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Cécile Schouler : Soleils noirs cherchent pré vert

Cécile Schouler : Soleils noirs cherchent pré vert

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Cécile Schouler vient de faire paraître, aux éditions du Panseur, un roman intitulé Comme une lanterne sur les ruines. Qu'en dire ?

Je demande parfois à différentes intelligences artificielles de résoudre le problème suivant : « Que se passe-t-il lorsqu'une force que rien ne peut arrêter rencontre un obstacle que rien ne peut détruire ? » Je les observe me répondre à peu près tout et n'importe quoi, détecte chez elles comme une manière d'embarras. D'ordinaire, je rebondis sur leurs réactions et leur mentionne la littérature dite spéculative, avec exemple précis. Les IA, évidemment, saisissent la balle au bond et me déclarent, avec plus ou moins de familiarité, que ma suggestion n'est pas dénuée d'intérêt.

J'ai le souvenir d'un livre lu autrefois, relu récemment, Le Sub-Espace, de Jérôme Sériel. Sériel, au passage, est le nom de plume du scientifique français Jacques Vallée. Dans ce roman, deux galaxies entrent en collision accélérée. Alors que les IA répondent sur le paradoxe indépassable, la spéculation topologique, c'est finalement beaucoup plus simple dans le livre : les éléments constitutifs des deux corps spatiaux sont tellement éloignés les uns des autres qu'on assiste plus à une compénétration qu'à un choc frontal.

Et le rapport avec Comme une lanterne sur les ruines, le roman de Cécile Schouler, paru aux éditions du Panseur et qui fait normalement l'objet de la présente note de lecture, quel est-il ?

Le rapport, selon moi, est que nous assistons à un phénomène semblable : deux êtres, deux mondes se rencontrent, et tout laisse annoncer un désastre (« l'attraction désastre », c'est déjà pris depuis Daho). On frémit en avançant dans le texte. Je pense que Cécile Schouler a réinventé la littérature d'épouvante, sans passer par les faciles ficelles hollywoodiennes (celles du cri d'effroi gavé de pop corn, entre deux partiels). Précisément : elle revisite ce créneau peut-être en évitant les réflexes mercantiles mais, à la vérité, l'inscription dans tel ou tel cadre narratif ne semble pas être sa priorité.

Épouvante, donc, qui m'a saisi dès l'entrée dans le texte, parce que j'y ai vu la mort et perçu un chagrin cosmique centré sur la figure de deux jeunes gens, deux jeunes astres que rien ne devait attirer l'un vers l'autre, mais cela, est-ce bien sûr ? L'approche se fait périchorèse, lent ballet où la toute jeune fille, narratrice, semble d'abord la plus véloce dans sa trajectoire vers le beau soleil noir, pas tellement plus vieux qu'elle mais à ras de trottoir et déjà détruit par le mystère du mal, mystère dont on comprend vite qu'il ne l'a jamais recherché.

Épouvante, lenteur : Cécile Schouler maîtrise une écriture implacable. La couleur d'un glas qu'on devine déjà proche, trop proche, c'est aussi un suspense à part entière dans les détails de cette relation unique : quelles seront les réactions de la mère de la jeune fille, des copines de classe, de l'institution scolaire ? Comment va-t-il falloir briser subrepticement l'enceinte domestique, aller sciemment au profond d'une région du monde d'où toute lumière a été chassée, à part celle, nocturne, de l'éclairage public au long des rues d'une province en coma dépassé, afin de retrouver un garçon en galère de rue, de drogue et de prostitution ? Épouvante. Chagrin sans rémission.

C'est un « pré vert » que cherchent les deux jeunes gens qui finissent par s'informer mutuellement de la reconnaissance de l'autre. Mais nous ne sommes pas dans la Collection Harlequin : ici, la classification (s'il en faut une) nous rapproche du courant littéraire et artistique qu'on appelle, depuis quelques années, le body horror. Et tout finira mal, autant le dire, mais dans une progression sur les étapes desquelles je ne souhaite pas m'appesantir car la surenchère dans la narration de la misère physique et sociale a déjà été courageusement prise en charge par l'autrice dont le projet initial était de proposer une histoire vraie. La désignation body horror, en outre, est limitée par l'usage toujours voyeuriste (c'est-à-dire confondant le premier et le second degré) qu'un lecteur pourra en faire. Le trash, en soi-même, n'est d'ailleurs pas un problème : il existe une littérature de l'horreur consciemment fondée sur cette perspective, et elle n'est pas sans donner de beaux fruits, plus cérébraux qu'il n'y paraît de prime abord.

Cécile Schouler, pour sa part, raconte avant toute chose une histoire d'amour comme on n'en rencontre pas souvent, au stade le plus inférieur, le plus sombre, du cycle historique actuel, qui est le dernier d'une série. Cette romance, non pas de l'horreur, mais au milieu de l'horreur, en dépit de l'horreur, annonce l'âge d'or à venir. Aux dires d'une vénérable sagesse, c'est quand la nuit est la plus sombre que le jour se trouve au coin de la rue. Je ne veux pas non plus trop idéaliser ma réaction de lecteur (réaction qui n'engage que moi). Cécile Schouler rend un hommage ; si quelqu'un, ici, est immortalisé, c'est à elle que cette personne le doit.

Alors, que se passe-t-il lorsqu'une force que rien ne peut arrêter rencontre un obstacle que rien ne peut détruire ?

L'univers n'est pas détruit. Il vient un troisième terme, comme le veut la logique conceptive. Dans le cas qui nous occupe, c'est le présent roman. Qui pourrait éventuellement l'adapter à l'écran ? Je me permets, avec beaucoup d'insolence, d'écarter Lars Von Trier dont le Melancholia, né d'un épisode dépressif, procède par annihilation pure et simple d'un des deux corps.

David Cronenberg, alors ? Béla Tarr ?… Laissons vivre le texte avant toute chose. Il est complet en lui-même, éprouvant dans l'empathie qu'il éprouve et nous fait éprouver, et je suis heureux qu'il existe hors des grands circuits un éditeur qui aura pris la pleine mesure de sa puissance.

Dans un rapport à l'espace et au temps que nous ne comprenons pas encore, un soleil noir est régénéré.

Comme une lanterne sur les ruines, Cécile Schouler, éditions du Panseur


Frédérick Houdaer, poète sur Fond vert
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D'Annunzio, entre les contrées de l'Aigle et le territoire du Serpent
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Chaise avec vue sur catafalque drapé patagon
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