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Les Heures royales d’Hélène Raveau

Les Heures royales d’Hélène Raveau

Par  
Propos recueillis par Maximilien Friche

Mauvaise Nouvelle : Hélène, vous avez publié plusieurs romans, et vous avez choisi cette fois ci de publier en ligne sur internet, chapitres après chapitres, à la façon des anciens qui publiaient leur roman en feuilleton dans la presse, qu’est-ce que cela change dans l’écriture ? Avez-vous déjà tout écrit ou continuez-vous d’écrire à mesure qu’on lit ?

Hélène Raveau : Les Heures royales ne pourrait être écrit parallèlement à sa lecture en ligne ! C’est un roman qui a demandé trois ans de travail et de recherches. Mais cette forme de publication m’a amenée, c’est vrai, à retrancher plusieurs chapitres méditatifs qui s’écartaient trop du fil de l’histoire, car j’ai été saisie d’une impression de réception sur le vif qu’on ne ressent pas avec la forme des publications classiques. En ligne, la présence des lecteurs devient palpable comme celle de spectateurs dans la salle, et les 24 heures qui séparent de la publication du lendemain agissent comme une règle d’unité de temps. Une dynamique relationnelle se surimpose à la dynamique narrative. C’est pourquoi il m’arrive de publier, quand ils forment un noyau cohérent, deux chapitres à la fois. Cela dit, l’esprit du roman feuilleton à l’ancienne n’est pas si éloigné de moi puisque je termine instinctivement chaque chapitre sur un effet de suspens ou de clausule.

MN : Cette envie de publier en ligne chaque jour un morceau de roman vous est-elle venue à cause du confinement ? Allez-vous continuer par la suite ?

HR : Nous nous sommes retrouvés vivre, avec le confinement, une expérience que je qualifierais de sacrificielle, et ramenés à une confrontation avec nous-mêmes à laquelle tous les divertissements de la vie d’avant permettaient d’échapper. Que faire de soi quand le regard des autres ne se pose plus sur nous ? La scène où nous jouons chaque jour a disparu du jour au lendemain, nous confinant dans les coulisses de notre moi. Nos déplacements ont été réduits à l’utilitaire ou à l’urgence. Enfin, le temps vide s’est abattu sur nous et avec lui, la menace de l’ennui. Mais il y a eu dans ce brutal basculement quelque chose de bénéfique. De centrifuges, nous sommes, par la force des événements, devenus centripètes ! La nécessité d’organiser nos journées, de les cadrer, d’alterner les activités a fait de chacun de nous un Saint Benoît réfléchissant à la règle qui permettrait d’éviter aux moines l’infernale acédie. Dans ce contexte inédit, un temps de lecture quotidien trouvait sa place !

MN : Un bon roman part souvent d’un projet et d’un environnement, et cela se traduit par une histoire racontée et une petite leçon de philosophie livrée, une petite et une grande histoire… Comment cela s’articule cette fois dans Les Heures royales ?

HR : Quand on aime quelqu’un, il est presque impossible de situer l’instant exact où cet amour a commencé. Bien sûr, il y a le coup de foudre. Mais les amours ne commencent pas toutes par lui. L’origine d’un amour est toujours restée pour moi mystérieuse et furtive. Il en va de même pour l’origine d’un roman. En ce qui concerne Les Heures royales, l’enfant atteinte de myopathie existe bien dans la réalité, et son prénom rime avec celui d’Henriette. De même, le comte de Kercambre, merveilleux gentilhomme errant dans son magasin d’antiquités et ses rêves monarchiques, est inspiré d’une rencontre. Mais je suis incapable de savoir comment Henriette et le comte ont fini par se rejoindre dans une réécriture des élections présidentielles. Cela s’est tissé comme en mon absence. Je n’ai pas eu de réel « projet » au sens où on l’entend habituellement, conscient, avec un plan, des étapes, un but. De grandes scènes un peu cinématographiques en noir et blanc flottaient sans doute dans mon inconscient, comme celle de la déclaration d’Henriette à l’émission de télévision : « Si Dieu le veut, je serai sacrée reine de France. », ou sa descente miraculée dans les tombeaux de Saint-Denis. Une chose est certaine, pour revenir à votre question, cette histoire s’est articulée sur de grandes valeurs d’autrefois incarnées par ces précieux personnages : le courage, la loyauté, le sacrifice. Et il était tentant de réécrire les présidentielles de 2017. Puisqu’elles ont été une suite d’inattendus, autant pousser l’inattendu que nous réserve l’Histoire jusqu’à une refondation de la royauté sur le front d’une jeune femme !   

