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Entretien avec Pierre Lamalattie

Entretien avec Pierre Lamalattie

Propos recueillis par Maximilien Friche

Maximilien Friche : Pierre Lamalattie, vous avez beaucoup écrit sur votre peinture, votre projet. Vous dites avoir fait le choix de la narration en peinture plutôt que de la poésie. Vous préférez donc raconter une histoire plutôt que d’amener à uniquement à contempler…

Pierre Lamalattie : Oui, tout à fait, je pense que tout ce qui est vraiment intéressant est lié à un récit. Je pourrais donner les exemples de la tragédie, du cinéma, … Au travers de ces créations, on refait passer des moments d’existence, on se remémore, j’aime l’image véhiculée par le verbe ruminé d’ailleurs. L’art nous permet d’y penser un peu plus… Avec la peinture j’offre des récits ou narrations non séquentiels. Ce ne sont pas forcément des récits au sens de la BD, mais au sens où le tableau est en rapport avec l’existence réelle. Je veux une peinture qui est en rapport avec le monde et avec nos vies, en ce sens je me distingue totalement d’une peinture abstraite détachée du monde, que je pourrais qualifier d’autocentrée, et au final vite ennuyeuse car coupée du monde. Ce n’est pas pour rien si le public de l’art contemporain reste mince, il n’y a aucun lien de cet art avec le monde.

MF : Vous confrontez dans vos représentations, le for intérieur et la vie moderne. Deux éléments qui parfois sembles non conciliables en art d’ailleurs. Peut-on y voir le projet d’actualiser une métaphysique par l’art, de la rendre présente au quotidien ? J’y vois aussi parfois la possibilité mythologie contemporaine, suis-je sur la bonne voie ?

PL : j’aime rappeler que littéralement, représenter signifie présenter à nouveau. Une peinture représente une scène, rend présente à nouveau une scène, parfois plusieurs scènes en même temps, une bribe de récit à chaque fois. Votre évocation de la mythologie est une piste intéressante, c’est vrai. C’est une spécificité de la peinture d’agencer, on compose, on met des éléments ensemble. Comme le font les rêves aussi. Et c’est vrai que certaines compositions font dialoguer des éléments qui ont une dimension symbolique, c’est ce qui fait sens et force.

Certes je représente des scènes de vie, toutefois la contemplation n’est pas absente. Je souhaite représenter un moment d’existence, un moment de relation du personnage et ce celui qui s’y identifie, avec le paysage, avec tous les éléments qui compensent le tableau. C’est dans ce deuxième temps que l’on en tire la nature, le suc. Je souhaite montrer ce que ressentent les protagonistes dans leur for intérieur de la scène représentée.

MF : l’art est-il l’arme idéal contre le nihilisme. Est-ce là votre projet ?

PL : Il y a eu une phase de domination du discours sur l’art. c’est toute la dérive quasi iconoclaste de la fin du XXème siècle et qui se prolonge encore maintenant. Dans l’exercice de philosophie, de performance intellectuelle, l’image disparait. Mais prenons le temps du recul et observons bien ce qui se passe notamment autour des performances d’art contemporain. Cette catégorie d’exercices intellectuels a toujours existé, cela correspondait notamment aux exercices spirituels des cyniques. On pense à l’histoire du poisson mort tenu en laisse, de la même façon au bloc de glace qui fait le tour de Mexico. Le souci de notre époque est que cette catégorie d’exercices intellectuels s’est appelé art, art contemporain. De fait, ces performances remplacent l’art et procèdent à l’éviction de l’art comme représentation. Je pense pour ma part que la poussée vers l’abstraction est un éloignement du monde. Et le remplacement de l’art par une catégorie d’exercices intellectuels est apparue comme une nouvelle étape de l’histoire de l’art, un progrès en quelques sorte. En tous cas, c’est le récit officiel qui a pour conséquences d’occulter toutes les autres expressions artistiques. Je ne sais si l’art est l’arme contre le nihilisme, mais il est vrai que l’art ne saurait être remplacé par une catégorie intellectuelle. C’est inacceptable.

