Sérénissime promenade
Art contemporain Mauvaise Nouvelle https://www.mauvaisenouvelle.fr 600 300 https://www.mauvaisenouvelle.fr/img/logo.pngSérénissime promenade
La brume se dissipait, doucement, lentement comme la fin d'un menuet. Le silence des pierres, les fins sons des clapotis contre les façades des palais.
Comme une fumée d'un délicieux cigare, un doux parfum remplissait mes narines et mes poumons. Mes sens étaient dès lors en éveil, en réveil par ce matin de mars. J'accostais face à cette dentelle de pierres. Les roses et blancs s'offraient à moi comme des bonbons au sucre délicat prêts à flatter le gourmet que je suis. Palais des Doges disait on. Qui étaient ces hommes de pouvoir à la coiffe si singulière ? Tel un crâne avec une excroissance. Pourtant une entière puissance était détenue par le Doge et cette cité lacustre. La corne ducale appuyait ce pouvoir méditerranéen. Je posais mes pattes sur ces pierres grises, face à ce palais majestueux. Sa masse flottait sur de fines colonnes. Parallélépipède accueillant, montrant au premier regard toute la force et la fragilité d'une cité république.
Je levais la tête. Deux colonnes se dressaient fièrement tel un portique, un passage pour pénétrer officiellement et majestueusement dans la ville des villes.
J'avançais, timidement, moi le félin. Étrange impression d'être sous le joug d'une force apaisante. Je marchais, je faisais le tour de cette grande place où l'ordonnancement des façades des bâtiments qui la cernaient offrait une grande vision d'harmonie et d'ordre. Notions d'un autre temps, celui où le dessin d'une ville accompagnait son destin et sa grandeur.
J'étais à l'ombre de cette érection architecturale : le campanile. Puissance phallique, puissance des hommes, puissance des marchands armés de leurs innombrables navires. Le Bucentaure quand a lui paradait fièrement sous les ordres de son capitaine-Doge pour les grandes célébrations. Images de puissances diverses qui siéent bien à l'idée de force et de règne que je symbolise.
Passant la porte de l'horloge où l'or et le bleu formaient un diptyque chromatique royal et catholique, je découvrais d'étroites rues ombragées.
Je commençais à me perdre volontairement dans ce labyrinthe de pierres. Dédale en était il le créateur ? Devais-je trouver mon Ariane pour en sortir grâce a un fin fils de soie ?
Les façades modestes jouxtaient celles des palais les plus délicats. Je retrouvais cette idée de dentelle de pierre. Je n'étais pourtant pas à Burano si proche. Les petits ponts invitaient à l'idée d'embrasser sa bien-aimée. 183 baisers, un par pont pour célébrer l'amour qui colle désormais à l'image de cette cité millénaire. Aimer c'est avant tout aimer la beauté.
On m'indiquait ici "per Rialto", là "per ferroviare" ou encore " per San Marco". Évangélisation d'un chemin…
Toutes ces façades d'églises me faisaient tourner la tête. La majestueuse porte de l'Arsenal se présentait à mes yeux. Un fois encore la sensation de puissance m'intimidait et me donnait force et vigueur pour continuer mon parcours dans ce célèbre labyrinthe d'eau et de pierres. De grandes respirations, les campos, recevaient cette lumière si particulière de la lagune.
Au loin des campaniles me donnaient quelques repères. L'astre solaire aussi. Mais la brume revenait, il disparaissait et je décidait de m'assoupir dans le quartier calme de Dorsoduro après avoir passé le pont de l'Academia. L'art est un pont. Embrasser le monde par le pont des désirs…
Ah le désir, voilà une sensation forte ressentie au cœur de cette cité unique.
La Salute veillait quand à elle sur mon sommeil. Ouvrant parfois l'œil j'apercevais ces longues et sveltes silhouettes noires d'italiennes. Ces gondoles dansant sur le grande canal, entrant sur cette avenue aquatique, elles saluaient la Pointe de la Douane puis elles se perdaient elles aussi au cœur des canaux sinueux. Elles s'y faufilaient comme des anguilles de bois vernis.
Je reprenais mes pérégrinations hasardeuses. Mon cheminement lent me ramenait sur la place Saint Marc, ce saint patron de la Sérénissime. La nuit était tombée, la pleine lune brillait au travers des nuages légers. La façade de la basilique Saint Marc scintillait. L'or pare la cité des Doges sans ostentation mais tout en élévation.
Les cieux lumineux appellent le regard de celui qui se perd dans ce labyrinthe posé sur des millions de pilotis.
J'avais envie de passer cette nuit lumineuse à contempler la beauté de la cité des cités. Peut être un jour disparaîtra-t-elle sous les flots ? Mais le plus beau miracle aura été qu'elle ait existé. Chef d'œuvre d'urbanisme, d'architecture. de raffinement. Oui les Hommes sont capables de cela, les Hommes ont été capables de cela. Que faisais-je ici ? Avais-je envie de régner à nouveau ? Encore, toujours ? Je décidais de remonter dès lors sur ma colonne, sur la Piazzetta pour faire face à la statue de Saint Théodore, pour faire face à la puissante beauté de Venise car oui, j'étais redevenu le lion ailé de la cité des Doges.