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Modifié par Dantec, sauvé par Dantec

Modifié par Dantec, sauvé par Dantec

Par  

Maurice G Dantec est mort. C’était possible, nous le savions, car cet homme avait tout écrit, il pouvait dire ayant achevé d’écrire son ultime pavé, tout est achevé. Heureux homme qui meurt le travail accompli, certain qu’il ne s’est pas économisé, qu’il a fait de toute sa chair du verbe, qu’il a livré comme une gigantesque gargouille punk tout ce qui l’a traversé.

 

Une somme cosmologique, une arche littéraire

J’ai tout lu de Dantec. Quand je dis j’ai tout lu, c’est un peu court. Car en lisant Dantec, on accède à une bibliothèque. Il s’agit du contraire de la bibliothèque de l’autodidacte de La nausée, ce n’est pas une bibliothèque académique classée de A à Z qui nous est livrée. C’est une bibliothèque de l’urgence, une bibliothèque de combat, une arche pour sauver ceux qui peuvent être sauvés. En lisant, on sait que l’on monte dans l’arche. Tout comme Saint Thomas qui voulut avec sa somme donner l’essentiel à savoir sur la foi, Dantec nous livra l’essentiel à lire dans les œuvres de l’homme. Grâce à lui, j’ai lu Bloy, Joseph de Maistre, Raymond Abellio, bien sûr K Dick… Grâce à lui, également, je me suis relié à RING et par ailleurs à des paumés comme moi qui ne savaient que faire avec leur crise métaphysique et qui décidèrent d’en faire du verbe, une prière dissimulée.

 

Son père est à l’œuvre et Dantec est à l’œuvre

J’écris cet hommage en étant certain de répéter des propos déjà distribués dans des recensions précédentes, mais peu importe. Si je me répète, c’est bon signe. J’enfonce un clou. Si Dantec a marqué toute une génération, c’est que tout est sacrificiel dans l’écriture de Dantec, chaque élément de son écriture est la marque de son sacrifice. Il a reçu le don de l’écriture, alors il écrit. Même si c’est laborieux. Son père est à l’œuvre et Dantec est à l’œuvre. Il aligne les pages, les livres avec une puissance fascinante, la multiplication de ces pavés de minimum 400 pages a toujours été la manifestation de l’urgence. Il y avait urgence à écrire, à bâtir l’arche pour les quelques zombies métaphysiques incapables d’être incorporés au corps social postmoderne. L’écriture de Dantec n’a jamais été fluide, légère, elle n’a jamais eu la marque du grand style qui manie poésie, précision au fleuret moucheté, ellipses, ironie, etc. Comme il y a urgence, un marteau pilon, bien que non nécessaire, est tout aussi efficace pour tuer une mouche.

 

Dans la boîte noire du Verbe

Dantec fut souvent pénible à lire, il y avait une certaine âpreté de la phrase brute. Dantec fut décourageant pour tous ceux qui n’avaient pas la force de monter dans l’arche. Il faut dire qu’il fallait les tenir ces volumes. Impossible à lire dans son lit. Il fallait lire debout, la ceinture au rein, prêt à partir pour l’exode, pour l’exil, au Québec, sur la lune, au-delà… Dantec fut presque illisible aussi. Il le devint de plus en plus. « On ne comprend plus ce que vous dites, Maurice, l’imaginaire du lecteur peine à se raccrocher… » C’est que Dantec se mettait à parler dans une novlangue comme les saints parlent en langue. Je pouvais déplorer que l’imaginaire du lecteur ne puisse plus se fixer, j’étais alors dans le monde des lettres et non dans le monde de l’être… Lui était dedans, il n’a jamais été un narrateur singeant Dieu, jamais il n’a été démiurgique dans son écriture. Il était dedans. Dans la boîte noire retrouvée cabossée mais quasiment intacte après le crash du Verbe, c'est-à-dire dans Dieu fait cadavre. Il débite la passion à rebours, de façon un peu brouillonne, un peu digitale, à très haut débit. Ce n’est pas Dantec qui est brouillon, c’est la façon que j’ai de le télécharger qui manque de performance. L’ellipse littéraire est remplacée par une technique de compression de la phrase, du texte, pour augmenter encore le nombre d’informations pouvant s’inscrire dans le crâne des lecteurs, des élus.

