Rémy Aron : Stop au dirigisme artistique d’État !
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Rémy Aron, l’ancien président de la Maison des Artistes, lance une pétition : « Stop au dirigisme artistique d’État ! Pour un respect de la diversité ! » MN, qui n’hésite pas à critiquer l’art dit contemporain tout en montrant les artistes d’aujourd’hui, l’a rencontré pour mieux comprendre sa démarche et vous inviter à rejoindre les pétitionnaires.
MN : Rémy Aron, pourquoi lancer cette pétition aujourd’hui et maintenant ? Les scandales sont-ils plus importants, y-a-t-il une goutte d’eau qui a fait déborder le vase ? Ou simplement entrevoyez-vous une fenêtre de tir particulière en ces temps troublés pour faire bouger les lignes ?
Rémy Aron : En réalité cette pétition, même si je la porte sous mon nom, n’est pas une action personnelle, elle émane d’un groupe de critiques et professionnels de l’art et répond à des questions très anciennes déjà. Concernant la date de sortie de cette pétition, il nous a semblé qu’avec la crise des gilets jaunes, cette sorte de tremblement de terre « populaire », nous avions une opportunité de faire avancer des préoccupations latentes depuis des décennies. Actuellement, les choses sont bousculées sur le plan social, économique et politique, ce qui révèle une crise de nature très profonde, le tout sur fond de campagne pour les élections européennes. Nous croyons donc que c’est le bon moment pour mettre la question culturelle sur le devant de la scène. La question culturelle n’a cessé de reculer en Occident depuis la guerre de 14, avec des dates fatidiques comme l’abandon de la place de Paris en 1945, puis les tournants opérés en 1968 et 1981 et depuis, nous avons la prise en main de l’Etat culturel par une administration bienpensante qui met en avant les idées individuelles de progrès et d’avant-garde comme finalité unique de toute politique culturelle.
Vous parlez de la goutte d’eau qui fait déborder le vase, il y en a eu une me concernant. L’académie des beaux-arts s’est trouvée, par l’élection de deux membres, asservie à l’institution. J’étais président de la Maison des Artistes et j’ai démissionné car je ne pouvais pas parler de l’art contemporain institutionnel, de l’art officiel… Quand on pense que 97% des artistes dénoncent aujourd’hui cet art officiel défendu par une institution aux œillères d’acier ! Tout ce qui n’est pas officiel est banni, rejeté, nié aujourd’hui. Je tiens néanmoins à apporter une précision. La question n’est pas de rendre l’art « démocratique », de tomber dans un populisme quelconque, il peut y avoir une place pour l’art conceptuel, pour l’avant-garde mais pourquoi toute la place ? Cette pétition vise à dénoncer le fait que l’art conceptuel prenne toute la place et ce, par des procédés staliniens, des collusions de systèmes alors qu’il est facile de constater, si on s’y intéresse, que la création est éminemment multiple aujourd’hui.
Il y a une vision historiciste de l’art qui consiste à marquer un tournant avec Duchamp et à rejeter tout ce qui s’est fait avant et tout ce qui se fait différemment aujourd’hui. On veut nous faire croire qu’il y a un progrès dans l’art comme dans les autres domaines et que nous sommes arrivés à un stade où la peinture, par exemple, serait dépassée. Ce n’est pas parce que l’on hérite et que l’on transmet, ni parce qu’il y a évolution ou remises en question, que l’on peut dire qu’il y a progrès dans l’art. Tout œuvre d’art, même ancienne, est contemporain dans l’émotion qu’elle provoque sur celui qui la regarde aujourd’hui. L’art n’est pas de l’archéologie ! Les politiques culturelles menées en France, aussi bien en France territoriale, qu’à l’internationale via l’Institut Français, impose de façon stalinienne l’art officiel, l’art contemporain, qui ne reflète pas la diversité de la création. Il faut que cela cesse.
MN : Vous soulignez le fait que La France est, depuis quarante ans, l’Etat le plus interventionniste du monde en matière de création artistique. Avoir moins d’Etat sera-t-il suffisant pour garantir une plus grande diversité ? La financiarisation de l’art, sa transformation en monnaie virtuelle, n’est-elle pas à l’origine aujourd’hui de la standardisation de l’art dit contemporain ?
RA : Moins il y a d’art, plus le pouvoir du marché financier est important. C’est la raison pour laquelle on voit Pinault ou Arnault investir aujourd’hui. Dans la négation générale de la valeur des choses à laquelle nous assistons, la seule qui tienne, c’est le poids du Picasso ! La valeur du Picasso, présent dans tous les musées du monde, dans l’économie mondiale ne peut pas s’effondrer. En revanche, même si faire circuler un fichier numérique de Jeff Koons est très facile et permet de faire circuler des liquidités, dans un procédé semblable à celui du délit d’initié, cela ne garantit absolument rien en termes de valeur.
