La victoire sur l’oubli et la vérité du symbole
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La victoire sur l’oubli et la vérité du symbole
Notes sur le Saint-Esprit et la liberté humaine 3/4
Il n’est de liberté que de l’Esprit. Faut-il en conclure à une sorte de dualisme où l’asservissement serait le lot du corps et la liberté le caractère exclusif de l’Esprit ? Certes non. L’Esprit dans la sanctification et l’herméneutique (qui participent du Grand-Œuvre de la « splendeur » théologique) est le principe d’une liberté éprouvée et conquise dans le monde immanent. La liberté provient de l’Esprit. Chaque fois que nous manifestons notre liberté, c’est l’Esprit qui est venu pour sanctifier un acte, une pensée, un moment. L’Esprit-Saint sanctifie, c’est dire qu’il ôte l’acte, le pensée, le moment, de l’enchaînement chronologique fatal qui le conduit au néant pour lui conférer la dignité du Symbole.
L’Esprit-Saint, ambassadeur suprême, rétablit les relations diplomatiques entre le temporel et l’éternel, nécessaires au gouvernement de la divine Providence qui flambe dans l’interprétation, dans le buisson ardent de l’herméneutique. L’Esprit éveille la vérité du Symbole. Or en grec, la vérité se dit Aléthéia. La vérité, l’étymologie confirme l’expérience métaphysique, est victoire sur l’oubli.
Dire que la vérité n’existe pas équivaut à croire que l’oubli n’a jamais été et ne sera jamais vaincu. Vaincre l’oubli, c’est trouver le vrai, non dans son absoluité et sa totalité, dont l’entendement humain ne saurait se prévaloir, mais à chaque instant, en d’innombrables aspects. Le lieu commun de nos âges démoralisés : « il n’y a pas de vérité », que chacun va répétant, pour inepte qu’il soit, comme tous les lieux-communs, n’en constitue pas moins un obstacle au cheminement. Si rien n’est vrai, les recherches du beau et du bien deviennent également vaines et la médiocrité s’en trouve confortée, devenue soudain instance ultime du sens de l’histoire, sous les espèces du « dernier homme » qu’évoquait Nietzsche. Au demeurant, les lieux communs des modernes sont loin d’être aussi ingénus qu’ils se donnent. Chacun d’eux témoigne d’un interdit fondamental.
Le propre du monde moderne est de réfuter l’existence de ce qui menace son existence. Il est difficile de nier les œuvres, mais il est de bonne stratégie de nier l’invisible dont elle procède. Les œuvres existent ; on les répute difficiles ou élitistes pour en détourner le plus grand nombre qui n’a nul besoin de telles recommandations pour se contenter des productions les plus ineptes, et l’on travaille, dans le même temps, à persuader les rares heureux, qui, par leur déférence et leur attention, se rendent dignes des œuvres, qu’elles sont nées d’une illusion, d’un néant, et qu’adorer leur forme c’est adorer le néant et attester de l’inexistence de Dieu.
Certes, nous ne sommes pas de ceux qui réclament, pour étayer leur fidélité chancelante, une « preuve » de l’existence de Dieu. Si chaque instant advenu dans notre entendement comme splendeur et épiphanie n’est pas une preuve suffisante, à quoi bon tel ou tel raisonnement, toujours susceptible d’arguties ? Les matérialistes excellent à enfermer leurs adversaires dans une terminologie dont ils prétendent seuls détenir les clefs. Si les grandes œuvres, comme La Divine Comédie de Dante, méritent l’appellation de divines, c’est qu’elles naissent en des contrées où la splendeur des Principes n’est pas encore atténuée dans l’obscuration progressive de l’immanence.
Être à l’image de Dieu, c’est être unique. Lorsque ce Dieu, dont on ne peut rien dire de définitif en langage humain qui ne soit mensonger ou réducteur, sinon qu’il est Un, nous fait à son image, qu’est-ce à dire sinon que nous sommes uniques ? Le monothéisme, à cet égard, lorsqu’il ne s’emprisonne pas dans la représentation d’un Dieu jugeur, poursuit la haute sapience de Pythagore ou de Plotin. Chacun de nous est dissemblable de tous les autres. Toute pensée théologique, vouée à la recherche d’un Principe suprême est confrontée à cette évidence : les êtres se caractérisent par leur dissemblance. Ce qui les unit, leur point commun, est d’être uniques. La plupart des « mystères » théologiques où les modernes voient de « l’irrationnel » sont ainsi susceptibles d’être compris selon les exigences d’un bon sens que l’on pourrait dire doué d’une certaine plasticité. La prison terminologique où les modernes s’enferment et veulent enfermer les autres a pour particularité de faire de chaque mot la cellule d’un sens malheureux, auquel il est interdit de déambuler à l’air libre et de converser avec ses voisins.
Or les mots ne prennent sens que par la conversation, par leurs échanges toujours divers avec leurs voisins. Certes, ce serait faire preuve d’une farouche idolâtrie que de confondre le mot « Dieu » avec Dieu lui-même, d’y enclore un sens inamovible, que l’on récuse ou vénère, alors que ce mot pour vénérable et nécessaire qu’il soit, n’en jette pas moins ses vérités, ses éclats, selon la manière dont il advient dans une phrase et selon la logique de cette phrase parmi d’autres où elle repose ou déferle. Selon qu’il advient dans une prière ou dans un juron, le mot Dieu ne revêt pas, pour celui qui l’énonce la même signification. « Partout où tu te tournes est la Face de Dieu », disent les soufis. Cette omniprésence n’est pas une neutre, passive, mais une présence suscitée par l’attention.
On ne soulignera jamais assez l’importance de l’attention. Dieu se révèle au regard attentif. L’inattention nous éloigne de la considération de l’Un. Les êtres inattentifs, pour commencer, méconnaissent les dissemblances. Le sens des nuances n’est pas leur fort. La rudesse et la grossièreté de leurs perceptions leur interdisent de voir autre chose que le schématique et le quantitatif là où buissonnent et fleurissent la complexité et la qualité.
Plus nous sommes attentifs et mieux nous nous tenons à distance du fondamentalisme et du puritanisme qui emprisonnent dans leurs rets les âmes simplificatrices. Pour discerner dans tel aspect du monde, l’œuvre de l’Un, encore faut-il que nous sachions tourner vers lui notre regard à travers le multiple et lui consacrer l’attention qui lui est due. L’attention, si l’on prend garde à lui conserver toute acuité est consécration. Notre attention, lorsqu’elle n’est pas inquisitrice ou prédatrice, consacre l’objet qu’elle élit et dont elle révèle le secret d’unificence. « L’œil par lequel je vois Dieu et l’œil par lequel Dieu me voit sont un seul et même œil ».
