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Extrait (Deuxième tableau)
— Un appartement —
HÉMERY. Besançon et Marianne vivaient à Paris, près de la place des Vosges, dans un quatre pièces tout de travers, quatre plateaux sur chevrons, parmi des volets de bois flotté, des poutres laminées, dans une double-vis de plomb, sous des tuiles ; aux murs des centaines de tableaux, filets de pêche, plaques. C’était leurs âmes l’une dans l’autre, en sertis mystérieux. Marianne, depuis quelques temps, en avait marre des copains de Besançon. Elle les trouvait gagne-petit, pas assez révolutionnaires.
Hémery fait un geste. Le rideau se lève.
Voici le jour où tout a basculé. Il est cinq heures du matin : l’heure bleue. Marianne est seule, lasse, insomniaque. (à Marianne, comme s’il l’hypnotisait :) Tu es seule, lasse, insomniaque.
MARIANNE. Je suis seule, lasse, insomniaque.
HÉMERY. Tu es seule…
MARIANNE. Lasse…
HÉMERY. Insomniaque…
MARIANNE. Et si seule…
HÉMERY. Finalement, elle descend dans la rue… (à Marianne) Allez, tu descends dans la rue… (Marianne quitte la scène). Elle trouve un inconnu… (à Marianne) Allez, n’importe lequel ! Et Elle l’emporte avec elle… sur scène…
Marianne prend un homme assis dans le public et le fait monter sur scène avec elle. Positions lascives… (Tango ?) Marianne parle en soupirant de plaisir. Hémery disparaît.
MARIANNE. Vous n’y connaissez rien, vous n’y connaissez rien… comme vous vous y prenez… enfin je veux dire… vous n’y connaissez pas grand-chose… c’est mieux… (avec une voix qui veut dire l’inverse :) vous n’y connaissez rien… c’est mieux oui, vous vous y connaissez un peu… Je vous ai bien trouvé. Vous n’êtes pas mon premier inconnu, vous qui êtes tout aussi inconnu que le précédent… Non, là, voilà… Le précédent n’allait pas ici, cela lui était inconnu… Appuyez… Voilà… Le plaisir est une araignée, il tisse sa toile, il recommence toujours. Allez : recommencez… Soyez le gardien de la vie, tourmentez-la, ma vie, comme seuls les inconnus savent faire… Langue‑araignée, doigts-vipères… Prenez dans votre toile ce qui vous résiste, voilà… Crochetez la porte du Jardin, ne soyez pas timide !… Piquez, sucez… Moi non plus je n’ai pas de nom… De quoi avez-vous peur ? Léchez mon ventre de fantôme, c’est mieux, vous devenez sourd, c’est bien, c’est important d’être sourd… Il vaut vouloir…
Soudain on entend du bruit, quelqu’un monte l’escalier. Marianne sans se presser se lève, conduit l’homme jusqu’à un placard, où elle lui fait signe d’entrer. L’homme ne veut pas, mais elle insiste, et finalement, l’homme entre. Elle ferme avec une clef qu’elle porte autour du cou. Besançon déboule dans l’appartement. Marianne a eu le temps de se rassoir.
BESANÇON. Tu étais avec quelqu’un ?
MARIANNE. Un inconnu. Il est dans le placard, figure-toi. Figure toi que c’est ainsi que l’on fait au théâtre. Dans la réalité, on s’arrange. Au théâtre, il faut des événements, alors on se fait surprendre. Il doit avoir chaud là-dedans, le pauvre… Il s’y prenait de mieux en mieux. Tu es arrivé trop tôt ou trop tard. Tu aurais dû sonner.
BESANÇON. Te retenir cette fois, y as-tu pensé ?
MARIANNE. Toute la nuit à m’invertir, à me sucer les doigts ! Deux fois réveillée, inquiète… Besançon, je m’inquiétais pour toi.
BESANÇON. Tu t’inquiétais pour ton plaisir.
MARIANNE. Deux fois, mon amour, j’ai fait l’amour aux draps ! Et ce matin ? Rien. Personne : des fumerolles autour de l’oreiller, le jour gras comme de la cire… Je suis descendue dans la rue, en chemise de nuit, j’ai pris le premier venu, un type avec une barbe, j’adore les barbes, ça chatouille, j’adore quand ça chatouille. Les hommes sont tous pareils : quand les femmes s’énervent, ils montent.