Au-delà des questions financières, des questions d’ordre philosophique se posent. Au moment où le fait religieux recule, que va devenir l’humanité si l’art disparait ? Le Louvre peut bien se vanter de sa fréquentation importante, c’est un leurre, il fait simplement partie des tours operators, le public reste une demi-heure et s’en va après avoir entrevu la Joconde derrière 3 000 personnes agglutinées devant. Tout ça est très compliqué, c’est la raison pour laquelle nous voulons commencer par ce qui nous semble simple : ouvrir le débat pour remettre en cause le dirigisme d’Etat en matière culturelle. Pourquoi en sommes-nous là ? Il faut essayer de trouver les mécanismes qui garantissent la diversité des choix, c’est tout. Et peu importe d’ailleurs si à cause de cette diversité, on se trompe en montrant des œuvres moins bonnes. La question n’est pas là. Le sujet est d’abord de favoriser le terreau de la diversité. De toute façon, l’histoire fera le tri, ce n’est pas une question de politique culturelle, le siècle retiendra une demi-douzaine d’artistes qui sortiront au final de ce terreau.
MN : Vous soulignez les conséquences du dirigisme d’Etat sur la formation elle-même : on n’apprend plus le dessin ou tout autre pratique dans les écoles d’art. Si la déconstruction pouvait avoir un souffle quand il y avait des choses construites, aujourd’hui elle n’est que la garantie pour le système de se maintenir. N’y a-t-il pas un projet plus global et plus totalitaire dans cette façon de diriger les arts, une volonté de domestiquer le peuple ?
RA : Savoir dessiner c’est apprendre à voir le monde, à regarder le monde, l’extérieur et également son propre intérieur. Selon moi, dans l’apprentissage, il reste deux pieds fondamentaux : les maîtres et la nature, qu’elle soit faite de paysages, de nus ou de natures mortes. Apprendre à dessiner passe par copier les maîtres, mais les copier ne signifie pas du tout les recopier, il s’agit simplement d’entrer dans leur langage un crayon à la main pour former la main, le goût et le regard. Dans l’apprentissage du dessin d’après nature que ce soit le nu, la nature ou la nature morte, il y a un apprentissage de l’espace, de la lumière, de la composition, de la cohérence, de la forme dans l’espace. Il y a le langage plastique qui s’apprend. L’art n’est pas recopier le réel, mais plutôt représenter l’émotion de l’artiste devant le réel, son combat.
Oui je dénonce aussi l’abandon de tout cet apprentissage. Cet abandon n’est pas le fruit d’un complot universel, c’est la conséquence logique de tout le dirigisme d’état en matière culturelle des choix imposés. Il y a eu aussi un glissement progressif qui s’est opéré depuis la guerre en Occident, avec la société de consommation, le grand marché financier et avec l’abandon par les artistes eux-mêmes des questions qui les concernent et des politiques culturelles.
MN : Vous vous adressez à l’Assemblée Nationale, c’est-à-dire aux représentants du peuple. Y-a-t-il dans votre démarche une volonté de décomplexer les citoyens, de leur redonner une légitimité dans leur appréciation de l’art ? Le dirigisme d’Etat a eu pour conséquence de détourner a minima et souvent d’écœurer le peuple. Ce dernier a tendance aujourd’hui à rejeter tout art au profit d’autres « divertissements ». Peut-on leur redonner le goût de l’art après tant d’année d’art conceptuel ?
RA : J’espère que l’on pourra réconcilier le public avec l’art et j’espère surtout qu’il n’est pas trop tard. Car je constate chez les jeunes générations une perte de conscience de ce qu’est réellement l’art. Ils vont à la FIAC comme à une foire du trône… Ils ne sont certes pas insensibles à l’art mais sont soumis aux codes du design. Il y a une partie de l’art contemporain qui entre très bien dans la décoration. Un beau tableau noir avec un beau canapé noir, c’est très joli. Ce n’est pas la même partie de la vie humaine qui est engagée que lorsque l’on contemple un Giacometti, etc. Parler d’art n’est pas suffisant, il faudrait plutôt parler de discipline artistique, car chaque discipline a son langage. On peut aimer Giacometti, Matisse ou Bonnard, sans avoir envie de les voir au-dessus de son canapé. Il y a toute une palette dans l’émotion donnée par une peinture. Dans cette pétition le but est que l’on cherche à ouvrir ce qui est un totalitarisme institutionnel sclérosant pour l’art, empoisonnant pour la France à l’étranger. C’est absurde et suicidaire !