MN : votre style est construit sur un contraste entre vos descriptions anodines qui vous permettent de camper le décor, votre langue « bien élevée » et une certaine gravité toujours présente. Est-ce une façon pour vous de vous excuser de livrer une vérité ?

HR : Il ne s’agit pas de s’excuser ! Il s’agit d’écrire, et pourquoi s’excuser d’écrire ? Tout est grave dans Les Heures royales, car tout est regardé avec les yeux de l’enfance. Les descriptions sont graves. Elles ne campent pas seulement des décors, elles essaient de capter, comme la peinture, le reflet du miracle dans lequel nous vivons. Se lancer dans une description de jardin, de maison, de paysage par exemple, est un exercice vertigineux. Ce réel inépuisable, ce réel indicible en réalité, comment en saisir, en restituer, un petit éclat ? Dans le roman, mes personnages enfants s’arrêtent au beau milieu d’une promenade. C’est devant l’océan, au crépuscule du soir. Le monde se dévoile et Perceval s’exclame : Tu vois, Henriette, le Paradis, c’est sûrement un peu comme ça, pas tout à fait, mais un peu ! Cela me semble la langue la plus élevée qui soit : naïve, et juste. Ma vérité est dans cette naïveté. Je la revendique. Je ne saurais m’en excuser.

MN : Vous avez l’obsession de l’enracinement qui semble répondre à votre clairvoyance vis-à-vis du déluge moderniste. Qu’apporte un roman par rapport à un essai dans ce combat de la chair reliée contre le monde de machines et de la virtualité ?

HR : L’enracinement est lié à l’origine. Ma première, ma plus profonde obsession, ma seule question, c’est celle de l’origine. Depuis l’âge où l’on demande sans cesse « Et avant ? », je n’y ai pas renoncé. Aucun divertissement ne m’en détourne. La moindre fleur m’y ramène. Vous parlez de déluge moderniste. En effet, cette folie actuelle qui nous laisse entrevoir un futur virtuel et transhumaniste m’épouvante. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles j’ai imaginé une refondation de la royauté, car la personne royale incarne à la fois un passé, un peuple et une autorité. De nombreux essais en parlent. Mais un roman permet de donner chair à ces idées, et qu’en s’attachant aux personnages, le lecteur d’aujourd’hui renoue avec elles un lien. Une machinerie énorme et sirupeuse s’acharne sur nous. Tocqueville avait raison, nous ne sommes plus que des toupies tournant dans la satisfaction de désirs matériels. Toute aspiration métaphysique ostracise. Les Heures royales ont été unanimement refusées par l’édition. Voilà une reconnaissance, pour ne pas dire une décoration !

MN : Votre héroïne est assoiffée de hauteur. Quelle est la principale condition pour s’élever ? Savoir contempler ? Connaître sa misère et se savoir aimée malgré tour ?

HR : J’aime mon héroïne. Son exigence et son courage sont exemplaires. On nous donne à voir tant de destins médiocres dans les romans actuels qu’on se prend à regretter le temps des vrais héros, des modèles qui tirent vers le haut. « Allons, mon cœur ! » s’exclame Rodrigue. Cette exhortation jaillit comme une source. Même si l’amour-propre débusqué par La Rochefoucauld s’y ressent, je préfère l’amour-propre au mépris de soi. Henriette est fière. Née dans un corps misérable, elle refuse toute pitié. Mais elle voit dans ce corps la figuration de la misère des hommes, et se sert de lui pour respirer plus haut. Sa chance est de vivre dans une famille heureuse, chose dont plus personne n’ose parler, et de faire des rencontres magnifiques, chose que plus personne ne veut imaginer. Tout cela la porte et l’élève jusqu’au trône. La grande scène de son sacre à Notre Dame de Paris (encore intacte !) a été un pur ravissement d’écriture. Le sacre dans la cathédrale est sa grandeur, la descente dans les tombeaux de Saint-Denis, sa misère. Tout va vers le sacrifice. Perceval est un personnage sacrificiel. Lui aussi connaît sa misère, et c’est par la torche sacrificielle finale qu’il se sait enfin aimé. Pour répondre à votre question après ces digressions, la principale condition pour s’élever est d’avoir l’âme inquiète. 

Pour lire le roman : https://www.lesheuresroyales.com/

Ce blog vous propose la lecture du roman d'Hélène Raveau Les Heures royales. Un fascinant retournement de l'Histoire de France.


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