Le quart d’heure de célébrité

Un peintre américain célèbre qui tenait aussi du mystificateur, Andy Warhol, l’a dit un jour :
« Au XXI^ème siècle tout le monde aura son quart d’heure de célébrité ».

Et tout le monde l’a pris au pied de la lettre, prenant cette formule comme une injonction impérative. Cela va de celui qui mange de la lessive en direct sur sa chaîne Youtube à celle qui vend ses sous-vêtements portés en passant par l’apprenti musicien qui se voit génie méconnu (génie, le plus souvent je ne sais pas, mais méconnu toujours à juste titre), imitant le plus souvent maladroitement ses musiciens préférés, sans oublier celui ou celle qui montre juste ses fesses ou autre chose afin d’être regardé le plus possible.

50 000 ans d’histoire des hommes et d’évolution des techniques jusqu’à aujourd’hui pour en arriver à des utilisations aussi déplorables et dénués de sens. 50 000 ans de philosophie, 50 000 ans d’esprit et de réflexion. 50 000 ans pour que triomphe finalement au bout du compte la médiocrité assumée de notre société.

On appelle ça alors des « influenceurs », aussi a-cérébrés que les millions de personnes les suivant sur internet. Les « pouces », les « likes » sont leur drogue qu’il leur faut quotidiennement, une petite décharge d’endorphine à chaque fois, un petit orgasme narcissique qui leur fait tant de bien pensent-ils, surtout dans un monde où plus personne ne veut partager de valeurs communes. « A chacun sa vérité » lit-on souvent et sur toutes sortes de forums. S’il n’y a plus que des « croyances individuelles », chacun refusant de revenir dessus par peur de céder du terrain aux autres, il n’y a plus de société possible.

Je crois que, je pense que jusqu’à l’absurde le plus complet, tout ça pour se rendre intéressant, se démarquer pense-t-on afin d’avoir cette extase fugace, très fugace, de l’ego, évoquée plus haut.

Pourquoi faudrait-il qu’ils aient le moindre talent pour prétendre à la célébrité ? Pourquoi faudrait-il qu’ils se donnent du mal ? Le talent est une chose rare qui s’entretient par le travail de ses dons, il est rare et ne s’acquiert pas, on l’a ou pas. Le génie est encore plus rare, et il est loin d’être donné à tout le monde tant s’en faut. C’est cruel le talent, c’est cruel le génie.

Il y a aussi tous les pseudo sosies des stars vivantes ou mortes. Sosie de star morte ça ne mange pas de pain, l’original n’est plus là pour faire un procès en reconnaissance d’héritage. Je pense particulièrement à Dgilly Claude qui prétend être pénétré par l’âme de Claude François dès qu’il monte sur scène et être son « souvenir numéro un ». Dgilly Claude aurait bien aimé avoir la célébrité de son idole, il ne peut que faire semblant d’en avoir une toute petite, celle que lui ont donné les moqueurs qui le tournent en dérision lui et d’autres apprentis stars interplanétaires. Pauvre Dgilly qui est au fond sympathique derrière ses pétarades de vanité si communes en 2022.

On remarque d’ailleurs que même la dérision est maintenant encadrée et se fait au sein même de ces réseaux dits sociaux pour gagner du « like », du pouce, du cœur bien rouge afin de se sentir exister et de compter pour les autres, de ne pas être aussi anodin et perdu dans la masse qu’on croit l’être. La modernité engendre une solitude moderne, on est perdu au milieu de la foule, perdu au milieu de tous ces avatars rêvés que les uns et les autres se fabriquent par ce biais.

Et on me demandera : Et toi pourquoi écris tu si ce n’est pour éprouver ce plaisir intense mais court de la célébrité instantanée du net ?

Il y a évidemment le plaisir d’être lu. Et un grand lecteur finit toujours par avoir envie d’écrire. Il y a parfois le souverain plaisir de déplaire ou d’aller à contre-courant des préjugés habituels. Trop souvent l’on est incompris, ou compris de travers… Aussi.

Mais quant à la célébrité, elle n’a rien d’essentiel.

Et c’est ainsi qu’Allah est grand.