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Entre Jon helip et Jean de Baulhoo, des Promesses d’océan

Entre Jon helip et Jean de Baulhoo, des Promesses d’océan

Propos recueillis par Maximilien Friche

Entretien avec Jon Helip et Jean de Baulhoo à propos de l’ouvrage d’art et de poésie, Promesses d’océan, sorti aux éditions Nouvelle Marge.

MN : Chers Jon et Jean, vous voilà réunis dans un livre. Voilà les sculptures de Jon et les poèmes de Jean qui s’alternent comme des rimes. Racontez-nous comment s’est opérée la rencontre entre vous ? Comment s’est établie une correspondance ?

Jon : Je crois que c’est la providence qui nous a réuni sur ce projet. Un premier contact reçu en janvier 2020, d’où surgit instinctivement l’expérience d’un troc expérimental, un poème contre une sculpture en clin d’œil à ma devise « Tout est Don ». J’étais bien loin d’imaginer que ce premier échange nous mènerait à cet ouvrage, tissé au long des mois où Jean répondait par ses textes aux photos reçues de mes derniers travaux, cela au fil non régulier de nos créations respectives et du covid… Cela sans nous voir ni nous parler. J’ai toujours été sensible à la poésie, d’ailleurs, je ne lis pratiquement que cela. Je me suis senti béni de recueillir les textes que Jean m’a offert pour parler de l’invisible de la création, qui ne se voit pas directement derrière les coups de râpe.

Jean : La providence, je crois en effet qu’il n’y a pas d’autre mot. Les œuvres de Jon ont immédiatement exercé sur moi une forte attirance. Et puis, j’ai eu aussi le sentiment que le sculpteur aurait également aimé écrire. Je ne lui ai jamais posé la question. Peut-être s’y est-il essayé ? Qu’il garde donc son secret ! Enfin, ce qui pour bien d’autres, je le suppose, aurait semblé assez abscons ; écrire essentiellement à partir de sculptures de bois, ne m’a jamais interrogé ; à chaque fois, j’avais le sentiment que l’édifice était achevé, mais qu’il accepterait encore mes mots délibérément simples, à l’image de la sobriété et de la légèreté des œuvres ; mots qui venaient à moi facilement, comme déjà prêts et rangés quelque part en mon esprit.

MN : Au cœur de cette rencontre se pose la question de l’objet livre. Pourquoi avoir voulu accéder au livre ? Quel rôle de cet objet ? Un lien entre vous ? Une mémoire, la possibilité de thésauriser votre correspondance ? Un média pour présenter plus largement le travail de Jon, sa puissance poétique ?

Jon : Je crois que l’idée du livre est venue de Jean. Du moins, c’est ce que je garde en mémoire de nos échanges. Les poètes écrivent des livres, les sculpteurs réalisent des sculptures et pourtant l’objet papier abouti de ce projet me paraît davantage aujourd’hui comme un pont entre nos deux univers. Mi écrit mi visuel, ou plutôt tout écrit, tout image où, chacun a pleinement sa place dans un espace qui s’agrandit par la rencontre.

Jean : Le livre, à mes yeux et aux yeux de la majorité de ceux qui écrivent, restera toujours le livre papier. A moins que l’on revienne à des supports antérieurs. Et dans l’esprit de chaque auteur, il y a ce rêve, qu’un jour, quand le temps aura coulé, que ce soit à la BNF ou dans une brocante, un homme ou une femme lira encore quelques-unes de ses lignes. Pour ce qui est du présent ouvrage, l’idée m’est venue naturellement d’en faire un livre, pour thésauriser, le mot est juste. Pour que cela ne fut pas réalisé en vain. Par ailleurs, je pense comme Jon que ce genre d’assemblages tend à élargir l’horizon artistique.

MN : Dans le livre d’art et poésie on note en premier lieu le mariage entre sculpture et poésie. Mais il faut noter aussi la présence de la photographie puisque c’est par la photo que les œuvres nous parviennent. Il y a maintenant plusieurs années Jon avait affirmé avec malice dans ces colonnes que les photos étaient presque plus intéressantes que ses œuvres. Qu’en est-il de votre rapport à vous deux avec la photo, le cadrage qu’elle suggère, le hors champs ?

