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Les Heures royales d’Hélène Raveau

Les Heures royales d’Hélène Raveau

Par  
Propos recueillis par Maximilien Friche

Sur le roman Une reine et rien d’autre :

« Par quelle révolution une jeune fille handicapée peut-elle être élue reine de France ? « Henriette ! Henriette ! Quelqu’un est en train d’écrire nos vies. Je le sens. Tu ne le sens pas ? »

La vie d’Henriette Martin jusqu’aux élections présidentielles de 2017 est ordinaire au sein d’une famille heureuse. C’est la rencontre avec le comte de Kercambre, merveilleux gentilhomme errant dans son magasin d’antiquités, qui va bouleverser son existence : car lui seul voit que le destin a choisi la fragilité d’une enfant myopathe pour changer le cours de l’Histoire.

Hélène Raveau signe ici un conte politique. Revisitant les événements de cette dernière décennie et la toute récente actualité, elle renoue avec l’héroïsme et le panache, le sens de l’honneur et du sacrifice, le souci de l’origine, le rêve et la poésie enfin, sans lesquels il n’y a pas de littérature. »

 

MN : Un bon roman part souvent d’un projet et d’un environnement, et cela se traduit par une histoire racontée et une petite leçon de philosophie livrée, une petite et une grande histoire… Comment cela s’articule dans Une Reine et rien d’autre ?

Hélène Raveau : Quand on aime quelqu’un, il est presque impossible de situer l’instant exact où cet amour a commencé. Bien sûr, il y a le coup de foudre. Mais les amours ne commencent pas toutes par lui. L’origine d’un amour est toujours restée pour moi mystérieuse et furtive. Il en va de même pour l’origine d’un roman. En ce qui concerne Une Reine et rien d’autre, l’enfant atteinte de myopathie existe bien dans la réalité, et son prénom rime avec celui d’Henriette. De même, le comte de Kercambre, merveilleux gentilhomme errant dans son magasin d’antiquités et ses rêves monarchiques, est inspiré d’une rencontre. Mais je suis incapable de savoir comment Henriette et le comte ont fini par se rejoindre dans une réécriture des élections présidentielles. Cela s’est tissé comme en mon absence. Je n’ai pas eu de réel « projet » au sens où on l’entend habituellement, conscient, avec un plan, des étapes, un but. De grandes scènes un peu cinématographiques en noir et blanc flottaient sans doute dans mon inconscient, comme celle de la déclaration d’Henriette à l’émission de télévision : « Si Dieu le veut, je serai sacrée reine de France. », ou sa descente miraculée dans les tombeaux de Saint-Denis. Une chose est certaine, pour revenir à votre question, cette histoire s’est articulée sur de grandes valeurs d’autrefois incarnées par ces précieux personnages : le courage, la loyauté, le sacrifice. Et il était tentant de réécrire les présidentielles de 2017. Puisqu’elles ont été une suite d’inattendus, autant pousser l’inattendu que nous réserve l’Histoire jusqu’à une refondation de la royauté sur le front d’une jeune femme !    

 

MN : votre style est construit sur un contraste entre vos descriptions anodines qui vous permettent de camper le décor, votre langue « bien élevée » et une certaine gravité toujours présente. Est-ce une façon pour vous de vous excuser de livrer une vérité ?

HR : Il ne s’agit pas de s’excuser ! Il s’agit d’écrire, et pourquoi s’excuser d’écrire ? Tout est grave dans Une Reine et rien d’autre, car tout est regardé avec les yeux de l’enfance. Les descriptions sont graves. Elles ne campent pas seulement des décors, elles essaient de capter, comme la peinture, le reflet du miracle dans lequel nous vivons. Se lancer dans une description de jardin, de maison, de paysage par exemple, est un exercice vertigineux. Ce réel inépuisable, ce réel indicible en réalité, comment en saisir, en restituer, un petit éclat ? Dans le roman, mes personnages enfants s’arrêtent au beau milieu d’une promenade. C’est devant l’océan, au crépuscule du soir. Le monde se dévoile et Perceval s’exclame : Tu vois, Henriette, le Paradis, c’est sûrement un peu comme ça, pas tout à fait, mais un peu ! Cela me semble la langue la plus élevée qui soit : naïve, et juste. Ma vérité est dans cette naïveté. Je la revendique. Je ne saurais m’en excuser. 

 

MN : Vous avez l’obsession de l’enracinement qui semble répondre à votre clairvoyance vis-à-vis du déluge moderniste. Qu’apporte un roman par rapport à un essai dans ce combat de la chair reliée contre le monde de machines et de la virtualité ?

HR : L’enracinement est lié à l’origine. Ma première, ma plus profonde obsession, ma seule question, c’est celle de l’origine. Depuis l’âge où l’on demande sans cesse « Et avant ? », je n’y ai pas renoncé. Aucun divertissement ne m’en détourne. La moindre fleur m’y ramène. Vous parlez de déluge moderniste. En effet, cette folie actuelle qui nous laisse entrevoir un futur virtuel et transhumaniste m’épouvante. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles j’ai imaginé une refondation de la royauté, car la personne royale incarne à la fois un passé, un peuple et une autorité. De nombreux essais en parlent. Mais un roman permet de donner chair à ces idées, et qu’en s’attachant aux personnages, le lecteur d’aujourd’hui renoue avec elles un lien. Une machinerie énorme et sirupeuse s’acharne sur nous. Tocqueville avait raison, nous ne sommes plus que des toupies tournant dans la satisfaction de désirs matériels. Toute aspiration métaphysique ostracise. Une Reine et rien d’autre a longtemps été refusé par l’édition. Seul Frédéric Ovadia a eu le courage d’éditer mon livre.

 

MN : Votre héroïne est assoiffée de hauteur. Quelle est la principale condition pour s’élever ? Savoir contempler ? Connaître sa misère et se savoir aimée malgré tout ?

HR : J’aime mon héroïne. Son exigence et son courage sont exemplaires. On nous donne à voir tant de destins médiocres dans les romans actuels qu’on se prend à regretter le temps des vrais héros, des modèles qui tirent vers le haut. « Allons, mon cœur ! » s’exclame Rodrigue. Cette exhortation jaillit comme une source. Même si l’amour-propre débusqué par La Rochefoucauld s’y ressent, je préfère l’amour-propre au mépris de soi. Henriette est fière. Née dans un corps misérable, elle refuse toute pitié. Mais elle voit dans ce corps la figuration de la misère des hommes, et se sert de lui pour respirer plus haut. Sa chance est de vivre dans une famille heureuse, chose dont plus personne n’ose parler, et de faire des rencontres magnifiques, chose que plus personne ne veut imaginer. Tout cela la porte et l’élève jusqu’au trône. La grande scène de son sacre à Notre-Dame de Paris (encore intacte !) a été un pur ravissement d’écriture. Le sacre dans la cathédrale est sa grandeur, la descente dans les tombeaux de Saint-Denis, sa misère. Tout va vers le sacrifice. Perceval est un personnage sacrificiel. Lui aussi connaît sa misère, et c’est par la torche sacrificielle finale qu’il se sait enfin aimé. Pour répondre à votre question après ces digressions, la principale condition pour s’élever est d’avoir l’âme inquiète.  

 

Une reine et rien d’autre, roman d’hélène Raveau, les éditions Ovadia, 336 pages, 22€

 


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