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La communauté Saint Martin, l’Église, et l'apostolat

La communauté Saint Martin, l’Église, et l'apostolat

Par  
Propos recueillis par Maximilien Friche

Don Paul Préaux a été élu modérateur de la communauté Saint Martin  en 2012. Cette communauté a été créée à Gêne par l’abbé Jean-François Guérin en 1976. Sa vocation est de former des prêtres dans la tradition de l’Église au service des diocèses. Elle compte aujourd’hui 86 prêtres et diacres, et 83 séminaristes. La communauté vient de déménager de Candé sur Beuvron vers l’abbaye d’Evron en Mayenne pour accueillir ses séminaristes dont le nombre a augmenté. Don Paul Préaux a accepté de répondre aux questions de MN sur la communauté Saint-Martin, l’apostolat aujourd’hui et l’Église.

 

- La communauté est une vocation pour le ministère ordonné comme pour tous les chrétiens.-

 

MN : Pouvez-vous nous rappeler la vocation de la communauté Saint Martin ? Cette dernière a-t-elle évolué depuis le début de la création ?

PP : Je vais faire une distinction métaphysique concernant notre vocation. Cette dernière n’a substantiellement pas changé. Le but premier était de rassembler des jeunes désireux de se former dans la tradition et, également désireux de s’ouvrir au ministère. La fidélité à la tradition s’illustre notamment par la connaissance du chant grégorien, et l’ouverture au ministère s’entend notamment avec la fidélité sans faille au magistère actuel de l’Église.

Ce magistère tel que l’a d’ailleurs imaginé à l’origine Saint Martin lui-même. Pour évangéliser l’Europe, Saint Martin a eu l’idée de créer partout de petits prieurés de frères, enracinés dans la vie intérieure et aussi évangélisateurs de plein vent. D’ailleurs, le fait que notre séminaire passe de Candé sur Beuvron à Evron est un signe de la Providence pour nous, car nous passons d’un château à une abbaye. L’enracinement dans la vie intérieure et l’ouverture aux défis de l’Église aujourd’hui sont les deux piliers de notre vocation.

 

MN : Justement, nous parlons beaucoup de communautés aujourd’hui dans l’Église, comment éviter le communautarisme d’Église, l’entre-soi de chaque chapelle, tout en permettant tout de même une régénération de l’Église de l’intérieur ?

PP : C’est un point de vigilance réel, notamment dans le cadre de notre croissance numérique que vous avez évoqué en introduction. Nous ne sommes pas un bateau pirate au sein de l’Église qui cherche à faire la course et à la gagner. La communauté Saint Martin est une communauté avant tout au service de l’Église, elle est là pour répondre à ses attentes. D’un point de vue conjoncturel, avec la croissance de la communauté, nous ressentons encore plus la nécessité d’investir dans la formation des prêtres, d’identifier des formateurs de prêtres, des permanents, des intervenants réguliers ou simplement des intervenants de sessions.

Dans un autre domaine, nous portons aujourd’hui une attention particulière à la pastorale des jeunes avec la création des internats que nous voulons développer. Là encore, il s’agit systématiquement d’internats reliés à l’enseignement catholique. Nous répondons ainsi à un besoin d’apostolat de l’Église.

 

MN : Permettez-moi maintenant d’aborder le vaste sujet de l’annonce de l’évangile. Notre monde est déchristianisé et on a parfois l’impression que l’homme serait devenu hermétique à toute crise métaphysique, trop encombré qu’il est par la matière. Comment combattre l’indifférence religieuse ? Comment annoncer la bonne nouvelle ?

PP : C’est une question un peu globalisante. Nous ne pouvons pas parler d’un monde unique, mais de plusieurs mondes : le monde économique, le monde politique, le monde du travail, la famille, la sphère éthique… Le monde est extrêmement divers aujourd’hui.

Pour la pastorale, il faut savoir retrouver la quintessence de l’Évangile et bien connaître la personne à qui l’on s’adresse. Je pense notamment, que l’Église a véritablement quelque chose à dire aujourd’hui au niveau de l’enseignement social. Notre monde occidental vit dans une morosité globale. Et il s’agit là de la grande intuition de Saint Jean-Paul II ayant pris en référence l’Espérance. En effet, si nous devions résumer et qualifier la crise dont notre monde est traversé, nous dirions que nous vivons une crise du désespoir. L’homme a déclaré la mort de Dieu, et l’homme s’est érigé en Dieu lui-même, et il a fini par désespérer. Nos difficultés, nos échecs mettent régulièrement à mal le principe du pouvoir absolu, et l’homme se voit confronté à ses propres limites. Ce sont là les deux grands péchés contre l’Esprit des hommes d’aujourd’hui. Même la jeunesse aujourd’hui est confrontée au désespoir.

