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La Parabole de Notre-Dame de Luc de Goustine

La Parabole de Notre-Dame de Luc de Goustine

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Un mouvement puissant emporte dès l'ouverture, nous fait entrer dans le récit de l'événement du 15 avril 2019 – l’incendie de Notre-Dame – et très vite nous fait passer du reportage à la parabole. Ce texte, la parabole de Notre Dame de Luc de Goustine, a en effet deux ailes, deux dimensions étroitement liées : le témoignage et la méditation, la description d'une catastrophe historique et le récit herméneutique. Et dans le tissage même de son écriture, Luc de Goustine relie génialement ces deux dimensions, le récit factuel de l'incendie et son exégèse ou, comme il l’écrit, « la pierre et la prière », l’incendie et sa lecture…

La lecture ardente de l'événement dans le feu de son déchiffrement. Le feu de la lecture rejoint celui de l'incendie qui, dans sa progression, semble en effet « révéler » peu à peu l'architecture cachée de l'édifice, sa liturgie, les textes qui la fondent. À la fois destructeur et lumineux, c'est le feu de la lecture qui brise le signe pour libérer son sens. Et c'est bien l'auteur lui-même qui, dès le début, évoque l'origine de ton texte, la brûlure, l'émotion qui l'a mis en mouvement. Incendie et lecture ici se mêlent, s'alimentent l'un l'autre dans le feu sans fin d'un buisson ardent. Dans le feu de la lecture le signe révèle son sens, se consume en partie. Le ciel perd un tiers de ses étoiles, comme la cathédrale de Paris une part de ses voûtes, et, consumant sa nuit, délivre sa lumière, comme une coque entrouverte libère son amande. Le feu de la lecture libère les langues de feu qui parlent toutes les langues.

Ici, Luc de Goustine lit avec nous les sens que ce feu révèle, et découvre, du cœur de Notre-Dame. La cathédrale est un corps maternel qui porte, dans sa complexion, sa forme elle-même, nef et transept, la douleur d'un enfantement et la croix d'une Résurrection. La cathédrale, livre de pierre à lire, parchemin à parcourir, chemin à cheminer, pèlerinage, signe sur le sol du voyage initiatique qui fait passer de la cour au parvis, du parvis à l'autel : on pourrait dire de l'île d'Ithaque à l'île de la Cité. Passage vu comme la transition du premier au septième jour d'une Grande Semaine, manière de navigation au long court, embarqués que nous sommes dans la nef ecclésiale. Une approche éclairante par les textes et la liturgie de l'architecture de cette « cathédrale » ou « chaise » de pierre ou « chaire » de Pierre.

La cathédrale est signe à déchiffrer. Et le texte lui-même se présente comme une lecture des œuvres du monde, un nouage du terrestre et du céleste : perception du déroulement de cette Semaine dans le cours du Temps humain et des événements concrets de notre Histoire où elle s'incarne ; cette lecture transfigure le signe en sens, l'eau en vin, et la crucifixion en Esprit (L'Esprit comme un retour au Père, l’accomplissement du Père, le troisième jour qui suit le vendredi, comme Trois est Un ).

L'écriture est ici plus que prophétique, apocalyptique. C'est dans les temps comme ceux que nous vivons, où la Parole est étouffée et le peuple en exil, que surgit l'écriture apocalyptique qui substitue l'image au tapage, nous fait voir ce qu'on n'entendait plus, mais entendre ce qu'on voit… L'écriture apocalyptique, écriture de condensation, nous fait passer dans un Autre Temps, celui qui contient tous les temps de l'Histoire et cette Grande Semaine, dont il est profondément question d'un bout à l'autre du livre : Temps hors du temps, panoramique, simultané comme une cathédrale de pierre.

Si l'Apocalypse ici n'est pas l'annonce d'une fin du monde mais d'un commencement, (« apocalupteïn » signifiant, nous le savons, « dévoiler » : déchirer le voile et passer de la parole à la vision), l'écriture apocalyptique ne renverse pas pour épouvanter sur le schéma du terrorisme, mais pour révéler. C'est en brûlant, perçant le signe, que le feu de la lecture révèle son sens et convertit le regard de son lecteur. Ici, c'est en perçant le flanc du crucifié que le centurion Longin voit et s'écrie : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu ! », et son coup de lance, qui est un coup de grâce, lui rend la vue. Le geste de Longin prend tout son sens quand ainsi il achève, « accomplit » la crucifixion et c'est le Crucifié, Lui, qui, dans son dernier souffle, vient de dire « Tout est accompli ». Longin accomplit en s'accomplissant, Longin croit, et sa foi surgie dans son repentir, naît dans sa conscience de sa faute (Le sentiment de culpabilité, pardon Sigmund, est libérateur !). Longin découvre le Christ en comprenant ce qu'il vient de faire, lui.

Ainsi ce passage du texte est très fort où rapidement, comme en aparté, il évoque celui qui a mis, peut-être accidentellement, le feu à la cathédrale et qui, le sachant et caché dans la foule, contemple en pleurant l'incendie qu'il a provoqué, et peut-être dans ce moment murmure : « C'est vraiment la Maison de Dieu… » Et la chute de la flèche achève et accomplit l'accomplissement de la lance…

Ainsi peut-on relier ce centurion à l'homme d'aujourd'hui pleurant dans cette foule de Paris qui est l'humanité. L'un préfigure l'autre, tous deux étant dans la même Semaine. Ainsi peut-on imaginer que les hautes figures antiques de la cour carrée, faite des quatre premiers jours de cette Semaine, sont reliées au Christ de la nef dont ils préfigurent la Passion. Et l'humaine Sémélé, dans cette cour carrée brûlant de l'amour de Zeus accouchant dans les flammes de Dionysos le Renaissant, n'est-elle pas elle-même une préfiguration de Notre Mère dans les douleurs de l'enfantement.

Notre Dame brûla du feu de la Résurrection ? Terrible accomplissement. Le feu surgi le Vendredi de la Grande Semaine, s'accomplira, se transfigurera en feu de Pentecôte le Troisième Jour suivant. Troisième Jour, que ce texte nous dit, jour de l'Accomplissement, du passage d'une rive à l'autre, de l'Église de la Croix à l'Église de l'Esprit…


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