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Animal de compagnie

Animal de compagnie

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Finalement, ce ne doit être pas si mal de vivre avec un animal de compagnie. Une présence, un guetteur. Faut pas me plaindre, j’ai déjà une araignée dans le coin sur la plinthe. Ses pièges comme les plus beaux textes sont d’une étrange splendeur. Rien de plus beau qu’un piège ! Sinon comment tomberait-on amoureux ? J’aime bien les araignées. Grâce aux dictons, on entre en dialogue. Araignée du matin, araignée du soir… araignée du midi ? Un horoscope à pattes. Espoir et chagrin encadrent mes nuits. Je dors sans rêver, c’est pratique de ne pas exister pendant aussi longtemps. Je n’ai pas que la prédatrice d’ailleurs. Je n’ai vraiment pas à me plaindre, je suis loin d’être seul. L’autre soir, me couchant tard, j’ai entendu des souris dans les boiseries, un concert de claquettes. Non seulement, je me sens moins seul, mais en plus je n’ai pas à m’en occuper comme tous ces gros lourds qui sortent le chien pour fuir leur bonne femme à la tombée de la nuit. Il doit bien y avoir un autre moyen de fuir un temps la domesticité que de s’attacher en laisse au canidé ! Habiter un château bien vaste me semble préférable par exemple, les oubliettes sont idéales. Deux trois souris, une araignée, ça peut me suffire pour ne pas mourir dans l’indifférence la plus totale. Mon chevet sera au complet. Avec les acariens allergènes, les petites bêtes seront aux premières loges.

Faut que je pense à planquer mes cahiers, cacher mes pattes de mouches, enfouir tous mes écrits. Sinon, personne ne les cherchera. La quête seule procure de la valeur au trésor. Mon amour. Je te mets sur la piste et te laisse te débrouiller. Ça te va ? Les mots de passe ne sont pas si compliqués. Cherche mon amour, cherche-moi, sous les lattes, dans la boîte, entre les planches. Creuse, mon amour. Fouille, fais-moi les poches. Je ne bouge pas. Profites-en. Ce n’est pas tous les jours que je fais le mort. Je me répands tellement partout au quotidien à vomir mes mots mis ensemble.
Une araignée m’attend depuis son coin, l’angle mort. Les souris mènent leur petite vie. Chacun sa place forte. Je ne bouge plus de mon lit. Voilà ma barque. Il faudrait quelqu’un pour la pousser au large, que j’aille larguer l’âme à l’horizon. Comme un indien. Comme personne. Je sais qu’il me faudrait préférer qu’on m’oublie. Mais j’ai tellement connu d’échecs ici-bas que j’aimerais avoir ma revanche à mon trépas, me réconcilier avec les vivants et d’abord en premier lieu avec celle que j’aime. Ce n’est pas compliqué, je lui demande juste de me lire.

Mes acariens ne savent pas lire. Mes souris se grignotent mes livres. Les araignées n’aiment pas lire, elles ont choisi leur camp, elles font comme moi, elles tissent. Reste que toi. Tu vois, pas le choix. Je ne te demande pas de t’occuper de mes petites bêtes. Tu peux même les mettre dans la même barque que moi, l’arche sous terre. Mais toutes mes phrases, je veux les laisser en surface. Tu pourrais d’ailleurs t’y vautrer si tu veux. Un lit de mots peut être douillet.

Quelle heure est-il ? L’heure de dormir sans doute. La preuve, je commence à ne plus exister. Même si j’ai le nez qui coule à cause des acariens. Dans son coin, l’araignée a presque fini son roman. Mais aucune mouche ne s’est laissé prendre. Les souris bouffent mes papiers planqués sous le plancher. Je gis ici sur mon lit. Personne ne pousse ma barque. Mon âme ne gagnera pas l’horizon. Et le ciel ? Il y a un plafond de plâtre blanc. Pas si haut. La boîte a toujours existé. J’ai toujours été contenu. Je ne vais pas pouvoir m’en sortir.

Autant dormir, on verra bien demain où en sont les choses, les petites bêtes, et ma tête. Je reprendrai mon plan pour écrire et mourir, te laisser lire et partir. Je redéfinirai ma stratégie pour disparaitre au profit des lettres qui te sont destinées. Le plancher n’est peut-être pas la meilleure planque pour mon trésor. Le lit n’est peut-être pas la meilleure barque pour prendre le large. Mes petites bêtes ne sont peut-être pas les meilleures amis de l’homme.


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