Tantièmes : un roman d’anticipation à nos portes

Avec Tantièmes, un monde sanspuss, Jean-Pierre Noté nous offre un thriller numérique d’une grande efficacité. Et autant le dire tout de suite, nous attendons avec impatience son adaptation à Hollywood. Si le frisson est immédiat et permanent jusqu’à la fin du livre, c’est que l’on sent tellement que tout ça est possible. Ça ? Oui, la domination du monde par le maître d’un empire numérique grâce à l’intelligence artificielle. Pour ce faire, la solution est bien évidemment de s’approprier les langues du monde. Depuis Orwell, on sait que le langage est le refuge ultime de la liberté de l’homme. Pour convaincre tout le monde de l’intérêt de posséder les langues, il suffit comme toujours de proposer des lendemains qui chantent : c’est quand même extraordinaire de dépasser la barrière de la langue et d’offrir la culture et l’éducation à tous par-delà toutes les frontières visibles ou invisibles ! Pour Mike Konakis, dit 3K, la solution est d’affilier sa bien nommée entreprise de Babel à une pépite toulousaine, championne de l’IA en France, Time Expert, dirigée par la brillante Aline. Aline aime relever les défis, c’est une wineuse. La vie n’est pour elle qu’une succession de business plan, elle va donc déchanter ! Et le projet se traduit par l’idée qui nous parait d’abord impensable, puis effrayante, puis tout à fait réaliste, de convaincre le gouvernement français de leur vendre l’Académie française.

Le grain de sable dans tout ça, s’appelle Simon. Il possède la loge de gardien du prestigieux hôtel particulier toulousain du Vieux Raisin. Il ne possède que quelques tantièmes et résiste sans faillir à toutes les tentatives d’intimidation et d’achat de sa voisine qui possède tout le reste. Peu à peu, ce couple aux antipodes va se rapprocher et Simon va devenir comme la conscience externe d’Aline, son Jiminy Cricket. Simon est prof de lettres, hermétique à la numérisation de la vie, à la réduction des rapports à la circulation de données, à la réduction de l’être à un algorithme. Il refuse donc d’alimenter le monstre qui va les perdre. Il commence par fournir son appui dialectique dans le projet d’Aline de mettre la main sur l’Académie, avant que leurs chemins ne se séparent devant les avancées de l’ogre Babel qui invente une puce à se greffer proche du cerveau pour avoir accès à tout en un clin d’œil. Aline reste confiante dans son business plan et dans les lendemains qui chantent qui se réalisent sous nos yeux : le dictateur coréen a renoncé au pouvoir ! Simon la gêne avec ses reproches. « Le doute c’était l’ennemi. Simon était porteur de doute. »

Et Jean-Pierre Noté nous décrit parfaitement les évolutions d’Aline, le travail de sa conscience, son retournement. « Babel pouvait aussi dériver vers un monde orwellien. Aline pensa qu’à l’avenir elle ne pourrait plus fuir la réflexion politique. » Nous sommes tenus en haleine. On y croise tous les académiciens et notamment l’insurgé Alain Kalifkruntel qui a les traits de Finkielkraut. Ce qui va se jouer devant nous est non pas une guerre des mondes, mais une guerre des Intelligences Artificielles entre elles, les algorithmes s’entrechoquent, le réel est une vue de l’esprit. L’enjeu est l’existence d’un monde libre maintenant que « nous avons créé le démiurge. », comme le souligne le Finkielkraut de service. Si la manipulation à l’échelle globale est prouvée, la question posée par des millions d’êtres qui se réveillent et refusent de se greffer une puce est : un monde sanspuss est-il possible ? Les deux camps sont-ils à armes égales ? L’intelligence humaine peut-elle continuer d’avoir le dessus ? Allo la terre, un roman bestseller mondial, sans auteur, arrive en premier titiller BABEL et défier l’empire 3K par la technique de l’arroseur arrosé. Le salut de l’humanité, d’un monde libre ne tiendrait-il qu’à cette capacité narrative contenue dans l’ironie du sort ?

Ce livre d’anticipation de Jean-Pierre Noté nous laisse forcément inquiets, tant cet avenir semble à nos portes, déjà là. Et il me vient à songer que l’élimination de tous les Elon Musk de la Terre serait peut-être encore le meilleur moyen de garantir la survie de l’espèce non augmentée, c’est à dire souveraine. Nous refermons Tantièmes en nourrissant la folle Espérance d’un monde libre, d’êtres libres capables de s’attacher les uns aux autres sans recours aux puces.

Tantièmes, un monde sanspuss, roman de Jean-Pierre Noté, Az’art atelier éditions, 206 pages, 20€

‌Publié une première fois dans le Bien Commun