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Joachim van der Vlugt entre construction et déconstruction

Joachim van der Vlugt entre construction et déconstruction

Par  
Propos recueillis par Maximilien Friche

En complément de la chronique Rue des Beaux-arts dans l’Incorrect de mars 2022 (https://lincorrect.org/le-chaos-orchestre-de-van-der-vlugt-lincorrect/)

MF : Votre peinture semble nous plonger en pleine Renaissance tout en nous projetant au-delà de notre temps avec audace. Comment s’articule contemporanéité et histoire de la peinture dans vos tableaux ?

JVV : le lien entre les contemporanéité et tradition, c’est la technique de peinture que j’utilise et qui était utilisée déjà dans le XVIème et XVIIème siècle, surtout dans l’art flamand. Les néerlandais utilisaient beaucoup le classique de superposition de couches pour pouvoir travailler la lumière. C’est une technique que j’utilise toujours à ce jour et que je développe. A un moment, je me suis dit, plutôt que de mettre tout ce travail au service d’une image, pourquoi ne pas faire témoin du processus en lui-même et j’ai donc commencé à décaler les images, à laisser des endroits plus bruts, tandis que d’autres étaient très travaillés. Mes peintures ont donc évolué vers une forme à part, entre la géométrie et le geste fait de couleur.

C’est ainsi que nous trouvons d’une part quelque chose d’extrêmement construit, humain, artificiel et qui fait relation avec une pensée, une culture, et de l’autre ces structures aléatoires parfois violentes, rapides, et toujours non réfléchies. C’est devenu mon créneau d’alterner entre quelque chose de raisonné et quelque chose de ressenti. Il y a une opposition philosophique entre la culture et la nature, entre quelque chose de violent et d’aléatoire et quelque chose de contrôlé et de réfléchi. Et je m’y retrouve moi-même dans cette opposition, c’est sans doute mon caractère. En accumulant les couches, je me garde la possibilité d’intervenir dans le tableau ultérieurement. Je peux ne pas planifier mon travail et me laisser aller, me laisser mener par le tableau lui-même. Je provoque ainsi une coïncidence. Il fallait me libérer de la peinture très planifiée, très précise d’où je viens. Rester ouvert à ce qui arrive. Rester à flot, dans l’incertitude.

MF : J’ai le sentiment à regarder vos toiles qu’il y a comme un travail autour de l’usure, de l’oxydation, de l’altération…. Etes-vous à la recherche de l’épreuve du temps sur l’œuvre, ce point de bascule où l’usure permet d’atteindre un point de grâce ?

JVV : je travaille pendant des mois sur mes grands tableaux, le temps est donc très important. Le tableau incorpore donc le temps de la création. Le spectateur peut reconstruire les étapes. Grâce à la superposition de couches, on peut retrouver un équilibre entre construction et déconstruction, entre vie et mort. Ma peinture est très classique en ce qui concerne le matériau : peinture à l’huile. Avec les superpositions de couches, on peut gratter et poncer et faire ressortir des choses enfouies qu’on avait presque oubliées, un peu comme en archéologie. Comme ces touches sont très liquides, très transparentes, elles laissent donc visible tout ce qui a été fait avant, les couches précédentes, tout en intensifiant les couleurs. Nous sommes comme en face de deux diapositives qui se superposent. Cela crée comme une sorte espace entre les deux couches, et confère une profondeur au tableau. Les pigments sortent énormément avec puissance. Avec une technique globalement simple, on obtient toujours quelque chose de différent, même si on reste dans un même thème ou un même schéma de couleur.

MF : Revenons aux formes géométriques que l’on trouve dans vos paysages. Cette modernité géométrique semble arriver par-dessus le reste. Quel est le rôle de ces formes géométriques ?

JVV : Au contraire ! La couche géométrique est présente dès le début, et je peins les deux en alternance, une couche géométrique, une couche de peinture classique. C’est ainsi que ces formes font vraiment partie intégrante du tableau. C’est ma façon de construire les tableaux

MF : Nous contemplons longuement et lentement et le regard ne cesse de découvrir davantage… Le regard chemine d’une transparence à une autre. Et on finit par s’y perdre, par entrer en profondeur. Le tableau ne cesse de se renouveler, nous découvrons ainsi petit à petit ce qui était déjà là.

