs.
 
Le petit nom charmant d’Ignace
Fut trouvé dans son cœur bonasse.
 
Agathe, Sainte des siciliens,
Se fit arracher les seins.
 
Le ch’ti Saint Vast était si chou
Qu’il pouvait convertir un loup.
 
Le ton d’Amand était si strict
Qu’il fut promu à Maastricht.
 
Saint Valentin était très chouette :
Il rendait la vue aux minettes.
 
Julienne déplut à Belzébuth :
Il l’inonda de plomb fondu.
 
La place de Judas fut vide.
Matthias la prit, tout candide.
 
Pape et Père à la fois,
Saint Grégoire avait la foi !
 
Ayant percé le flanc divin,
Décapité fut saint Longin.
 
Sur les terres de l’Irlande,
De Dieu Patrice faisait l’offrande.
 
Père des moines, saint Benoît
Est fêté le jour de Bloy.
 
A l’instar de l’agneau,
Timothée buvait que d’l’eau.
 
Pour se faire torturer
Saint Second était premier.
 
Aussi manchot qu’un pingouin
Etait notr’ saint Mamertin.
 
Sainte Marie l’Egyptienne
N’était pas Marie-Madeleine !
 
La bouche d’Ambroise nourrisson
Gobait tout cru les abeillons.
 
Saint Sixte avait comme assistant
L’incombustible saint Laurent.
 
Georges grimpa sur son canasson
Pour mieux transpercer le dragon.
 
Saint Marc prêcha comme un lion,
A Venise son corps sentit bon.
 
Vital passait pour arrogant :
Il fut enseveli vivant.
 
Ses parents étaient cathares ;
Pierre sut se tenir à l’écart.
 
Philippe fut lapidé en ville
Et enterré entre ses filles.
 
Gare à Jacques le Mineur
De n’pas le prendre pour le Seigneur !
 
C’est sous l’empereur Julien
Que l’on trancha le nœud Gordien.
 
A quatorze ans, le bon Pancrace
Devint un très grand Saint de glace.
 
Boniface est héroïque,
Somnambule sous la trique.
 
Quant à Urbain le culotté
Il se fit battre à verges plombées.
 
Et pour sainte Pétronille,
On ne trouva que des guenilles.
 
Et sainte Sophie et ses trois filles ?
Elles finirent toutes sur un grill !
 
Messieurs saints Prime et Félicien
Se firent bouffer par les chiens.
 
Barnabé ! Barnabé !
C’est un saint facile à peler !
 
L’idéal monastique
De Basile ? Cénobitique !
 
Quant aux saints Vit et Modeste,
Leurs calvaires furent funestes.
 
Saint Cyr et sa mère Julitte
Firent en chœur une péritonite.
 
Et les souffrances de sainte Marine ?
Elles furent loin d’être anodines !
 
Les frères saints Gervais et Protais
Furent sacrifiés au chevalet.
 
Et les apôtres Pierre et Paul
Du Christ sont les deux épaules.
 
Finissons par Félicité
Et le Livre des Macchabées.

(…)
Fernandel, lui, était un saint moderne : il aurait très bien pu avoir sa place dans une Legenda aurea du vingtième siècle, entre Gemma Galgani et Maximilien Kolbe.

Fernand sut subir le pire
Dans le seul but de nous faire rire

‌illustration (c)Pellecuer
extrait de SAINT FERNANDEL, Laurent James, aux éditions Nouvelle Marge