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Attendre pour ne pas agir

Attendre pour ne pas agir

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Il y a plusieurs formes d’attente. Selon ce qu’on attend, le temps d’attente est différent pour chacun d’entre nous. L’attente peut être sereine, anxieuse, passionnée. L’attente peut être vécue de façon individuelle ou en groupe lorsqu’elle se partage avec d’autres. C’est le cas de la file d’attente. Prendre la queue, c’est suivre la file ou le troupeau selon les cas. Notons, que dans nos contrées bien des artifices sont employés pour éviter l’émeute et les coups et blessures.

Ainsi, les queues sont de plus en plus sophistiquées. On vous fait attendre, un ticket à la main. A l’affichage de votre numéro, vous avez vraiment l’impression d’avoir décroché le gros lot. Vous vous dirigez fièrement vers le guichet scintillant, tout en jetant un regard hautain à ces pauvres bougres qui eux, restent dans l’attente de leur désignation. Il y aussi les queues labyrinthes, spécialités des aéroports, des bureaux de postes, des matchs de foot ou autres manifestations. On vous fait attendre entre des entraves qui empêchent tout dépassement ou tout débordement. Il peut arriver cependant que des individus se glissent sous les cordes, comme des anguilles sous les galets. Ils s’imaginent invisibles ou, plus grave, qu’on ne les voit pas. Remarquons, par ailleurs, qu’on ne sait pas toujours où se trouve l’entrée du saucisson. Cela est tellement vrai, que les entreprises qui utilisent ces moyens de pression sur la queue sont de plus en plus obligées de mettre un planton, chargé de vous demander votre destination finale. Prétexte fallacieux, il – ou elle – est là pour vous désigner le début de la queue, un point c’est tout. C’est une activité directionnelle que je suggère de remplacer par un drapeau « Départ », puisque de toute façon, ces files d’attente sont des courses à la place. Notons aussi que ces liens sensés accueillir des files d’attente restent en l’état même quand il n’y a personne qui attend. Ce sont des queues virtuelles. Les liens et les pilotis sans occupant sont eux aussi en attente. Ils attendent les files d’attente à venir.

Il y a aussi des queues sournoises. Ce sont celles dont vous croyez voir le bout alors qu’en fait la file se poursuit le long d’un mur que vous ne pouviez apercevoir quand vous étiez en train de « faire » la première tranche de queue. Les grandes expositions, concerts et multiples rencontres populeuses peuvent être considérées comme les maîtres-queues de cette cuisine. De loin, vous apercevez la caisse alors qu’il vous faut encore vous envoyer une file dérobée à la vue pour arriver à l’objectif final. Enfin, on ne peut évoquer l’attente au quotidien sans rappeler que l’imagination est plus forte que la réalité. Pour vous éviter apparemment une grande queue, certaines entreprises ont inventé la queue « privilège ». Une autre manière de classer un bonhomme qui fait la queue. Il ne sera plus mêlé à la valetaille. Il aura droit à la file des « pros » (à la poste) à la caisse spéciale cinq articles (dans les supermarchés) à la carte «coupe-file » (dans les parcs d’attractions). Sauf que finalement il y a presque autant de monde dans les queues « pro » ou « prioritaires » que dans les queues ordinaires et que pour obtenir sa «carte spéciale» comme le bénéficiaire vous le dira, il a du faire deux fois la queue : une fois pour obtenir son accréditif et une autre fois comme tout monde… mais désormais il n’emprunte plus la file de tous les quidams. Il est pratiquement impossible de faire l’inventaire de toutes les attentes de notre vie, tant sur le plan personnel que professionnel. Vous avez encore à l’oreille les propos de cette standardiste qui vous a dit « Ne quittez pas, je vous mets en attente…».

De façon générale, qu’attendons-nous ? Demain il fera beau, et on sera riche. Demain, on rase gratis, c’est bien connu. L’attente sert d’excuse, de jeu, de menace. L’enfant haut comme trois pommes a déjà compris la mécanique : Il ne veut pas ingurgiter sa soupe ? Il vous demande d’attendre qu’elle refroidisse. Il pense que le temps d’attente fera oublier ce qu’on attend de lui. L’attente est socialement organisée, institutionnalisée. Il ya même des endroits où sont rassemblées les attentes. Il paraît que ce sont les salles d’attente des dentistes, médecins et avocats qui contribuent à leur réputation. Quel que soit son âge ou son rang social, on doit attendre.

Ainsi, l’ado attend d’être plus âgé pour être enfin pris au sérieux. Il est d’autant plus sensibilisé à cette attente que pendant toute cette période on lui serine « qu’on attendait autre chose de lui ». Sans lui dire vraiment ce qu’était l’autre chose. Par contre, ce qu’il sait c’est que son interlocuteur «attendait ». Il l’a noté, pour le restant de ses jours. Ainsi, adulte, il sera un nouveau maillon de cette attente, chaîne du désir et de l’impatience. Le Président de la République et le Gouvernement n’échappent pas à la règle : Ils devraient attendre avant de mettre en œuvre telle ou telle réforme lit-on de-ci-de-là. On ne sait pas trop ce qu’ils doivent attendre.

Pour, les défenseurs de l’immobilisme, le fonds est accessoire. L’essentiel reste l’attente. Politiquement, on peut dire que dans le temps le procédé a fait ses preuves. Certains gouvernements ont laissé à leurs successeurs le soin de faire le ménage. En revanche l’opposition – et je devrais dire les oppositions qui se succèdent – se servent de l’attente pour prévenir de ce qu’ils feront, quand ils prendront le pouvoir, en jetant du haut des tribunes « Vous ne perdez rien pour attendre ». Ici, la haine, la vengeance et l’intimidation s’appuient sur l’attente.

Si l’espoir fait vivre et si l’attente est son moteur, évitons de tresser des couronnes de lauriers aux attentes de toutes sortes. Nous sommes suffisamment obligés d’attendre dans la vie, pour ne pas insister encore et toujours sur l’attente au point d’en faire le symbole de la sagesse. C’est ainsi qu’elle peut, parfois, se vivre, mais il n’est jamais bon de faire d’une exception, la règle. Il est en effet plus facile d’attendre que d’agir.


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