BESANÇON. Une scène….
MARIANNE. Non, non ! Je ne te laisserai pas faire de moi la potiche des scènes, devant ces gens qui étaient là avant que tu arrives (elle toise le public), ni devant personne, je ne servirai pas d’angle à tes reproches. Je serai ta sorcière. J’éplucherai ta poupée.
BESANÇON. Je t’ai dit de nous rejoindre. J’étais avec les autres : Sang de Dragon, L’Aveugle, Rubens, La Poutre… Au Tambour. Nous étions au comptoir du Tambour. Nous avons dit des vers !
MARIANNE. Pourquoi serai-je venue ? Tu me veux dans tes bras, ton trophée, au milieu des copains, et de ces filles intelligentes qui bombent le torse comme à Samothrace, tu me veux pour ton plaisir moins que pour ta gloire, et je ne suis pas ta gloire. Moi, je suis ton plaisir. Toute cette fumée, toute cette cocaïne, puis ces grands mots comme des lacs, des lacs plats et calmes dont l’eau ne mouille pas — (elle frappe sur la porte du placard où l’inconnu est enfermé) : hein ! il faut mouiller ! autrement ça fait mal ! — des lacs sans flux, sans lames, sans vase, des lacs sans danger, pourquoi, mon amour, me promènerais-je sur les rives d’un lac sans danger ?
BESANÇON. Tu as bu. Tu pleures…
MARIANNE. L’alcool ne me fait plus rien. Je suis une racine. Je bois, je transmets, je fume, je pourris dans ma terre sucrée… Pourquoi suis-je la seule à aimer la Suze ?
BESANÇON. Parce que tu es tordue. J’ai bu moi aussi, je voulais m’abîmer… Qu’est-ce que tu me reproches ?
MARIANNE. Rien.
BESANÇON. Qu’est-ce que tu me reproches ?
MARIANNE. Je ne te reproche rien.
BESANÇON. Alors pourquoi pleures-tu ?
MARIANNE. Je pleure, je bois de la Suze parce que je ne risque plus rien. Tout ici est devenu confortable. Tu étais mon danger Besançon. Ensemble nous devions faire la peau du monde. Bonnie and Clyde… Souviens-toi comme nos corps brûlaient, comme nos poings couraient devant nous après l’amour… Et regarde, regarde comme nous sommes enfantins et pauvres dans nos breloques. Regarde comme nous sommes en sécurité. Regarde autour de nous cet appartement, regarde autour de toi tes copains du Tambour… Tout est sûr. Rien ne tremble. Moi je voudrais trembler.
BESANÇON. Nous tremblerons. Cette nuit j’ai inventé le danger…
MARIANNE. Allons bon.
BESANÇON. Tout est allé si vite. Nous étions au Tambour comme d’habitude, accoudés : Sang de Dragon, L’Aveugle, Rubens, La Poutre… Nous avons dit des vers, j’ai écrit un tract.
MARIANNE. Un tract.
BESANÇON. J’ai déniché sur le papier un projet grandiose…
MARIANNE. Un projet grandiose.
BESANÇON (sombre). Tu m’as aimé pour cela…
MARIANNE. J’aimais être ton projet.
BESANÇON. Je veux partir. Boire encore. Tu ne m’écoutes pas.
MARIANNE. Je sais que tu en as besoin… Je suis le filtre, le juge. Sans moi, tes projets sont des fantasmes. Entre mes cuisses, ils deviendront des flèches de fer. Je les transformerai en avenir. Tu as besoin de moi. Je suis la voile. Tu es l’ancre. Je suis la voile même si mon ventre n’a pas gonflé. Tu es l’ancre même si tu ne retiens pas grand-chose. Nous avons besoin l’un de l’autre.
BESANÇON. J’ai envoyé mon tract par la poste à l’Élysée, au Ministère de la Guerre, et à celui de l’économie, car l’économie gouverne le monde. Je l’ai envoyé aussi au ministère de l’Agriculture, et à une centaine de journaux.
MARIANNE. …mais qu’est-ce qu’il dit ce tract ?
