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Going Back to my Proots

Going Back to my Proots

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L'homme s'engage dans la rue des Hallebardes, par un samedi après-midi d'une douceur suspecte. Il fait trop beau, trop suave, on va probablement le payer dans quelques heures. L'homme, qui semble indifférent à beaucoup de choses, passe nonchalamment devant les étals des bouquinistes, manouches bronzés aux quatre saisons, lecteurs compulsifs, érudits des marges.

Il y a du monde dans cette rue du centre-ville : chercheurs de bonnes occasions au rayon livres (je suis de ceux-là), touristes (car nous nous trouvons à deux pas de ma chère cathédrale et de sa nébuleuse de winstubs), gens qui traversent le coin, tout simplement… Et puis, derrière un homme bien spécifique, légèrement décalée, cette jeune nana. Elle a l'air d'une étudiante. Elle le suit sans le suivre, disons qu'elle avance dans la même direction que lui.

L'homme en question, c'est Gérard, le Solitaire Universel. Dans les quarante-cinq ans, apparence d'une banalité définitive. Chômeur, bricoleur dans sa cave. Aux dernières nouvelles, Gérard tente de construire un faisceau laser à partir de vieux appareils photos jetables (il fait pas mal de récup'). Il a encore du chemin à faire mais il a ça pour lui d'être obstiné.

Dans la rue des Hallebardes, Gérard, sans se retourner, sans ralentir, lâche un gaz. Ca fait un son pas évident à reproduire, quelque chose qui se promènerait (tout comme Gérard) entre

prrrrrrr

prrrrrroooot

prrrooaaarr

Gérard, parfaitement indifférent, ne prête aucune attention à la fille, juste derrière, en biais. Elle regarde Gérard silencieusement ; est-elle muette d'indignation, de dégoût ? Les deux, mon général. La fille, c'est Jennifer, la Pépette Universelle. Etudiante en fac de lettres modernes (vous savez, le cursus à QCM), un copain tout gentil avec elle ; ça, d'ailleurs, ça commence sérieusement à la faire suer. Ou alors il faudrait qu'elle change de mec ? Pour l'instant, ces considérations sont à des années-lumières de son flux de conscience.

Pour l'instant, Jennifer est fascinée par Gérard. Mais pour rien au monde elle ne s'approchera de lui. Tous les mecs sont comme ça : des porcs indifférents. Le pet de Gérard, elle n'est pas là de l'oublier. Comme ça, en pleine rue, vas-y, tranquille, et le type se retourne même pas pour regarder, des fois qu'il se trouverait de la gêne chez quelqu'un.

Gérard, en effet, n'a même pas remarqué Jennifer. Gérard s'en va suivre son destin. La Pépette, le nez retroussé, la mine pincée, fait de même.

Moi non plus, je ne suis pas loin d'elle.

En fait, je marche derrière elle, j'ai observé toute la scène qui n'a duré que vraiment très peu de temps. Je me suis retenu de rire en entendant Gérard, tout d'abord, puis en regardant Jennifer en train de regarder, estomaquée, Gérard.

Vingt mètres plus loin, Gérard, pris par ses problèmes de lasers, a disparu du paysage. Jennifer et moi continuons de remonter la rue des Hallebardes. Nous marchons de conserve. J'accélère très légèrement le pas de manière à me retrouver juste devant elle.

Je lâche une caisse.

rrrrooot

Je dis bien une caisse. Pas une louise astrale. Je continue de marcher sans me retourner, comme si de rien n'était. Jennifer la Pépette me fusille du regard, je le sens sur ma nuque, ça fait une espèce de chatouillis électrique. Deux fois en même pas une minute ! Mais c'est quoi, tous ces dégueulasses en liberté ?! Je ralentis un peu mon allure, Pépette vient se ranger à ma gauche, elle me regarde. Moi, pareil, comme Gérard, look chômeur, mine de zonard, je ne suis pas rasé de trois jours, mes cheveux commencent à tomber sur les oreilles. Je fais exprès de prendre l'air con (sans trop me forcer).

Puis je me tourne vers elle, je lui fais, avec un petit sourire : « Là où il va, il aura plus de place que là d'où il vient ! » Elle ne répond rien, elle est consternée, je la laisse poursuivre son chemin. J'opère un demi-tour, très content de ma connerie, et stoppe devant un étal. Au bout de quelques instants sans flatulences, je finis par dénicher les deux tomes de L'histoire universelle des sectes et des sociétés secrètes, de Jean-Charles Pichon, sortie en 1969 chez Robert Laffont dans la fameuse collection Les énigmes de l'univers. Vingt-cinq euros les deux volumes. Ça va. J'ai même droit à une remise car le bouquiniste me reconnaît.

Je repars avec.

Je me dis que, non, vraiment, je ne suis pas sorti pour rien.


A-corporate !
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Saint Pétersbourg
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Une bien mauvaise nouvelle
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