JVV : Oui, c’est le sens de l’archéologie. Plus on regarde plus on plonge et on découvre certaines choses, cela apparait également en fonction de la lumière du jour. Il y a beaucoup de vie dans mes tableaux. Avec ce système d’alternance, j’ai pu éliminer tout ce qui est narration dans, je voulais juste proposer un voyage émotionnel, qu’il n’y ait plus besoin de chercher ce que signifie tel ou tel tableau, plus besoin d’emmener le spectateur par la main pour lui raconter une histoire. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai quitté le figuratif. Je voulais plutôt proposer un voyage à la recherche de moi-même, de l’être. Le tableau en soi n’est presque pas important en tant que produit fini, je souhaite davantage rendre compte d’un voyage que le peintre lui-même a fait, d’une suite d’étapes de travail, d’un protocole.

MF : Si nous ne sommes pas dans la narration, et encore moins dans le domaine de la thèse, c’est donc que nous sommes en poésie ? Vous avez abandonné la représentation des visages au profit de paysages parfois de plus en plus abstrait, cette évolution s’inscrit-elle dans votre projet poétique ?

JVV : Peut-être oui. Cela dépend de celui qui regarde. Je suis à moitié néerlandais et à moitié allemand et donc ces deux cultures cohabitent en mois, d’un côté la construction allemande plus stricte et plus réfléchie, et de l’autre quelque chose de plus aventurier et ressenti du côté de la peinture flamande. Et je fais le pont entre ces deux extrêmes dans ma peinture. Je me consacre essentiellement au paysage désormais c’est vrai. Les visages apparaissent en citation encore quelque fois, il y a quelques madones qui évoquent le XVème siècle italien le baroque néerlandais. J’aime parfois citer quelques éléments de l’histoire de l’art. Mais les tableaux les plus récents sont plus abstraits.

MF : Comment diriez-vous que vous vous positionnez dans l’histoire de l’art. Quel héritier êtes-vous ?

JVV : Ce n’est pas une chose à laquelle je pense. A notre époque, les images sont produites avec une grande facilité, en très grand nombre, et nous nous trouvons totalement submergés par l’image. Le fait de rester sur une seule image très longtemps, comme un mantra, dans un exercice de méditation permet d’échapper au brouhaha. On travaille et retravaille indéfiniment et à un certain moment le tableau a sa propre vie, il vous a échappé. J’utilise une technique ancienne car cela me permet d’exercer ce que j’ai en tête. Mais je ne me sens pas héritier. Je préfère dire que j’ai une vraie affinité avec cette peinture-là. Beaucoup me disent héritier et je le comprends. Je suis né au Luxembourg et je vis au Luxembourg et les Pays-Bas sont le lieu d’une forme de nostalgie pour moi. Mes parents étaient collectionneurs d’art et beaucoup de peintres contemporains néerlandais ont été invités chez moi. Enfant, j’ai été confrontés à cet import de gens qui étaient de vrais héritiers de la peinture flamande. Cela m’a marqué et j’ai mis longtemps à m’en défaire. Mon but était de m’en défaire et de trouver ma propre langue sans briser les liens émotionnels.

MF : Vous employez vous-même l’expression de chaos orchestré pour qualifier votre travail…

JVV : Au début je commence à peindre sans idée préconçue, j’aime mettre de la matière sur la toile, de la couleur et en retravaillant, des choses évoluent et apparaissent. A partir d’une cacophonie, je finis par donner un peu d’ordre, c’est aussi le rôle de la géométrie de donner une structure, une direction, une dynamique. C’est à partir de là qu’il faut comprendre le mot orchestré.

MF : Vos teintes sont des couleurs cassées qui rappellent la terre et le ciel, encore un tiraillement et une harmonie ?

JVV : Cela correspond à un certain minimaliste. Les images qui nous inondent sont tellement criardes et violentes par l’intensité des couleurs, que pour y échapper il nous faut nous réfugier dans des teintes plus subtiles. Je suis quelqu’un de calme et discret. Je cherche une ambiance un peu romantique finalement. Je fuis la violence. Il y a tellement d’informations dans mes œuvres que si je devais ajouter des couleurs vives, cela deviendrait insupportable.

MF : Ça les rendrait plus éphémères, vos choix des teintes nous laissent penser que cela peut durer plus longtemps, une éternité.

JVV : Il y a comme une mémoire collective culturelle lié au musée, et de façon inconsciente on fait des liens qui évoquent la durée. Je n’ai pas la tête tournée vers l’histoire, je développe mon propre langage qui est éminemment contemporain, à la fois un langage poétique intemporel et une peinture neuve.


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