BESANÇON. Il dit que nous ne devons pas enseigner la vérité aux enfants. La vérité est un concept trop diffus, trop dur à saisir, trop imperméable, trop monade, trop religieux, trop métaphysique, trop irrationnel, trop d’opinion… Nous devons leur enseigner la beauté. Ceci est beau, ceci est moche, voilà, rien d’autre, dès l’enfance, ceci est beau, ceci est moche, un point c’est tout. Ne jamais expliquer pourquoi. Ceci est beau parce que c’est beau, ceci est moche parce que ce n’est pas beau. Le faire pour l’architecture, la poésie, la musique, la sculpture, la peinture… Dès l’enfance, avant même que les mômes sachent parler : ceci est beau, ceci est moche. Et pour les cas ambigus, décréter que c’est moche. C’est moche puisque ce n’est pas beau absolument. Ainsi la vie changera, il n’y aura plus que de la beauté, et la vérité règnera sans avoir été nommée. Nous serons moins cons. Nous serons moins pauvres.
MARIANNE (explose d’un rire méchant). Tu as mis tout cela dans ton tract ?
BESANÇON. Oui, et alors ?
MARIANNE. C’est bébé…
BESANÇON. Détrompe-toi… En fait…
On entend du bruit dehors. Des lances. Des cris.
BESANÇON. Ce bruit…
MARIANNE. Qu’est-ce que c’est !
BESANÇON. Le tract a circulé. Le voilà, Marianne, le danger. Ils veulent une révolution. Ce matin, les journaux l’ont publié. L’Élysée a envoyé la police. C’est un certificat.
MARIANNE. La police tu dis ? Ils l’envoient tout le temps.
BESANÇON. Cette fois, écoute…
MARIANNE. C’est ridicule.
BESANÇON. Ils me cherchent. Ils ont besoin de moi.
MARIANNE. Tu te prends pour un chef de guerre ? C’est ridicule. Ridicule. Enfileras-tu un gilet ?
BESANÇON. Tu es jalouse. Tu voudrais que je rate, et que je me noie dans ton chagrin. Tu voudrais que je te reproche d’avoir des amants.
MARIANNE. Va à ta révolution, puisqu’elle t’appelle… Va à ton tract ridicule… Boutonne ton gilet…
BESANÇON. Tu voulais le danger ? Le voilà le danger. Ces hommes nous appellent. Marianne, c’est ce dont nous rêvions. Nous allons vider les musées des merdes qui les encombrent. Nous allons élever au-dessus de tout Shakespeare et Mozart. Nous aurons des cœurs pauvres, des cœurs de disciples, imagine, un peuple entier ! Apôtres de la beauté !
MARIANNE (à part : ). Le voilà comme je l’aime. Voilà pourquoi je l’ai aimé. Voilà enfin ce que j’espérais… Et pourtant, je suis lasse, quelque chose a été détruit en moi. Je veux lui faire du mal. Ma jeunesse est perdue. (à Besançon : ) Va à ton tract, oubliemoi dans mes draps, laisse-moi dans la barbe de mes amants… Va me tromper avec un peuple…
BESANÇON. Viens.
MARIANNE. Je ne viendrai pas.
BESANÇON. Pourquoi ?
MARIANNE. Je ne viendrai pas.
BESANÇON. Tu pleures encore…
On entend la foule qui tambourine à la porte et acclame Besançon.
MARIANNE. Maintenant va !
Il s’en va.
*
MARIANNE. Quelle plaie d’homme. Quelles plaies, les hommes… Je voudrais tant sortir ! Sans lui ! Sans art ! Pourquoi aime-ton ? (Elle frappe le placard :) Hein ! Pourquoi ! Je ne sais même plus s’il y a un homme dans ce placard, ni ce que c’est qu’un inconnu…
L’INCONNU. Oui. Il y en a un.
MARIANNE (comme si elle ne l’avait pas entendu). Les hommes ne sont pas mieux que des placards… On les ouvre : rien, quelques artifices érotiques… Ils ont le cœur plein de leurs joujoux pourris ! Aucun homme ne survit à son enfance… Un tract. Pouah. Un tract. Les hommes sont des femmelettes… (Elle frappe le placard :) Hein ! Femmelette ! Tu respires encore ?