Jon : Je ne me souviens plus exactement de mes propos malicieux de l’époque mais je dirai que la sculpture et la photographie sont comme mère et fille. L’une engendre l’autre qui cherche ensuite son indépendance. Elles ont toutes deux pouvoir et puissance de fécondité. L’artiste basque Zigor, qui pratique les deux, dit que la photographie emprunte à sa sculpture en taille directe ses manières de choisir l’image en élaguant les parties non voulues dans le cadrage.

Jean : En premier lieu, la photographie, servie par de bons photographes, s’agissant des sculptures de Jon, anoblit encore les œuvres, dans la majorité des cas. Toutefois, l’heureux acquéreur de la sculpture, s’il n’arrivait pas à retrouver la perception initiale de l’œuvre, via la photographie, en découvrirait à son grand étonnement plusieurs autres, visibles à 180 degrés voire au-delà, sans compter les variations de nature de bois.  La photographie peut aussi apporter à la peinture une dimension supplémentaire, amplifier le côté impressionniste de certaines œuvres ; toutefois au final, l’observateur n’aura de cesse que de s’éloigner de la toile, pour oublier les coups de pinceau occultés par le cliché.

MN : Vous avez tous deux un rapport au bois différent. Jon le ramasse au bord de l’Océan et Jean le touche en forêt. Racontez-nous ce rapport à cette matière et en quoi vous pouvez vous rejoindre là-dessus aussi.

Jon : Le bois de la forêt est arbre. Celui de l’océan est fragment, bois mort disent certains. D’autres plus en vogue parleront d’art écologique et durable. Pour moi, il est avant tout donné, reçu cabossé, inerte, je tente de le redresser comme pour le « ressusciter » d’une nouvelle vie magnifiant ses stigmates et son voyage. En ce sens, je rejoins la face invisible de la forêt.

Jean : J’ai toujours eu un rapport intuitif et primaire à l’arbre et à la forêt. J’ai planté des centaines d’arbres. A présent, quand ils sont en feuilles, il me semble qu’ils me protègent et m’isolent de ce monde en folie. Les rapports aux arbres sont quasiment aussi nombreux que les arbres eux-mêmes. Les peupliers élèvent. Les chênes écrasent. Les tilleuls apaisent. Les hêtres évoquent les cathédrales. Les fruitiers haut de tige rassurent et inspirent le respect. La forêt est un lieu toujours intimiste. Longtemps elle abrita ceux qui étaient à la marge de la société. Les forestiers ont souvent, bien que rarement exprimé, un rapport mystique à la forêt. Quant au bois d’océan, j’avoue l’avoir découvert un peu plus avec le travail de Jon. Peut-être serait-il au départ le fruit d’un accord entre la forêt et la mer. L’océan dans sa puissance toujours porté à conquérir, la forêt contrainte à céder quelques arbres pour enfin retrouver la quiétude. Alors seulement commence la vie longue et aventureuse de ce bois livré en sacrifice. Un bois d’une autre nature, déraciné, arraché à la terre, condamné à errer et à perdurer quand même dans un élément qui ne lui était pas destiné au départ.

MN : j’aimerais finir par la question spirituelle. Les sculptures et poèmes évoquent la prière quasiment en permanence. Nous flirtons même avec l’usage liturgique. L’art est donc indissociable de cette verticalité pour vous ?

Jon : Christian Bobin récemment disparu disait que jadis les mages étaient premiers, ensuite sont venus les religieux, aujourd’hui est-il possible qu’il y ait une nécessité, un besoin que les poètes reprennent le flambeau pour parler de l’invisible, du silence de l’essentiel de la vie. Jean fait partie de cette famille avec ce livre qui vient parler de l’intérieur de mes sculptures. Je l’en remercie vivement pour cela.

Jean : François Cheng dont on connaît l’éloquence nous dit : « La beauté n'est pas un simple ornement. La beauté c'est un signe par lequel la création nous signifie que la vie a du sens ». Il nous reste donc à espérer que nos assemblages d’ornements, sculpture et poème, ne soient pas dépourvus de beauté et que cette forme de prière ne soit pas sans rapport avec le Créateur.


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