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Marc Dailly entre ombres et lumières

Marc Dailly entre ombres et lumières

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Propos recueillis par Maximilien Friche

Mauvaise Nouvelle : Vos peintures m’ont immédiatement rappelé une phrase de Nicolas de Staël : « L’espace pictural est un mur, mais tous les oiseaux du monde y volent librement, à toutes profondeurs. » Vous semblez à la fois faire émerger et baigner certains personnages dans la peinture, la matière de la couleur. Comment s’articule selon vous ce doux équilibre entre ce qui fait émerger et ce qui lie dans le même « mortier » ?

Marc Dailly : Nicolas de Staël a raison, l’espace pictural est en effet celui de tous les possibles, ce qui est à la fois totalement réjouissant et angoissant. Plus techniquement, il me semble que ce qui crée la profondeur dans la peinture c’est avant tout l’alternance d’ombres et de lumières… Ce sont les différentes valeurs de couleur en aplats ou dégradés successifs qui créent l’espace et de là peuvent émerger les personnages. C’est cet équilibre entre les valeurs qui donnera sa justesse au tableau.

MN : La peinture est la création et la projection d’un monde en deux dimensions. La 3ème dimension est-elle un leurre en peinture ? Doit-on y renoncer pour être dans la vérité de son art et ne pas tromper l’œil de celui qui veut contempler ?

MD : La troisième dimension est, bien sûr, un leurre mais, je ne pense pas que ce soit une raison pour y renoncer (autant ne pas peindre), bien au contraire, ce serait dommage de ne pas jouer de cette « illusion ». Même chez Mark Rothko, il y a de la profondeur, certaines couleurs de par leurs valeurs et leurs tonalités semblent plus ou moins proches du spectateur. Le jeu est d’ailleurs de tromper, la vérité artistique est ailleurs, je pense qu’elle est plus spécifiquement liée à la sincérité de la démarche artistique et il me semble même parfois que cette « vérité » échappe à son créateur.

MN : Les personnages de vos tableaux sont les points d’équilibre, de convergence. Ils semblent néanmoins faire partie du décor. Ils sont comme saisis (immortalisés ?) comme un regard furtif pourrait le faire. C’est comme si on avait cru voir quelque chose et que, se retournant, il n’y avait plus rien, il resterait la peinture pour se souvenir. Ce sont des instants volés. Volés à qui ? Aux personnages eux-mêmes ? Au temps qui file ?

MD : Si mes personnages semblent faire partie du décor comme vous dîtes, c’est, peut-être, (et je ne sais pas si j’y parviens) parce que j’aimerais qu’ils aient la même importance, la même « contenance » qu’un objet. J’ai souvent pensé qu’il fallait peindre les individus comme on peint des objets inanimés, comme le ferai un Euan Uglow par exemple, sans se poser d’autres problématiques que celles de la justesse des formes et des couleurs. Mais vous avez raison, je pense, de parler de point d’équilibre ; j’ai, malgré tout, toujours eu du mal à me passer de personnages, ils sont un bon prétexte à la peinture et à sa narration. Ces instants volés, comme vous dites, le sont plutôt, je pense, à la beauté de l’instant.

MN : La lumière de vos tableaux semble parfois avoir du mal à percer l’intérieur. Il est vrai que l’ombre assimile, lie les choses entre elles. L’ombre vous fascine-t-elle ? Est-ce une façon pour le peintre d’apprivoiser la lumière pour mieux jouer avec la couleur et sa matière ?

MD : Oui, l’ombre me fascine, elle a, pour moi, cette vertu ; il est plus facile de partir de l’obscurité pour faire naître la lumière que l’inverse. J’aime habiter l’ombre, faire naître en elle, ça et là, des éléments du décor qu’ils soient identifiables ou non d’ailleurs…

MN : On voit dans vos peintures une large majorité d’intérieurs. Peu de tableaux sont en extérieur. Et quand ils sont en extérieur, on retrouve l’ombre, l’automne, la lumière éteinte. Au-delà de la lumière, avez-vous besoin de murs pour que des « oiseaux du monde y volent librement ; à toutes profondeurs » ? L’intérieur vous offre-t-il la toile qui préexiste à la toile que vous allez peindre ? Est-ce l’ordonnancement des choses et des personnages, les dimensions, les bornes des intérieurs qui vous suggèrent immédiatement le tableau, le préfigurent ?

MD : Actuellement, c’est vrai que les intérieurs m’inspirent d’avantage, ils sont le théâtre de la vie quotidienne et des solitudes. Edouard Vuillard, notamment, les a racontés selon moi, mieux que personne ; il est, tout particulièrement, parvenu à dissimuler les personnages dans l’espace intérieur comme un animal dans son milieu naturel par mimétisme… L’intérieur et les tablées sont des sources inépuisables d’inspiration ; les objets qui y figurent, s’ordonnent comme les éléments d’un paysage d’où émerge le personnage.

Le sujet est parfois un prétexte à la peinture, il devient un cadre pour la création, l’expression picturale elle-même, le jeu de la matière sur le support, des sombres et des clairs pour dire la profondeur.

Pour aller plus loin : http://daillymarc.ultra-book.com/


Sérénissime promenade
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La mémoire longue (entretien avec G. Engelvin) 4
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