L’INCONNU. Oui, mais de moins en moins. Faites-moi sortir.
MARIANNE. Qu’est-ce qui t’en empêche ?
L’INCONNU. Vous avez fermé à clef.
MARIANNE. Ah, c’est vrai… La clef… Les femmes sont des génies ! Reste un peu tu veux.
L’INCONNU. Mais…
MARIANNE. Ta gueule ! La barbe ! Vous êtes tous pareils. Même Besançon : ravagé par l’enfance. Sisyphe : il pousse devant lui le ventre de sa mère.
Elle attrape une canne dans un coin de l’appartement, et joue avec, à la manière de Charlot.
MARIANNE. Si vous saviez, cet homme-là, tout ce que je lui ai donné. Si vous saviez de combien d’amour j’ai été capable ! Je me suis rasé les cheveux. J’ai composé une symphonie. Je l’ai suivi partout, il dessinait, on buvait, on baisait comme deux lions mâles. Le monde était à refaire, et tous les jours, tous les jours c’est ce que nous avons fait.
La canne est une canne-épée. Marianne sort l’épée de son fourreau. Elle fait de l’escrime dans le vide.
MARIANNE. Nous étions mousquetaires. J’étais Cyrano. Je voulais son âme comme Cyrano celle de Roxane. Je dénouais pour lui l’écheveau de ma dignité. J’ai tout sacrifié. Je me battais. Je l’attendais des nuits dans la peur… Il me trompait… Moi aussi, souvent, mais je l’aimais, c’était pour mieux aller vers lui… (Elle pleure de rage). Mon dieu, toute cette cyprine, tout ce sang perdu, tous ces désirs inavouables, inavoués, ces anneaux d’or autour des yeux, ces cercles bleus… Combien de fois nous sommes-nous mariés dans l’amour, unis dans la folie… Nous étions des artistes, libres… À deux nous étions un peuple. Je t’aimais Besançon, je t’aimais tellement ! Il a fallu le temps, il a fallu la vie, l’intendance… Maintenant je ne sais plus rien. Tu me quittes. Mais je veux être en danger. Je crois encore à nos folies. Tout détruire pour tout recommencer !
Tout à coup elle se fend, et transperce avec son épée la porte du placard. On entend un cri et le bruit d’un corps qui tombe. Le sang coule sous la porte du placard.
MARIANNE (tombe à genoux). Tout détruire pour tout recommencer ! Je t’aime Besançon ! Je t’aimais !
Elle jette l’épée. Elle voit le sang. Elle met ses mains dedans. Elle s’en couvre les joues.
MARIANNE. Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait !
*
Besançon rentre dans l’appartement. Cette fois il a des vêtements déchirés, un foulard anti lacrymogène autour du cou, et sur la tête un masque de snowboard.
BESANÇON. Marianne, il faut partir. La police a été renforcée, le tract interdit, on me recherche, ils te prendront toi aussi. Nous devons fuir. Il faudra quitter le pays.
MARIANNE. Besançon, j’ai… j’ai…
BESANÇON. Prépare tes affaires, en fait non, ne prépare rien, nous n’avons besoin de rien. Lève-toi. Partons. Nous vivrons d’art. Nous préparerons le monde. Nous l’enfanterons. Je suis vivant Marianne. Tout est encore possible.
MARIANNE. Besançon…
BESANÇON. Que t’arrive-t-il ? Seigneur, ce sang…
MARIANNE. Quelque chose d’horrible.
BESANÇON. Tu es blessée ?
MARIANNE. Il m’est arrivé quelque chose d’horrible.
BESANÇON. Où est la clef ?
Marianne lui donne la clef. Besançon ouvre. L’étranger tombe. Besançon prend son pouls.
BESANÇON. Mort…
Marianne hurle.
BESANÇON. Nous devons effacer les preuves…
MARIANNE. Je l’ai tué. Je l’ai tué à cause de toi. Si tu n’étais pas parti…
BESANÇON. Tu as pris un inconnu dans la rue et tu l’as tué. Je n’ai rien à voir là-dedans. Maintenant il faut supprimer le corps…
MARIANNE. Je ne te pardonnerai jamais.
