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Henri Michaux, professeur d’éducation métaphysique

Henri Michaux, professeur d’éducation métaphysique

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Parlant d’un écrivain, voici comme Michaux le présentait : « Jean-Edern Hallier est un salaud. Comme Dostoïevski. » Et de lui ? « Je suis à l'extrême bout de mes forces. Pendant combien de temps ma carcasse de poulet tiendra-t-elle le coup ? » Voilà qui nous change des épigones des poètes maudits, qui ne sont guère que maudissants ! Parmi mes lectures d’adolescence, quand j’étais au lycée Condorcet, et que nous étions obligés – déjà ! - d’étudier Annie Ernaux, Michaux brillait au plus haut. Je l’ai lu jusqu’à le connaître par cœur et posséder un exemplaire, alors introuvable, car hors-commerce, de Nous deux encore. Ma lecture a commencé peu après sa mort en 1985. Ses premiers livres paraissaient alors en collection de poche, ce à quoi il s’était toujours opposé. Le ton, la forme, l’étrangeté, tout me retenait. Cette prose venait d’un Lascaux intérieur.

Michaux ? C’est de prime abord le Voltaire des Contes qui se regarde dans le miroir, et qui découvre l’ombre du Comte de Lautréamont ; un Maeterlinck qui sait que Mélisande n’existe pas, et qu’il ne sera jamais Pelléas non plus ; un Kafka métamorphosé en insecte, dont le procès est ajourné à l’infini. Mais encore ? Un surréaliste dont le réel passe outre tous les rêves ; un Morand, pour qui Bouddha n’est ni vivant ni mort, car il est le Bouddha qui sait en dernière analyse qu’il n’y a aucun Bouddha.

Comme l’a écrit le poète égyptien Georges Henein :

« Henri Michaux, c'est le refus de pactiser. N'importe où, au centre d'une ville, il se couvre d'une brume solaire, se dérobe au contact inutile, comme quelqu'un qui aurait rendez-vous avec la pointe des terres habitées. Le moins intime des moralistes. Le plus méfiant des géographes. II finira bien par inventer le détroit Michaux, celui par où personne ne passe. D'ailleurs, il s'excuse d'avoir à dire. Il pardonne aux choses de se cacher, plus rarement aux êtres de se montrer. Par clins de mots, il abrège sa phrase comme un explorateur anglais échoué dans la ouate d'un club où on se salue peu. Plus justement, il dirait peut-être, lui, l'auteur d'Un barbare en Asie, qu'il est devenu, avec le temps, un Asiatique en Barbarie … »

Par chance, j’ai été proche d’un de ses amis intimes, le poète, Edmond Jabès, lui aussi égyptien. Je veux rapporter un trait, qui peint Henri Michaux, en un coup, comme en cent. Un soir, Edmond Jabès dîna au restaurant avec Henri Michaux, en compagnie de Maurice Saillet, qui signait ses billets Justin Saget. Michaux arriva en retard, sans doute drogué. Il se mit à parler. Ce fut une crise de rire ininterrompue. Michaux était si drôle que la tablée fut secouée, sans discontinuer. Et Michaux de pleurer de rire. Ils furent finalement expulsés, tant Michaux riait et faisait rire ! Ce trait est digne de Socrate lui-même.


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