La crise principale de notre temps est d’avoir oublié l’éternité. On veut croquer la vie à pleines dents, mais ici bas seulement. Il nous manque l’éternité. C’est la mission du prêtre de rappeler que nous sommes faits pour l’éternité. Contrairement à Marx qui pensait que la motivation pour l’éternité produisait une démotivation pour l’action ici-bas, un Chrétien doit au contraire conformer les réalités d’ici-bas à la réalité éternelle. La crise que nous traversons est une crise du souffle car il manque dans la vie de chacun cette dimension de l’éternité. Et la question qui se pose alors à lui est : quel est le sens ? Le sens sous ses trois définitions : la direction, la signification, et le goût, la saveur. Et l’Église est là pour redonner le sens. L’Église apporte des raisons d’espérer et pas seulement des moyens de vivre.

 

MN : Voilà donc le diagnostic, il manque l’éternité. Mais, permettez-moi d’insister sur le « comment ». Comment apporter cette éternité à nos prochains ? Encore une fois comment combattre l’indifférence religieuse ?

PP : Ne pas côtoyer l’Église conduit beaucoup à avoir en eux une image déformée de Dieu. Et dans ces cas, on peut même aller jusqu’à comprendre la réaction athéiste. Pour combattre ce que vous appelez l’indifférence religieuse, il n’y a que l’obstination à répéter, sans fatigue, que nous ne sommes pas faits que pour cette terre. Pour faire en sorte de rendre efficace l’annonce de l’Évangile, il convient de rappeler le rôle essentiel des communautés de Chrétiens. Les premiers Chrétiens ont pu rayonner autour d’eux par la charité qu’ils avaient entre eux témoignant de la personne de Jésus. Et les deux attitudes qui résument la vie en communauté de Chrétiens sont l’intériorité et la simplicité. Deux mots qui ont deux fruits que sont la sérénité et la charité. Ce qui est une attitude de rupture dans un monde de peur et d’inquiétude. Nous devons absolument être des communautés de Chrétiens rayonnantes, c’est ainsi que nous attirerons des âmes à Jésus.

 

MN : Vos séminaristes sont nombreux, jeunes et enthousiastes. Ils sont appelés à devenir des prêtres de paroisses, ils seront confrontés à des déceptions, des découragements, des oppositions… Que leur dire pour qu’ils gardent l’Espérance ?

PP : Clairement, il s’agit là de ma responsabilité en tant que modérateur de la communauté Saint Martin. Je m’attache à la formule de Jérémie : la formation au séminaire, ce n’est pas accumuler de la vérité pour le ministère, mais c’est d’être happé par la source, relié à la source qu’est la parole de Dieu, la vie sacramentelle et l’amitié avec le Christ. Bien comprendre la théologie n’est pas suffisant. Il ne s’agit pas de tomber dans une spiritualisation désincarnée, il faut absolument tenir compte de ce qu’est l’homme. Il leur faut imiter les deux natures du Christ, être à la fois un homme de plein vent et un homme de Dieu. Il y a des spiritualités différentes dans la communauté même pour vivre cette vie intérieure, l’essentiel est que chacun en ait une pour rester connecté à la source.

Par ailleurs, le prêtre ne doit pas être un homme isolé. Il doit s’établir en communauté sacerdotale. Un autre clergé a vécu, celui d’un individualisme qui n’aide pas toujours à garder l’Espérance. Il est essentiel de développer le partage entre prêtres. On ne partage jamais assez nos joies et nos difficultés pastorales. La conversion doit être sans cesse à renouveler. Le séminaire est justement là pour préparer cette vie en communauté sacerdotale, c’est une école de pardon, d’attention, de vérité, d’expérience de ce qu’est une communauté chrétienne.

Le risque pour un prêtre est de devenir un jour un fonctionnaire. « Je fonctionne comme un prêtre mais je ne suis pas prêtre ». L’altérité, l’ouverture à l’autre, l’ouverture de cœur sont des dimensions essentielles de la vie de prêtre. Cela doit s’accompagner d’une direction spirituelle pour éclairer le chemin emprunté. Enfin, l’obéissance filiale et ecclésiale au supérieur finit de maintenir le prêtre connecté à la source. Je suis assez exigent car celui qui ne sait pas obéir, ne peut pas s’ouvrir vers les autres. Le Christ a obéi.

 

MN : Parlons justement un peu plus de cette vie communautaire que les prêtres de la communauté Saint Martin vivent ensemble dans les paroisses.

PP : Le ministère ordonné est de nature essentiellement communautaire (Ecclesiae Pastorum, Saint Jean-Paul II). Le concile ainsi que tout le magistère postconciliaire sont très clairs là-dessus. La communauté Saint-Martin est une certaine forme de communauté. Bien heureusement, on en trouve bien d’autres. Que ce soit dans les diocèses ou dans les communautés nouvelles, où cette vie en communauté sacerdotale s’organise.

Et au final, le ministère ordonné doit conduire tous les chrétiens à vivre en communauté. Il nous faut à tout prix fuir une espèce de christianisme à la carte où l’on pourrait piocher un peu de spiritualité ou de culture. Il faut conduire les chrétiens à former de véritables communautés vivantes autour des prêtres. La plupart d’entre nous a conscience de cette nécessité. Comme le dit le pape François, l’Église n’est pas une ONG. Le but n’est pas d’entretenir un partage uniquement formel, mais que l’Église se distingue comme communauté vivante et rayonnante.


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