Marianne se jette sur la Suze. Besançon lui arrache la bouteille. Elle brandit vers lui la canne épée.
MARIANNE. Rends-la moi !
BESANÇON. Que vas-tu faire : me tuer moi aussi ? Nous allons le jeter dans une poubelle. Il est presque sept heures. Le camion passera. Le corps sera détruit. L’étranger porté disparu. Personne, jamais, ne le retrouvera. Allez, allez aide-moi…
Marianne ne l’aide pas.
BESANÇON. Tant pis, je vais me débrouiller… Je serai ton complice…
Besançon sort en traînant le corps.
MARIANNE. Que fait-on par amour ? Jusqu’où l’amour va ? Jusqu’où l’amour peut retenir un cœur comme le mien ? Que suis-je devenue par amour ? L’amour, ce troupeau de morts-vivants qui vous ravagent le cœur… L’amour qui vous empêche. L’amour qui fait craquer dans vous les barricades. Voilà jusqu’où j’ai obéi… Qui saura combien j’ai aimé cet homme-là ? Qui saura ce qu’ont attaché dans mon cœur les baisers de cet homme-là ?
Besançon revient.
BESANÇON. Le camion des éboueurs est passé. Ils n’ont rien remarqué. Machinaux, matinaux, fossoyeurs sans le savoir… Marianne, tu as tué un homme. Tu as fait de moi ton complice. Son sang, maintenant, est sur mes mains. Sa mémoire me sera comptée. Je pars sans toi, en exil, je fuis la police, je fuis ton épée… (Il remet l’épée dans son fourreau et la rend à Marianne.) Tu as tout détruit. Tu voulais tout détruire.
Besançon nettoie le sang sur le sol, et sur les joues de Marianne.
MARIANNE. Je t’en supplie, ne m’abandonne pas.
BESANÇON. Un jour, nous nous retrouverons, mais pour l’instant je pars sans toi, sur l’île de Guernesey, où vont les exilés. Je fuis la police. Je fuis ton épée…
MARIANNE. Sans moi, tu ne seras plus rien.
BESANÇON. Avec toi, je serai un monstre.
On entend la police réclamer le chef des émeutes. Puis une voix prétendre qu’il habite là.
MARIANNE. Ne pars pas.
BESANÇON. Marianne, je te sauve la vie.
Besançon s’en va. Marianne se recroqueville. Elle sanglote. Un policier entre, la voit, et regarde autour d’elle. Le rideau tombe. Un homme sort du public : Hémery.
*
HÉMERY. Voilà, voilà… J’ai assisté à tout moi aussi. J’étais une ombre, celui qui voit, celui qui entend mais que personne ne voit ni n’entend. Un inconnu… Comme celui qui est mort dans le placard… J’étais dans l’oubli, dans l’avenir, dans la poix chaude du strapontin, comme vous… Dans un placard : comme lui… Ma vie, comme la vôtre, et comme la sienne, n’avait aucun intérêt. Aujourd’hui, nous venons de lui en trouver un. À la vôtre, à votre vie, à la mienne (la sienne ce sera plus compliqué). Mes amis, nous serons témoins. Nous sommes devant un choix, comme sont tous les témoins. Poursuivre ou laisser passer, nous battre ou laisser faire. Marianne nous a tués en le tuant. Besançon nous a supprimé en le supprimant. Les acteurs, décidément, sont des salauds. Il est temps de récupérer le pouvoir. L’inconnu du placard est mort, quant à vous vous êtes plus ou moins inexistants (ceux qui toussent un peu moins), alors que je suis capable, moi, d’aller sur scène. (Il monte sur scène). Vous resterez dans l’ombre, impuissants, pendant que je poursuivrai cette femme criminelle. Je serai celui qui suis, je la suivrai, je suis son remords, son remords la suivra. Je lui demanderai des comptes. Je la jugerai en dernière instance. Enfin, je serai le coup de théâtre. Je vengerai notre race. Vous me remercierez d’exister. A la fin, vous vous applaudirez vous même. L’inconnu du placard aura été vengé, et avec lui tous les martyrs tués par le théâtre depuis des millénaires. Je nous vengerai frères et sœurs, et nous emporterons ce monde dans le calice de notre banalité.
Hémery fait le geste.
Rideau