MF : on discerne dans vos peintures une forme d’humour, de distance, d’ironie comme moteur de la narration.

PL : C’est la vérité qui fait rire. Mes peintures sont immédiatement compréhensibles et provoquent une espèce de choc immédiat, l’approfondissement vient après. Les scènes ordinaires dégagent à la fois un fond tragique et un aspect dérisoire, propre à toute vie humaine. Quelque chose d qui est pressenti se cristallise. Je ne me moque pas des autres. J’essaie d’avoir un mélange de satire et un certain sens du tragique, c’est ainsi que l’on représente en vérité, un simple moment de vie.

Il y a un déchirement entre l’idéal et l’incarnation, et on le perçoit dans la distance entre la vocation et la déception : ce que les gens aimeraient faire, et ce comment ils s’incarnent. Ce sentiment est encré en moi. J’ai ressenti très tôt l’envie de devenir peintre et je me suis heurté toute ma vie à de grandes difficultés. Le sujet des vocations contrariées m’est proche. Il se décline bien dans le rapport tragique/dérisoire.

MF : sur la première page de votre portfolio on peut lire : « au fond, ça ne me dérangerait pas d’être pris pour un peintre pompier » J’aimerais que vous m’en disiez davantage…

PL : Je m’amuse. Il y a aujourd’hui une ignorance complète de l’histoire de l’art, surtout de la partie la plus riche de celle-ci, à savoir le XIXème et le XXème siècle. Il est malheureusement occulté de bonne foi à cause du fameux récit de l’histoire de l’art sous forme de progrès. Plus les gens sont cultivés, moins ils sont ouverts sur ces périodes, quelle ironie et quelle absurdité ! Il y a une urgence à redécouvrir l’histoire de l’art dans toutes ses composantes, retrouver la possibilité de s’émerveiller comme de se scandaliser. Pour ma part, je suis autodidacte, donc pas académique, mais comme je suis figuratif et donc comme à rebours de notre temps, je pousse la provocation jusqu’au bout en aspirant à être assimilé aux maîtres académiques rejetés par l’histoire officielle.

MF : Vous qui aimez jouer avec les degrés de lecture dans vos peintures, avec les mots aussi, si nous évoquions maintenant l’enfance de l’art…

PL : J’étais l’enfant unique de parents soucieux presque uniquement des études et de ma bonne santé. J’ai vite ressenti ennui et solitude. Et il m’est apparu que la peinture était le supplément d’âme qui pouvait m’écouter. Ma grand-mère m’a amené aux musées et c’est la lecture des albums du père Castor que je regardais pendant des heures qui a provoqué chez moi l’envie de dessiner, d’illustrer, de représenter des scènes. L’illustration m’est apparue comme une préparation mentale et cela provoquait chez moi la même transformation de mon être que celle opérée par le roman. C’était comme si l’illustration me préparait à voir le monde différemment. J’ai appris que l’artiste qui avait fait cet album était un Russe qui appartenait à un mouvement d’avant octobre. Au-delà de ces albums, il avait réalisé plein de dessins, puis un carnet de guerre de l’armée blanche. Il a transformé ma vision de la nature. Je donnerais toute l’œuvre de Picasso pour un album du père castor. J’aime l’idée de continuité entre la peinture académique et l’illustration à vocation populaire. Ce genre d’artiste ne se retrouve ni dans les musées ni dans l’histoire de l’art. Pour ma part, j’ai fait agro, mes parents voulaient que je devienne ingénieur, travail respectable. Et aujourd’hui, je peins et j’écris aussi, notamment des romans. J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire des romans car les retours sont plus nombreux que dans le monde de l’art où les gens sont plus inhibés.

Plus d’infos ici : https://lamalattie.com/


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