 

Bâtir sur le mal pour finir par flirter avec l’Espérance

Et dans la boîte noire du Verbe, il y a tout. Tout y est incorporé, le Cosmos. D’où lui venait cette intuition d’avoir tout compris, d’avoir compris cette matrice dans laquelle habituellement nous nous sentons piégés. C’est qu’il s’est infiltré comme un virus dormant à l’intérieur du code divin. C’est là son don tout particulier. Il ne pouvait que morfler. Prophète du code… Il savait qu’il ne pourrait pas sortir du code après nous l’avoir livré. Son au-delà est un au-dedans. Il ne se regardait pas écrire, il nous regardait, nous le monde, il nous regardait depuis l’acte d’écrire. Cet acte qui était son être. Lorsque je co-animais le cercle des lecteurs de Dantec avec Gaël Giovanelli, nous disions avec emphase et théâtralité, la simple vérité. Il y avait quelque chose de religieux dans sa façon de nous relier les uns aux autres, de faire de nous le carburant nécessaire à son écriture, c'est à dire son combat.

Ecriture de combat. Il s’agissait de léguer aux hommes de quoi se relier pour les siècles qui nous restaient à combattre le mal. Le mal, il le connaissait parfaitement. Ce fut le point de départ de son écriture, la pierre d’angle sur laquelle il a écrit son œuvre. Le mal absolu bien sûr, le mal totalitaire, celui qui fait de nous des terrorisés, c'est-à-dire celui qui nous ôte toute possibilité d’expression de l’âme. Ce mal est un mal tourné sur lui-même, un mal qui s’emballe comme deux miroirs qui se font face, c’est l’abattoir en téléréalité ! Lui qui avait l’intuition du code du Verbe, lui qui avait percé le mystère du mal absolu, l’espérance lui était-elle permise ? A le lire, nous avons peiné, nous sommes rentrés en compassion pour cette âme d’écrivain qui semblait n’avoir connu que la nuit de l’espérance. Catholique du futur était son slogan comme un SOS, catholique de la résurrection pour lui qui est dans la boîte noire de Dieu fait cadavre. Cette Espérance, nous l’avons vue poindre ici et là, et particulièrement dans Satellite Sisters, il y avait une réconciliation possible par delà le monde. Par son approche de l’incarnation et de la transfiguration dans Les résidents, Dantec a montré qu’il était maintenant sur l’autre rive. Il avait écrit le mal et la réversibilité, il avait laissé poindre l’Espérance, il se plaisait désormais à jouer avec son corps glorieux que sont ses livres. Dantec n’est pas mort, il pourrait dire comme dans Les résidents : «J’étais ailleurs. Ou pour être scientifiquement exact : j’étais plus tard. Mais j’étais aussi avant. » (p 497)

 

Assumer l’héritage…

Pourquoi dire tout ça ? j’ai déjà dû le dire dans des recensions différentes, dans des discours datés. Je me répète, je rabâche des choses déjà dites avec plus de précisions. Je le dis pour me souvenir. Nous avons un héritage ! Nous avons quelques 6000 pages d’héritage et sa bibliothèque. Dantec doit devenir, maintenant qu’il n’écrira plus, le livre de pèlerinage. Nous qui avons été choisis pour l’arche, nous qui avons été modifiés par Dantec, il nous reste à être fidèles à cette somme de littérature cosmologique qu’il nous a laissée.


Dantec, les résidents
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Les sœurs de l’Espérance – Dantec
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Pourquoi tu lis Dantec ?
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